Interviews

Interview : Napoléon doit mourir par Bourgois qui aime faire de la BD comme s’il faisait du théâtre

Armand de Caulaincourt est le héros invincible de Jean-Baptiste Bourgois dans Napoléon doit mourir. Bourgois renvoie Caulaincourt au front pour des aventures épiques, fantastiques, un moment où tout n’est pas vraiment rose. On meurt beaucoup dans cette retraite de Russie où les petit soldats s’épuisent. Caulaincourt a des états d’âme face à son boss, Empereur « monstrueux », le Napoléon qui finira quand même aux Invalides. Jean-Baptiste Bourgois s’est entretenu avec ligneclaire sur ce héros invincible qui va finir par avoir comme des velléités de meurtre impérial. Sortie le 9 octobre. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC

Jean-Baptiste Bourgois

Jean-Baptiste Bourgois, pourquoi avoir choisi Caulaincourt pour cette fresque napoléonienne, historique, fantastique et en partie biographique ?

Je ne me souviens plus vraiment du point de départ mais c’est un projet de longue date. J’ai commencé à le matérialiser il y a quelques années. J’avais vu au Musée de l’Armée un fusil gravé L’Intouchable surnom de Caulaincourt, un homme très chanceux au combat, général sous l’Empire. Il était beau, courtisé, intelligent, bien vu de l’Empereur. C’est son côté héros tout trouvé qui me plaisait.

Il est invincible, il a tout pour plaire, bien né, intelligent mais vous aviez une passion pour l’Empire ?

Caulaincourt est un peu le héros parfait. Cela m’intéressait de montrer qu’il le vivait très mal. C’était mon point de départ. Il y a beaucoup de gens fascinés par l’Empire et dans mon entourage, j’ai un ami qui a une grande histoire familiale militaire, peut-être eu une influence sur moi mais minime. Par contre j’ai eu un vrai plaisir à dessiner mes petits personnages.

On dirait des soldats de plombs, des batailles reconstituées.

Oui tout à fait. A la limite, parler de l’Empire, ça a été de me de demander justement pourquoi autant de gens sont subjugués par Napoléon. Quand j’ai commencé, j’ai lu le livre de Caulaincourt sur le retour de Napoléon de la Bérézina. Le livre a été republié dans les années soixante puis encore dans les années 90. On se confronte à un fanatisme au sens moderne autour de Napoléon. On dit souvent que Talleyrand agissait seul sans mettre Napoléon au courant. En fait dans le récit de Caulaincourt, Napoléon affirme que rien ne lui échappe, il sait et assume. J’ai creusé mais ce n’est pas une BD historique. On a oublié que les batailles napoléoniennes sont le plus grand charnier avant celui de 1914.

Paradoxalement dans l’esprit des Français Napoléon reste un conquérant.

Oui c’est la dernière fois que la France est un pays de conquérants. Les Russes adorent Napoléon qui le considèrent comme notre dernier grand dirigeant. C’est ce que dit Sylvain Tesson dans Bérézina, je ne suis jamais allé en Russie.

On est dans un environnement historique précis jusqu’à un certain point et, d’un coup, vous passez dans un autre monde. Benjamin Rabier apparait en grognard en train de mourir avec son canard, il y aura des monstres. Pourquoi ces mélanges ?

C’est une fiction mon roman graphique. Rabier, c’est bien sûr anachronique, un clin d’œil à un de mes profs qui en est fan. Quand j’ai vu le travail de Rabier, j’ai été fasciné par la narration qui n’est pas celle chez lui que du premier plan mais du décor et du second plan.Il faut regarder les détails, les personnages secondaires. Beaucoup de gens font de la BD comme ils feraient du cinéma. Moi j’aime faire de la BD comme si je faisais du théâtre. Ce qui me fascine à mon tour ce sont les acteurs au second plan qui jouent eux-aussi. Dans Rabier, il y a toujours des choses à voir derrière. Chez Ungerer aussi. Dans mon album, le décor, les plans du fond montrent aussi plein de choses.

Il y a de la violence aussi, on meurt beaucoup. Cette opposition entre une part de poésie et le réalisme sans concession, le fantastique, fait un cocktail inédit.

