Le Service du travail obligatoire, le STO (au départ SOT mais ça faisait désordre dans une France pétainiste) était une invention très allemande mais mise en place directement par l’Etat Français pour envoyer travailler de jeunes Français de l’autre côté du Rhin pendant la guerre. Volontairement si possible, réquisitionnés en grande majorité, ils ont été plus de 650 000 à partir entre 1942 et 1944. Et vivre dans des conditions précaires près d’usines bombardées. Vichy avait négocié qu’un prisonnier soldat français en Allemagne soit libéré pour trois STO envoyés. Reste que le STO a toujours été en France si ce n’est ignoré mais au moins volontairement oublié car trop taxé de collaboration plus ou moins acceptée. Julien Frey, dans l’Œil du STO, une première sur le sujet, raconte l’histoire de l’un de ces travailleurs contraints, Justin, qui va partir, victime aussi de pressions familiales. Au dessin, Nadar (Le Monde à tes pieds) a su avec sobriété et réalisme reconstituer visuellement le parcours chaotique d’une génération.
En 1977, Justin va bientôt partir à la retraite. Il pourrait comptabiliser dans ses points l’année passée en Allemagne au STO en 1943 mais pour lui, pas question. Il se souvient de 1939, du bar de ses parents à Paris. Son père est mobilisé à Nîmes. Il serait plus simple que toute la famille s’installe dans le Gard à Arpaillargues et confier la brasserie à un ami. Julien a repéré une jolie jeune fille mais il doit partir avec sa mère, sa sœur Odette. Il sait pourtant que ses parents sont en train de se séparer. C’est juin 40, la débâcle et leur brasserie est pillée. Ils décident de rentrer. Pourtant Julien et sa mère rouvre le bar. Il revoit la jeune fille de 1939, Renée, mais elle est mariée. Ils ont une liaison et vont être rattrapés par la guerre. Le STO se met en place organisé par le gouvernement de Pétain. Pour s’en sortir, Julien met le doigt dans un engrenage dangereux et illégal sévèrement puni.
Il ne va pas avoir trop le choix, Justin, qui a un peu trempé dans un trafic de cartes de rationnement, même si à cette époque un bon nombre de jeunes français ont choisi au lieu de partir, de rejoindre les maquis de la Résistance. Ce qui leur a posé un grave problème d’intendance. Un choix compliqué selon aussi où les jeunes gens habitaient, plus simple en effet à la campagne. Julien Frey décrit en détails le départ, les conditions de vie, l’autorité brutale des gardiens allemands alors que les STO pouvaient cependant circuler en Allemagne. On est témoin de l’évolution intellectuelle de Justin qui comprendra qu’il doit écourter vite fait ce séjour en terre du Reich comme 100 000 autres jeunes ont fait qui ne sont jamais rentrés de permission en France de 43 à 44.
Frey a dû travailler sur des documents et des témoignages authentiques. Cela ne s’invente pas. Un travail de mémoire mérité. Le terme de déportés du travail a été refusé au STO ce que l’on peut comprendre. Pour ceux qui s’en souviennent, Georges Marchais, secrétaire général du PC français et ancien STO avait été obligé de se justifier sur son séjour en Allemagne sur lequel il avait été vivement attaqué. Mais c’est Cavanna, lui-aussi STO, qui avait su dire la vérité vécue dans un bouquin qui a fait date, Les Russkoffs. Alors « collabos » les STO, pas vraiment mais la France après la Pologne et l’URSS, a été le pays occupé qui a fourni le plus de travailleurs qualifiés à l’Allemagne. Ce qui laissera des traces d’une culpabilité pourtant discutable dans un pays qui ne jurera plus que une Résistance soit-disant universelle. Lire l’excellente postface de Raphaël Spina, historien qui a écrit une histoire du STO qui fait référence.
L’Œil du STO, Futuropolis, 24 €
Le dessin a l’air efficace. Sobre en effet, mais l’économie de traits est toujours intéressante.
Quant au thème, ça fait du bien de voir une BD traiter de la Seconde Guerre mondiale, ça faisait longtemps.