Un homme politique amateur de BD et qui le dit haut et fort, en parle avec son cœur, simplement, ça existe ? Oui, la preuve. Nicolas Démoulin, élu en 2017 député de la 8e circonscription de l’Hérault (LREM), croisé à Frontignan au Festival du roman noir pour une expo Franquin, à celui de Fabrègues dernièrement, dit tout sur sa passion. La BD il aime et depuis longtemps. Il la connaît bien. Même si aujourd’hui son élection au Palais Bourbon, son travail de député, ne lui laisse plus vraiment de temps pour se plonger dans les dernières nouveautés. En toute liberté Nicolas Démoulin a accepté de répondre aux questions de Ligne Claire sur son attachement à la BD et aussi sur une autre passion, l’Afrique. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.
Nicolas Démoulin, vous êtes tombé dans la BD quand vous étiez petit ?
J’ai eu deux temps en BD. Celui où on lit les classiques, Astérix, Tintin ou autre. Et puis le temps de la découverte de ce que j’appelle la BD roman, du roman disons graphique quand j’étais en classe préparatoire à Montpellier. On m’a offert Sambre et Balade au bout du monde. Et là j’ai pris un sacré coup.
On est plus avec ces titres dans de la BD traditionnelle que dans ce qu’on nomme aujourd’hui roman graphique ?
Quand je parle de roman graphique c’est plus un attachement au scénario, à la mise en images d’un texte qui m’accroche.
Je ne suis pas sensible uniquement au scénario mais quand même. Le premier qui me vient à l’esprit comme scénariste c’est David Chauvel.
Pas obligatoirement un Van Hamme, un Christin, un Charlier ?
Oui j’adore, mais par exemple j’ai lâché Largo Winch rapidement. Je ne suis pas surpris quand je lis ces BD. Avec Chauvel, dans Rails, ce que j’adore c’est qu’on rentre dans un monde complètement fantastique. J’aurais eu envie qu’on en fasse un film. Cela dit j’ai appelé mon fils Largo. Sur notre liste de mariage avec ma femme il y avait des BD.
SF, BD réaliste, tous les genres ?
Tous, mais il faut qu’en deux ou trois pages je sois emporté ailleurs.
Oui vous avez trouvé le terme. Une coupure. Je suis dans mon histoire, mon esprit se libère.
Revenons en arrière. Dès le départ vous commencez à acheter des BD, à vous passionner ? Vous montez une bibliothèque ?
C’était maladif, presque une addiction. J’allais à la librairie Azimuts à Montpellier tous les mois et je prenais une quinzaine d’albums. J’avais de grandes discussions avec Christophe, le libraire. Un vrai plaisir. Il m’a fait découvrir plein d’auteurs. J’en ai tellement en tête que c’est compliqué de les citer.
Vous lisiez des journaux spécialisés BD ?
Pas du tout. Je suis assez égoïste dans ma passion, donc peu intéressé par les auteurs. Je les admire mais ne suis pas un fan. Ce qui m’importe c’est la BD, l’objet, l’album. Je n’ai pas d’envie de dédicaces. Une anecdote : j’étais chez Azimuts. J’achète une BD de Trondheim et il était là justement en dédicace. Il me demande gentiment si je veux qu’il m’en fasse une. Je n’avais pas vraiment envie. Il ne faut pas toucher à mon album.
Les Cités obscures. J’ai adoré. Idem Capricorne d’Andréas et j’ai plus aimé encore ce qu’il avait fait avant. Deux séries qui se rejoignent. J’ai suivi aussi Le Pouvoir des innocents dont il y a eu une suite mais je me méfie des suites. Non, il y a vraiment Chauvel. C’est le seul que j’aimerais rencontrer. Je crois en fait que j’ai toujours aussi rêvé de faire une BD.
Vous avez essayé ?
Oui mais c’était bidon. J’ai fait deux pages. J’ai plein d’histoires dans la tête. Quand je retrouve certaines de mes idées dans une BD je suis ravi. Dans Rails il y a aussi des problèmes de société.