Pour le fantastique, ce qui me plait, avec mes références, est de rejoindre le réel. Quand les monstres arrivent à la fin, Napoléon voit une opportunité qu’ils deviennent une nouvelle arme. Jusqu’où serait-il allé s’il n’avait pas commis ses erreurs successives, perdu des batailles ? Quand il parle du nombre énorme de morts qu’il laisse derrière lui, c’est dans le livre de Caulaincourt. Il l’accepte. C’est un monstre lui-même.

C’est votre premier album BD ?

J’ai déjà fait un petit roman graphique l’an dernier. Là c’est mon deuxième album BD que je fais seul. J’ai déjà fait des livres Jeunesse en solo. Je ne fais pas de différence entre les deux. Mais c’est mon premier album de cette dimension, 160 pages.

Quand on parle de votre dessin, il n’est pas vraiment que minimaliste car il est aussi très détaillé. On pense à Sempé.

Pour Sempé, je n’avais pas ses livres chez moi enfant. Il y a quelques années j’ai fait un atelier dans la médiathèque où j’allais jeune. Sur ma fiche de bibliothèque, je me suis aperçu que j’avais emprunté tous les Sempé, ses albums de dessins. Oui, je l’aime beaucoup. C’est un dessinateur où on ne voit pas la sueur du créateur. Il y a de l’aisance, de l’élégance, c’est facile d’accès.

Cela vous ressemble. Votre album est très travaillé, pointilleux à tous les niveaux. Votre livre en fait c’est un album sur un confident de Napoléon qui finit par se dire qu’il dépasse les bornes et pourrait y mettre un terme.

Oui. Il doit mourir. Caulaincourt est un favori que Napoléon respecte car il s’oppose à lui. Mais à un moment il y a bascule sauf que…

Il est subjugué par son maître comme beaucoup d’autres.

Je n’y réponds pas mais c’est la vraie problématique. Qu’est ce qui amène un homme à aller jusqu’au bout malgré tout.

Il y a un autre personnage étonnant, la trappeuse Esfir, qui va protéger Napoléon.

Esfir, c’est ce qui ramène à la construction de Napoléon, sa vie, sa carrière. Esfir c’est l’évidence, la nature, le refus des monstres. Elle n’est pas limpide mais elle l’autre voie face à un homme et son armée de monstres. C’est un personnage fantastique, un peu surréaliste.

La base du livre, c’est aussi l’absence de douleur chez Caulaincourt. Il n’est pas non plus antipathique.

C’est un héros grec. Celui qu’on n’a pas envie d’être. Il peut faire plein de choses mais il est très malheureux. Il a une image candide et vertueuse.

Comment vous avez mis en musique votre histoire, le scénario ? Il y a un message philosophique ?

Je fais le dessin et le texte en même temps. Une idée de dessin fait avancer le texte. J’ai une trame. Je fais un premier jet, je refais beaucoup, j’ai tout dans des carnets. Cela me permet de regarder si le rythme est bon. Sur la construction philosophique je ne crois pas. Je me méfie de l’aspect moralisateur. Je soulève les problèmes et donne des éléments de réponse. Je ne donne pas de conseils.

En faisant cet album vous vous êtes amusé ? Il y a de l’humour, un décalage parfois.

Oui, on parle très sérieusement depuis le début mais j’espère que le lecteur va rire aussi. Il y a des petites pointes vers les Anglais, des clins d’œil dans les décors pour qu’on s’amuse aussi.

Vous allez vers quoi après ce one-shot ?

J’ai un album Jeunesse au Seuil. J’ai aussi le second tome de Violette Hurlevent avec Paul Martin, un roman très illustré. Après, il y aura un roman graphique sorti aux USA l’an dernier que je suis censé reprendre pour un éditeur. J’ai aussi en tête un roman graphique depuis un moment difficile à décrire, un peu flou dans mon esprit.

Vous avez été un lecteur de BD plus jeune ?

