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Interview : Jean-David Morvan adapte Kessel et son Armée des ombres

L’Armée des Ombres de Joseph Kessel a été écrit à Londres en 1943. De Gaulle voulait un ouvrage qui montre aux Alliés que cette France Libre qu’il guidait c’était aussi le Résistance en France occupée. Jean-David Morvan, auteur de Madeleine, résistante qui est un très mérité succès de librairies (le tome 3 est sorti en août 2024) dit à Ligne Claire pourquoi il a adapté le roman, initiatique pour lui à ce qu’a été la Résistance. Au dessin Emmanuel Moynot au trait noir, très inspiré par le drame qui se joue au quotidien pour ces Français dont un très grand nombre a payé de sa vie sa soif de liberté et de patriotisme pour libérer la France de l’occupation allemande. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC

Jean-David Morvan

Jean-David Morvan, pourquoi adapter L’Armée des ombres de Kessel écrit à Londres en 1943 mais diffusé en France après la guerre ? On garde toujours encore aujourd’hui en mémoire le film avec Lino Ventura, Simone Signoret, Paul Meurisse.

Je l’ai lu gamin et relu avant d’aller voir Madeleine la première fois chez elle avant de me lancer dans la série Madeleine, résistante avec Bertail (3 albums parus). Je me suis dit que j’allais lire au moins un livre vraiment reconnu sur la Résistance pour arriver avec quelques bases précises. J’avais vu le film jeune qui m’avait fait lire en fait le roman.

Tu l’as lu finalement pour avoir une certaine culture de la Résistance ce qui t’a permis d’aborder Madeleine.

Je connaissais un peu le sujet mais en parler avec Madeleine c’est comme parler avec un mathématicien de maths. L’important c’est d’avoir envie d’apprendre. Eric Bérian chez Phileas m’a proposé d’adapter le roman. J’ai sauté sur l’occasion.

Le film était très marquant avec des acteurs et des personnages charismatiques, Paul Meurisse qui joue Saint-Luc. Comment on fait pour mettre du Kessel en cases et bulles ?

En le lisant pour l’adapter, après avoir rencontré Madeleine, j’ai compris plein de choses dont en 1943 comment Kessel écrit un livre pour rassembler la Résistance, comme Moulin en avait aussi la mission. Il parle de tous les réseaux, dit que les Communistes sont formidables même si De Gaulle s’en méfie comme aussi de la Résistance intérieure. Il cite les Chrétiens, toutes les tendances et obédiences. On sent qu’il essaye de faire une synthèse de la Résistance en France pour l’unir.

En fait comme l’explique très bien le dossier remarquable en fin d’album, c’est De Gaulle qui demande à Kessel de l’écrire en 43, une œuvre de commande ce que l’on sait peu de nos jours.

Oui c’est ça et intéressant. Il avait dit à De Gaulle qu’il avait fait plein d’interviews de résistants qui revenaient de France et qu’on lui avait conseillé d’en faire un livre.

En 1943, c’est très tôt et le livre est édité à Alger (libérée en 1942 par les Alliés qui débarquent en AFN) par Charlot qui était l’éditeur de Camus. Kessel est déjà très connu. C’est une figure, il signera le Chant du Partisan avec Druon et il fait presque l’œuvre fondatrice de la Résistance.

Personne à part de Gaulle et les Français à Londres n’avait entendu vraiment entendu parler de ce qui faisait en France dans la Résistance qui était clandestine. Ces actions étaient peu visibles pour pouvoir survivre.

Même si le SOE anglais savait et s’en servait.

Les objectifs des Anglais n’étaient pas les mêmes.

Le livre et donc la BD présentent la Résistance en disant des choses et en en taisant d’autres, la réalité de cette Résistance qui affronte en direct en 43 les Allemands. Dangereux.

C’est subtil bien sûr et tout est plus ou moins vrai. Kessel y a ajouté de la fiction mais le fond est véridique, a existé. C’est comme Les Croix de Bois de Dorgelès sur 14-18 que j’ai adapté. Tout n’est pas forcément les souvenirs de Dorgelès.

On est en pleine guerre et la Résistance a encore deux ans à vivre et à se battre contre des Allemands de plus en plus efficaces. Kessel ne fait pas pour autant un livre d’action

C’est très bien documenté mais c’est très intérieur comme récit, sur les motivations des gens, il n’y pas d’action hormis quelques attentats contre les Allemands et bien sûr l’évasion programmée par Mathilde d’un résistant qui va être fusillé. Ventura dans le film.

Question qui interpelle mais en fonction de sa génération, quel est lectorat pour ce genre de récit ? Adapter L’Armée des ombres est un devoir de mémoire qui s’adresse à qui ?

Le livre est très actuel parce que la Résistance est intemporelle, dont les motivations sont les mêmes à toutes les époques quand on lutte contre un occupant comme en Ukraine. Cela montre aussi comment les personnages intériorisent leurs sentiments comme Saint-Luc, les méthodes à employer contre son ennemi. Résistants ou terroristes, c’est intéressant. Tout cela est dit dans le livre, il n’y a pas de leçon. La scène la plus importante qui est aussi très forte dans le film c’est quand Saint-Luc décide de tuer Mathilde une résistante qui sait qu’elle ne résistera pas à la torture et parlera, et qu’en plus elle-même le souhaite.

C’est une œuvre fédératrice.

Oui je l’ai dit. Tout le monde est cité. On sent qu’il y a un but de cohésion de la Résistance. C’est le livre pour Jean Moulin. Kessel a une conscience de journaliste. Je suis en train d’adapter une pièce de théâtre, Incendies de Wajdi Mouawad qui parle de la guerre civile au Liban, l’héroïne est une résistante et les motivations sont les mêmes. Ce sera une BD et un film en a été tiré en 2011. Alizée sera au dessin.

Quand on lit la BD il y a des images du films qui passent dans la tête. Le dossier final est en prime très bien fait, très riche.

Je ne dis pas qu’on a oublié le film en adaptant Kessel. On est plus proche avec Emmanuel Moynot du roman avec des différences. Le dossier a été fait par Thomas Fontaine avec qui on avait travaillé sur le Manouchian. Il m’a beaucoup aidé. Au début chez Philéas ils n’avaient pas prévu de dossier. Je leur ai dit qu’il en fallait un dans l’édition courante et pas que dans l’édition spéciale comme ils le voulaient. Il y a toute la genèse du roman. Ma première idée était de raconter l’histoire avec Kessel tout en adaptant le livre. Mais l’éditeur a craint que cela pose des problèmes d’aller-retour avec les ayants droits si on mettait des scènes avec Kessel. Le narrateur c’est Gerbier un des personnages. La première et dernière partie c’est Kessel et au milieu le carnet de notes de Gerbier.

Avec votre adaptation et Kohl au dessin qui assure pleinement le ton du roman, on sait tout sur cette armée des ombres.

Oui. Je le dois à mon éditeur Cédric Iland chez Glénat qui m’avait dit quand j’ai commencé à faire des biographies Mao ou Jaurès, qu’il voulait que quand le lecteur refermait l’album il sache tout sur le sujet. J’ai voulu faire la BD plus le dossier pour qu’à la fin on ait une vision précise de la Résistance au quotidien. Ce qui est le but de la BD historique.

L’Armée des ombres, 128 pages couleur, Éditions Philéas, 22,90 €

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