Encore un fait historique méconnu et pourtant d’une rare audace pour ne pas dire suicidaire. Un officier polonais membre d’un mouvement de résistance s’est fait en 1940, sous un faux nom, interner volontairement à Auschwitz. Son but, fédérer en interne des réseaux pour une possible révolte des déportés. On pourrait croire à une interprétation ou au moins à un exagération d’un fait mineur. Pas du tout. Dans son album qui est en plus une réussite graphique de haute volée, Gaétan Nocq raconte, explique le destin de Pilecki qui a réussi cette mission pendant trois ans et a pu sortir des informations vitales sur ce qui se passait dans la camp de concentration devenu d’extermination. Incroyable mais vrai. On avait rencontré Gaétan Nocq pour Soleil Brûlant en Algérie.
Il est arrivé en wagon plombé à Auschwitz. Dès qu’il a sauté du wagon avec ses camarades l’horreur s’est imposée à lui. SS, chiens, coups, exécutions sommaires, Tomasz Serafinski comprend qu’il a atteint l’enfer. On lui annonce que la mort est au bout du voyage avec des rations alimentaires pour survivre six semaines. Les kapos torturent, frappent, font des appels qui durent des heures. On meurt debout ou de froid. On prend Serafinski pour un chauffagiste. Cela va le sauver provisoirement car il va refaire la cuisine d’un SS. Mais il ne connait pas grand chose, profite de la situation puis essaye de ses faire oublier parmi les autres détenus. En fait Tomasz n’est pas là par hasard. La résistance militaire polonaise a envoyé Pilecki sous un faux nom pour tenter de fédérer les déportés dans le cadre d’une possible révolte contre les SS. Des liens se nouent en particulier avec les autres officiers polonais. On se soutient, on s’aide, on survit dans un camp où chaque jour de vécu est une victoire. Tomasz se souvient de sa vie passée dans l’armée, alors que les efforts physiques exigés par les SS sont volontairement mortels.
Le Rapport W mis en images par Nocq est avant tout une chronique insoutenable et sans équivalent de l’univers concentrationnaire nazi. La force et le grand talent de Nocq est d’avoir pu en restituer l’aberration sauvage, le jusqu’au-boutisme fou et sanguinaire. Ses planches, ses dessins, ses aplats, ses couleurs qui rythment le récit, sont si évocateurs, purs, sans emphase, qu’on passe de l’autre côté du miroir pour être saisi par une émotion totale. Serafisnki-Pilecki témoignent, rend compte de ce monde à l’époque insoupçonnable à l’extérieur même si autour du camp qui ne cesse de grandir, on doit bien se douter de la réalité.
Une somme de 230 pages dessinées plus la très bonne postface d’Isabelle Davion illustrée de croquis, d’esquisses, de pièces authentiques. Rien à voir avec Maus ou Auschwitz de Croci au demeurant tout autant écrasant. Le Rapport W (Pilecki avait Witold comme prénom) est un cas singulier, unique, à la limite de l’utopie. Comment penser que, entre 1940 et 1943, au moment où l’Allemagne est au sommet de sa puissance, une révolte, et pour en arriver où, puisse avoir lieu à Auschwitz ? Pourtant l’armée polonaise voulait savoir ce qui se passait à Auschwitz. Ce qui n’a rien changé au problème. Pourtant en octobre 44 le sonderkommando d’Auschwitz faisait sauter un crématoire et se révoltait. La répression sera terrible. Le camp sera libéré en janvier 1945. Pilecki y est un espion et devra s’exfiltrer d’Auschwitz, ce qui est un second défi. Il se battra ensuite à Varsovie en 44, et en 1947 sera exécuté par le régime communiste polonais. Un roman graphique ? Non, un artiste, Nocq, qui rend justice, restitue avec humanité une vérité méconnue et bouleversante.
Le Rapport W, Infiltré à Auschwitz, Éditions Daniel Maghen, 29 €
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