C’est important pour vous ?
Il me le faut absolument, et même de la politique pas politicienne. C’est pour ça que j’ai lâché des classiques comme Thorgal.
L’addiction BD est toujours là aujourd’hui ? Le député est en manque ?
Non je n’ai pas le temps. Mais comme ce que je fais maintenant me passionne il n’y a pas de manque. Par contre quand je suis passé récemment devant Azimuts, je suis entré mais ressorti les mains vides. Très difficile de relancer la machine. Trop de retard et je ne sais pas faire les choses à moitié. Si je repars, je repars à fond. Ma collection en fait commence en 1995 avec pas mal d’éditions originales de cette époque. Je suis assez stupéfait d’ailleurs des côtes aujourd’hui pour ces albums.
Un autre débat comme celui du prix des planches originales ?
La planche on peut encore envisager mais l’album qui prend une valeur telle, j’ai du mal. Quand on voit la côte du Triangle secret ou du Décalogue… En fait même pour la planche. Ce qui m’enrichirait ce serait de discuter avec un auteur comme Chauvel.
Moins tenté. Je lis mais ce n’est pas mon truc.
Et Franquin ? On s’était rencontré il y a un peu plus d’un an à Frontignan pour une exposition qui lui était consacrée, signée par Fabrice Erre.
Les Idées Noires c’est exceptionnel. Franquin se découvre. Un chef d’œuvre. Par contre Spirou, non. Pour vous citer des titres, j’ai beaucoup aimé le Chat du Rabbin. On parlait de Trondheim, je l’ai toujours suivi. Si on ne s’arrête pas à la simplicité du dessin il y a chez lui une profondeur très forte.
Que pensez-vous d’auteurs reporters témoins comme Guy Delisle ou Sattouf ?
Non, pas mon truc non plus. Tiens, encore une BD qui m’a marqué c’est Les Eaux de Mortelune.
Est-ce que ce n’est pas une forme de BD qui maintenant est remplacée par d’autres ?
Oui. Je vois des scénarios trop accessibles pour moi. J’ai des images qui me restent. D’en parler me les font remonter à l’esprit.
Vous craignez de ne pas retrouver avec la BD actuelle vos joies passées ?
Je ne suis pas sûr qu’il y ait la même liberté. Cela me fait penser à la musique des années 80, sa créativité. La BD est formatée au niveau des éditeurs, la surproduction, plus de prises de risques. Ces ambiances décalées, il y en a beaucoup moins. Je ne suis pas contre des pavés en roman graphique, tel qu’on l’entend aujourd’hui. Si c’est bien écrit…
Je n’en ai jamais acheté. Le dessin et la politique, il faut que ce soit immédiat. Comme le dessin de presse. Une BD à froid, style Quai d’Orsay non. Je n’aime pas en fait les sujets contemporains. Il faut qu’une BD m’emmène ailleurs comme les Mondes d’Aldébaran de Léo, autre exemple.
La BD historique ?
Oui parce qu’on apprend quelque chose. J’avais bien aimé Les Tours de Bois-Maury.
Vous êtes plus sur un nuage, pas dans le quotidien ?
Il faut que mon cerveau s’aère et que je voyage. Et ce n’est pas le dessin qui y arrive mais le scénario.
Ce qui est un peu paradoxal ?
La BD doit faire réfléchir ou distraire ?
Les deux mais surtout me distraire. Il ne faut pas intellectualiser. Distraire c’est extraordinaire. Une BD on la relit. Je peux relire une série complète. Celle que je relis le plus c’est Hombre de Segura et Ortiz. On n’est pas passif comme devant un film qu’on revoit.
Passons justement aux BD adaptées à l’écran ?
Foireux. Catastrophe. Pourquoi ? Je ne sais pas. Les Maitres de l’Orge à la TV, c’était bien passé. La BD c’est un peu mon jardin secret. Mais j’ai transposé sur les séries TV. Le fonctionnement ressemble à celui de la BD. On prend un peu de temps à y accéder et après on est happé. Je suis très éclectique par contre pour les séries. L’image est plus simple à gérer pour moi avec une tablette..
