Il y a des rencontres rares mais toujours plaisir. On suit l’œuvre de Nicolas Debon depuis ses débuts à chaque fois subjugué par ses nouveaux et rares albums. Pas une fois l’auteur de L’Essai, Du Tour des Géants, L’Invention du vide n’a déçu. Il sublime un personnage par son sens inné de la narration et la qualité d’un dessin qui vrille au cœur. Marathon qu’il vient de signer, raconte l’exploit de ce marathonien, un « petit arabe » comme on dira, le 5 août 1928 aux J.O. d’Amsterdam, Ahmed Boughéra El Ouafi Français d’Algérie. Pourquoi ce choix ? Nicolas Debon a répondu aux questions de Ligne Claire au dernier Festival du Livre à Paris. Une rencontre aussi amicale. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.
Nicolas Debon, votre album Marathon est dans la droite ligne de votre œuvre ? Un personnage méconnu, qui gagne une médaille olympique, c’est un fil conducteur cette recherche ?
Force est de constater que mes quatre albums parlent de sports. Il y a quelque chose derrière mais pas vraiment conscient. Je ne cherche pas à être catalogué comme auteur de sports. C’est quelque choses que j’essaye de trouver à travers ces histoires mais encore un peu caché dans mon esprit. La course à pied j’ai pratiqué, j’ai passé des heures à courir à mon modeste niveau. Avec des sensations très fortes.
On est dans l’Olympisme entre deux guerres avec Marathon. Qu’est ce qui vous a séduit dans le personnage de El Ouafi Boughéra, glorieux puis oublié, retrouvé par Mimoun ?
C’est sa modestie. Qu’on n’attendait pas parmi les favoris à ces Jeux de 1928. Il était manœuvre chez Renault. La question qui s’est posé à moi c’était qu’il était Algérien et courait pour la France. Pour moi la métaphore, c’est comme s’il gagnait en franchissant le cordon de la ligne d’arrivée sa liberté par le sport. Par la volonté et je trouvais ça beau. Dans le dernière image il coupe le fil, ce trait qui est la frontière qu’il franchit va le sortir de son monde.
Il y a deux dessins, l’homme inattendu, l’exploit mais dans un contexte social, politique, colonisateur dans lequel il se dépasse tout en dépassant sa propre condition.
Oui, c’est ça mais je ne voulais pas que soit trop manichéen, moralisateur. A chacun de s’en faire son idée. Mais c’est le fil conducteur. L’histoire est un hommage à la course à pied, l’effort sublime où l’on peut être sur un nuage. Et de souffrance dans des moments de transe. Cela a été un livre difficile à construire. Il y a peu d’évènements. Avec Le Tour des Géants ce n’avait pas été simple mais il se passait des choses, le vélo, les cols, les paysages. Là c’est très plat, monotone.
Oui les coureurs sur une cendrée anonyme hormis quand ils traversent la ville. Vous avez travaillé de quelle façon ?
J’ai un petit peu changé. Avant j’étais en couleur directe sur papier, peinture, gouache. Là c’est moitié-moitié, le trait, dégradé est sur papier encre de chine. J’ai scanné et mis en couleur sur ordinateur. C’est vraiment nouveau pour moi.
Le choix de ce coureur est un choix parmi d’autres ou il s’est imposé ?
Imposé parmi d’autres. C’était un des choix possibles. Au départ j’avais écrit sur Mimoun.
Mimoun, on a beaucoup parlé de lui. Ce n’est pas le cas d’El Ouafi.
Oui c’est ce qui m’intéressait. Il était oublié, j’essaye de lui apporter une reconnaissance. Il est assez proche de Mimoum, les origines, la guerre et la Campagne d’Italie, ils ont des points communs d’origine modeste. Par rapport à Mimoum je n’avais plus grand chose à dire. El Ouafi était un sujet intéressant. Mimoun l’a beaucoup aidé ensuite.
Il a eu un destin chaotique, il a souffert tout au long de sa vie.
Oui tout à fait, je n’en parle pas dans Marathon mais il a eu une vie tragique comme je rappelle après l’album. D’un côté je ne voulais pas en parler mais c’est aussi une métaphore, une image des ces générations d’immigrés que l’on n’a pas accueilli dignement. Ce n’est pas moraliste car ce n’est pas simple non plus à évoquer.
On était à une époque dans les années trente où le problème n’était pas reconnu. Personne ne pense que l’Algérie ne peux pas rester française. On fête le centenaire de 1830.
La France avait apporté certains bienfaits, ce n’est pas faux mais elle a apporté aussi la colonisation. C’est comme en Ukraine pays souverain envahi par un autre.
Sauf qu’en 1830 le pays n’est pas unifié, il y a aussi des luttes tribales, ce qui facilite l’invasion de la France. Dans l’album la colonisation est sous-jacente mais la révolte pas encore exprimée avec force.
Oui c’est ça. C’est juste. Mais ce n’était pas le but de l’album. Je suggère simplement, cela ne m’intéressait pas. Il y a un travail poétique, d’émotion. Un travail de couleur. C’est une œuvre à plusieurs niveaux de lecture comme mes autres albums. Il y a El Ouafi mais aussi tous les autres coureurs, un Japonais, des Finlandais favoris. Et la course est aussi un personnage en soit. Le public est important au bord de la route. C’était jubilatoire de les représenter.
Il y a une très bonne mise en scène effectivement. Les personnages sont parmi d’autres éléments aussi importants qu’eux. La cendrée, le vent qui souffle. Vous êtes un poète conteur.
Oui. Le décor prend une place importante. Le dessin c’est bien un conte.
Une belle histoire ou pas, humaine ou déshumanisé, attachante avec une belle palette d’émotions.
Merci. Je ne sors pas beaucoup d’albums par contre.
Et après ?
En fait ma façon de travailler c’est de faire une page, une case et je décide si le sujet me tente. Le sommet du Tourmalet m’a servi de départ pour l’Invention du vide. Pour Marathon la page du personnage minuscule dans la nature la rendra prioritaire peut-être dans un prochain album.
Vous avez une œuvre très personnelle, à part, brillante.
Mon principal défaut c’est d’avoir du mal souvent. J’ai commencé sur le tard. La facilité ne m’intéresse pas. Il y a une exigence c’est vrai.
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