Comme tous les enfants, Astérix, la BD franco belge sans être passionné. Ensuite non. De romans oui. Je regarde ce qui sort. J’ai des goûts assez précis en BD. Gotlib par exemple car il fait en BD ce qu’on ne peut pas faire avec un autre média. Blutch aussi qui fait à chaque album un essai, une tentative. La BD je l’aime quand elle est exclusive comme avec Glen Baxter. D’autres références aussi comme R.O. Blechman et Jillian Tamaki par exemple. Le premier qui m’a permis de comprendre que l’on pouvait tout faire en BD, que l’on pouvait recréer un rapport texte / image inédit. La seconde justement pour ses essais comme Boundless, un incroyable recueil de nouvelles en BD, sa maîtrise de la mise en scène. C’est très important pour moi de citer mes références, j’ai été friand dans ma formation de trouver des noms dans les interviews, je me suis toujours promis d’y faire attention.

Pour revenir à votre album, je verrai bien un dessin animé. Vous avez un trait qui s’envole.

Mon premier but a été après le lycée de faire du dessin animé mais j’ai bifurqué. Le mouvement dans le dessin qui tend vers le minimalisme est capital. Vu la taille, tout joue, les mouvements amplifiés. Je créé moi-même mes marionnettes. Tout est possible quand on est auteur de BD. Comme un gamin qui fait ses jouets et j’ai eu cette sensation sur cet album.

C’est une proposition mon album. J’espère qu’il y a du sens aussi. Faire cet album a été long. Comme tout auteur, on ressort son quotidien. Tout est à la plume. J’ai beaucoup travaillé sur ordi par le passé. Pour mon travail cela me plait maintenant d’abandonner l’écran, de retrouver le plaisir du papier, la plume. L’album est imprimé à l’échelle. La planche fait 50 cm de large.

Il y a une part d’émotion aussi, sentimentale, de désespoir de certains soldats.

Je me moque de Napoléon sans rien enlever au fait historique, mais surtout des gens pour qui la conquête militaire est encore de nos jours, je le répète, une fascination. Le détail historique peut soulever ce que l’on retient de l’Histoire.

Avec Napoléon on est dans la volonté de développement de l’Empire français. A tout prix.

Oui car il veut créer un empire industriel plus puissant que les Anglais. Ça soulève des questions d’aujourd’hui, le prix du développement, jusqu’au doit-on aller. Et Caulaincourt le suivra du début à la fin.

Mais c’est aussi remis en cause par ce que nous vivons actuellement. Les empires industriels sont faibles, peuvent s’écrouler alors qu’ils paradaient il y a six mois. Ils peuvent être ramassés par un conquérant. Il faut faire attention.

Oui, C’est vrai qu’au début je me suis demandé justement si je tuais ou pas Napoléon. Ce qui m’a décidé de le laisser en vie c’est effectivement ce « il faut faire attention ». Si je le tuais qu’est-ce que cela aurait voulu dire ?

Napoléon doit mourir, Éditions Sarbacane, 26 €

Jean-Baptiste Bourgois, autoportrait
Partager

Articles récents

La Sagesse des mythes de Yvain le chevalier à la Belle au bois dormant

On avait déjà signalé que La Sagesse des mythes, la collection consacrée à la mythologie…

21 novembre 2024

Pyongyang parano, les blaireaux des légendes

Du vécu un peu amélioré mais qui sur le fond est passionnant et remarquable. Comment…

21 novembre 2024

bd BOUM 2024, c’est ce week-end du 22 au 24 novembre 2024

Récompensé par le Grand Boum-Ville de Blois, David Prudhomme préside la 41e édition du festival…

20 novembre 2024

Mémoires de gris, Tristan et Yseult revisités

Un bel album ce qui est tendance, dos toilé, beau cartonnage et 240 pages, Mémoires…

20 novembre 2024

Un doublé belge de Spa à Bruxelles chez Anspach

On les suit de très près les éditions Anspach car c'est vrai on a un…

20 novembre 2024

Prix Landerneau BD 2024 présidé par Mathieu Sapin, la sélection

L’auteur et dessinateur de bandes dessinées Mathieu Sapin préside aux côtés de Michel-Édouard Leclerc le…

19 novembre 2024