Pour Gunfighter chez Glénat, un diptyque, Christophe Bec a embarqué avec lui un spécialiste du western, Michel Rouge. Bec signe un album volontairement très classique. Michel Rouge a mis tout son talent au service d’un scénario bien cadré annoncé depuis longtemps. Parution le 28 août 2019. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.
Michel Rouge, pourquoi ce retour au western ? Comment s’est-il mis en place ?
C’est Bec qui m’a contacté alors que j’avais abandonné l’idée de faire du western. J’avais un scénario que j’ai réalisé et qui n’a pas bien marché. C’est après. On m’avait déjà demandé de faire un western. J’avais refusé. Par contre quand j’ai lu celui de Bec, il m’a interpellé.
Pourquoi ?
La détermination narrative. C’est curieux comme réponse mais l’histoire m’a parue très performante sur le plan narratif quand j’ai lu le synopsis. Comme je connaissais son travail, je savais ses qualités de scénariste.
L’histoire est très classique.
Il n’y a que ce genre classique qui m’intéresse. J’ai très peu d’attirance pour l’expérience. Comme dessinateur classique, j’aime les récits classiques comme au cinéma les films solides.
Tout à fait. L’histoire des barbelés sur la prairie (NDLR titre d’un Lucky Luke) a été peu traité en BD. J’ai vu les films dont Chaleur, sang et poussière indiqué par Bec. C’est une fiction qui m’a influencé.
Vous avez-vu la série Heel on wheels ? Votre héros a un peu l’air de celui de cette série TV ?
Pas du tout. Je n’ai pas la télé et ne connais pas la série.
Comment avez-vous mis « en matière » vos héros ?
J’ai pris des acteurs que vous ne pourrez pas reconnaître comme celui trouvé dans Pat Garret et Billy le Kid avec Bob Dylan. C’est Kris Kristofferson et aussi Cliff Richard. Il ne faut pas qu’on puisse vraiment les retrouver. Ils m’ont inspiré. Quand Giraud a abandonné Belmondo pour Blueberry, il a commencé à exister. J’ai eu carte blanche, toute liberté. Il faut respecter le scénario, ce qui est normal. Bec me l’avait livré en une fois.
J’en ai bavé. Ce n’est pas la façon de travailler de Giraud ou de Greg. C’est plus compliqué. Parce qu’il n’y a pas de système avec Bec. Le dialogue fait partie de la narration. C’est un moteur narratif contrairement avec Greg. Giraud n’est pas un très bon scénariste de western. J’avais travaillé sur sa mise en page. Dans les deux cas le dialogue est plaqué sur l’action. Avec Bec c’est simple, basique mais fort dans l’action. Ce qui est très agréable.
On est très pris par votre dessin justement par l’action, tout ce qui se passe. Votre dessin fait décoller le scénario.
Je doute toujours. J’ai relu Comanche et mesuré le travail accompli. Pour Gunfighter je suis dans le potage. Je ne sais si c’est percutant et donc angoissant.
Angoissant pourquoi ?
J’ai commencé au-dessus de mes moyens, au début j’avais le temps et j’ai dessiné au plus haut de mes possibilités. J’ai ensuite tiré la langue parce que je voulais servir au mieux le scénario. Je travaille de façon classique, sur 32 par 43 cm de format de planche, ce qui est petit. Tout est dedans au crayon puis je reporte sur table lumineuse et j’agrandis. Il faut que rien ne se ballade, tout doit être posé.
Tant mieux mais je reste modeste et prudent après Kashmeer. Je croyais y avoir évoqué des sujets importants.
Avec Gunfighter, western très classique, il y a glissé parfois des rappels historiques, des conflits ?
Scier les barbelés, ça touche quand même des fondamentaux de la grande démocratie américaine. Je ne voulais pas connaitre les intentions de Bec. Je suis comme un comédien qui suit les indications de son metteur en scène. Mon esprit imaginait les scènes librement et j’attends le second album. Il montre quand même comment le discours démocratique est ambigu et que seule la rentabilité compte. Comme aujourd’hui.
Celui qui est le trublion, c’est le Gunfighter car la rivalité entre les deux familles d’éleveurs aurait pu faire une histoire à part entière ? Il a un côté Robin des Bois.
Peut-être pour des raisons sentimentales mais je n’en sais rien ? Bec est très discret.
Non. Classique avec une doc qui ne comportait rien à ce sujet. John Wayne, Rio Bravo, avec Dean Martin.
Effectivement, on pense beaucoup au personnage de Dude dans Rio Bravo pour le cow-boy boiteux de la famille Cotten. C’est une histoire de destins croisés ?
C’est une bonne idée. On doute des intentions des personnages et c’est bien en BD. Mais j’avais la trouille et ça m’a fait plaisir que Bec me choisisse parce qu’il avait aimé les Héros Cavaliers.
Vous savez gérer les grands espaces.
C’est Giraud qui savait le faire et c’est mon maitre. Je revendique cet apprentissage. On ne plus dessiner comme avant. Voyez Rossi, Bilal, ils ont tiré les leçons de Giraud. Blanc-Dumont a aussi cette notion des grands espaces.
C’est un western à rebondissements multiples. Bec distille les faits pour en arriver là où il veut.
On est pris par le suspense. Il va se passer plein de choses.
J’aurai aimé dessiner des histoires qui se passent dans les traditions indoues, bouddhiques, islamiques. Cosey pour moi c’est la grande réussite. Le meilleur. Un très grand auteur. J’ai fait des tentatives mais cela n’a pas marché. J’ai du mal avec le contemporain. Je l’ai fait avec Kashmeer. C’est une question de scénario. Pour Gunfighter mon fils Corentin m’a beaucoup aidé. On a corrigé ensemble. On peaufine l’album en ce moment. Il y aura 54 pages.
Le spectre de Gunfighter est très large.
Il y a une séquence de pendaison très difficile à faire, la foule, c’est compliqué. Corentin m’a beaucoup aidé sur ces quatre pages. Je ne trouvais pas la simplicité nécessaire. Vous savez, Le Tanguy et Laverdure d’Uderzo m’a donné envie de faire ce métier. Uderzo est un des plus grands dessinateurs que je connaisse. Je n’aime pas les dessins qui viennent de nulle part comme les mangas.
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