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Monsieur Coucou, Allan l’autruche

Le Liban est définitivement ancré dans l’œuvre de Joseph Safieddine. Un Liban qui plus est familial car dans Monsieur Coucou (Le Lombard) non seulement Safieddine accomplit un nouveau retour aux sources mais aussi met en scène des tranches de vie qui lui sont chères, inspirées en partie par celles de son père. Comment peut-on fermer les yeux sur ses origines, se composer une personnalité qui a rompu toute attache avec le passé, avec les siens au sens viscéral du terme ? D’ou le titre du roman graphique de Safieddine. Un coucou fait son nid dans celui des autres. Jusqu’au jour où la réalité, le passé revient au pas de charge, oblige à ouvrir les yeux, à se raisonner quitte à en prendre plein le cœur et la tête. C’est ce qui va arriver, contraint et forcé à Allan, le coucou libanais devenu plus français que français. Joseph Safieddine raconte la lente et violente prise de conscience du coucou, qui est aussi peut-être en partie la sienne. Le dessin et le trait de KyungEun Park depuis Yallah Bye a encore pris plus de relief et de force. J-L. T

On part à la découverte de ce coucou dont la belle-mère, Thésée, est en train de mourir, de s’éteindre et dont il est si proche. Depuis des années Abel vit en France. La guerre l’a chassée du Liban et il a épousé une française et au passage sa famille. Aujourd’hui il est Allan, plus Abel, et ne répond même pas aux appels de sa sœur et de son frère restés au pays. Situation complexe, Allan l’autruche, c’est un peu le père de Safieddine qui précise : « Quand mon père est arrivé en France, très jeune, il a tout fait pour s’intégrer, jusqu’à se faire accepter, voire adopter par une nouvelle famille, celle de sa femme, ma mère. J’ai construit le récit, mais l’impulsion vient de ce que j’ai vu chez lui toutes ces années, de son comportement avec sa belle-famille et surtout avec sa belle-mère, ma grand-mère ». Une sorte de copier-coller en quelque sorte car la situation est d’exception. Thésée sera le détonateur, celle qui va indirectement pousser Allan à retourner au Liban.

Et pourtant Allan, Abel de son vrai prénom, n’a que mépris pour son pays. Jusqu’au jour où sa femme lui passe de force le téléphone pour qu’il parle enfin à Leila, sa sœur lointaine. La subtile Thésée qui souffre le martyre va rappeler à Allan qu’on lui avait raconté qu’un certain Hussein qui vit au Liban pourrait l’aider à vivre encore un peu. Un genre de magnétiseur mais il faudrait qu’Allan aille le voir. Et au passage régler des problèmes d’héritage de terrains. Le coucou est pris au piège et va devoir décoller. Ce qui ne va pas être simple comme le précise Safieddine qui compare le parcours d’Allan à celui de son propre père : « Allan ne peut plus revenir au Liban comme si rien ne s’était passé, et revoir sa sœur et son frère simplement. Mon père a souvent pensé servir de fusible entre notre culture libanaise et la française. Il venait de la violence et pour nous élever libres, il a fait ce choix. Il était marqué par la guerre, il a donc adopté les codes français pour rompre avec son histoire. Il n’a pas poussé pour que l’on parle arabe, entre autres ». Car, et on le découvre au fil des pages, Allan-Abel porte en lui la mort violente de son père. Aurait-il dû le venger ? « Oui, il y a bien une histoire de vengeance liée à la mort de son père mais comme il ne veut pas participer à ce destin là, il est rejeté. Il ne se sent pas traître, il essaie simplement de vivre libre, donc loin de ce qui pourrait l’enchainer ».

Quand il retrouve Leila et son frère Ali, sa mère, Allan est au bord de l’asphyxie. S’expliquer, parler, exorciser ses peurs, faire face à ses démons, le coucou va y perdre des plumes. « Abel, comme mon père à l’époque, est écartelé par plusieurs émotions : la honte, la culpabilité, mais aussi la liberté et la légitimité de son existence loin des siens », constate Safieddine. Il n’aime pas trop, pour ne pas dire pas du tout ce qu’il voit Abel au Liban. Il doit reprendre ses marques mais va-t-il y arriver ? « Comme souvent lorsque l’on coupe brusquement avec quelque chose ou quelqu’un, on ne garde que le mauvais car c’est plus simple de détester pour passer à autre chose. Abel n’est plus dans la nuance, comme dans un couple qui se sépare où on passe de l’amour à la haine ».

La suite il faut la lire dans cet étonnant récit où malgré la haine c’est en fait l’amour qui parsème les pages. Des détails chaleureux comme la partie de pèche, de la tristesse aussi, et une puissance dramatique étonnante. Alors est-ce que le Liban est définitivement ancré comme thème majeur dans l’œuvre du scénariste ? : « Pour le Liban même s’il n’est jamais très loin, je vais probablement m’en écarter un peu. D’ailleurs dans cet album, il est plus question de personnage que de pays. Je cherchais surtout deux régions avec une culture différente afin d’accentuer la scission du personnage qui vit entre deux mondes. Le Liban n’est pas cité. Pour les autres projets, je monte notamment avec Thomas Cadène une série télé sur un couple scénariste-dessinateur de BD, mais nous n’en sommes qu’au début ». On conclura que, quoiqu’il en soit l’inspiration et l’histoire sont malgré tout, ou avant tout, une sorte d’exorcisme en partie personnel. Sur fond de cèdres libanais.

Monsieur Coucou, Le Lombard, 17,95 €

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