L’homme de com. que vous êtes s’est servi de la BD comme support ?
J’y ai cru, j’ai fait des campagnes et ça n’a pas marché. Soit je m’y suis mal pris, soit ce n’est pas un super moyen.
Efficace, oui mais pas surpris comme, encore une fois, par Les Eaux de Mortelune ou la construction préalable de l’univers est extraordinaire. On s’y croit.
Vous me semblez quand même un peu en manque ?
Oui parce que lire une BD c’est un moment de calme, intime. On se retrouve seul avec son monde.
Au Festival BD de Fabrègues vous avez évoqué une possibilité d’aide éventuelle des auteurs, évoqué le cadre de la Francophonie et de la commission France-Mali ?
J’ai envoyé un mail aux auteurs que j’ai croisé. Je vais travailler sur le sujet. Ma première idée est effectivement liée à la Francophonie et mes relations avec le Mali. Je pense qu’il y a quelque chose à faire. Je suis très attaché à notre histoire commune et à la scolarité en Afrique. Je me dis que la BD peut être un moyen, un petit outil pédagogique. Qui va avoir envie de le faire ? Compliqué car c’est du bénévolat. Est-ce qu’il faut que je me rapproche d’un éditeur ? C’est une piste. Au final on pourrait faire une rencontre à Bamako, découvrir des auteurs maliens avec des auteurs français.
Votre passion pour l’Afrique est ancienne ?
Je me sens très proche du continent africain. Sans savoir pourquoi. J’ai l’impression que je suis chez moi. Dans notre mission on était douze. A la fin du séjour on va au zoo et le guide nous dit en s’amusant : il y a un lion et si on le lâche on sait qui il va attaquer. Je n’ai pas réagi. J’ai demandé qui ? Et en riant il a dit : toi, tu es le seul blanc. Pour moi il n’y avait pas de différence entre nous. Je veux comprendre comment aider l’Afrique sans ingérence, sans renier notre Histoire, pour que la démocratie s’installe durablement.
Compliqué vu les régimes actuels.
Oui mais je n’ai pas envie d’exporter notre démocratie. C’est bien pour ça que c’est compliqué car ils ont essayé d’importer notre modèle. Il faut creuser sans juger. On n’a pas le même prisme.
On a joué longtemps un double jeu en Afrique ? On ne bouge pas.
Vous avez raison mais je veux faire quelque chose avec le peuple malien. Le Mali c’est récent. L’indépendance date de 1960. Pour eux ils ont une citoyenneté différente dans un pays fier. Ils sont d’une vraie gentillesse alors que c’est un des pays les plus pauvres au monde. Ils souhaiteraient que l’union africaine ressemble à l’Europe. C’est mon ressenti. Je découvre le Mali. J’ai rencontré l’auteur Michel Rodrigue à Fabrègues qui me disait avoir fait un spectacle à Édimbourg, marionnettes et BD. Je viens juste de découvrir un livre sur les marionnettes maliennes. Voilà un axe intéressant. L’Afrique est francophone avec une démographie exponentielle. Ce qui m’intéresse avec la langue française, pas obligatoirement celle de Molière au sens littéraire du terme, c’est qu’on ait une culture commune et des valeurs. Il faut que l’utilisation du français perdure et qu’on se rapproche.
Un retour sur la BD, des festivals et des auteurs, vous vous sentez concerné ?
Oui, je vais m’y intéresser de près. Si je peux apporter une pierre à l’édifice. Je vais rencontrer des auteurs, me rapprocher des éditeurs. Je veux écouter sur les droits d’auteurs, avoir une vraie vision. Ce n’est pas normal qu’un scénariste ou un dessinateur ne gagne pas sa vie.
Pour des festival futurs dans le département, vous avez des idées ?
Pourquoi pas mais je n’y ai pas vraiment réfléchi. Il faudra donner une vraie identité au projet si on en lance un.
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