Il en rêvait et il l’a fait. Matthieu Bonhomme signe un Lucky Luke. A y être, il a revisité le mythe du pauvre cow-boy solitaire de Morris. Bonhomme a écrit et dessiné un vrai western, avec passion, talent et humour décalé. Dans L’Homme qui tua Lucky Luke (Dargaud) Matthieu Bonhomme a su donner du relief à ce héros qui en avait besoin pour lui apporter une maturité beaucoup plus proche de celle d’un western classique que de la parodie de genre. Cet article est aussi au sommaire du numéro d’avril du magazine Zoo. Jean-Laurent TRUC
Il ne s’en cache pas, Matthieu Bonhomme. « Je portais cette envie depuis des années. C’est vraiment Lucky Luke que je voulais faire même si j’avais eu aussi l’idée d’un Spirou western. J’y reviendrai peut-être ». Le cow-boy le plus célèbre de l’Ouest va avoir 70 ans, un anniversaire qui valait bien que trois albums à son nom sortent pour l’occasion. « Tout a commencé il y a deux ans avec mon éditrice. Le projet était un one-shot pour commémorer les 70 ans de Lucky Luke. Mon Lucky Luke s’inscrit dans ce cadre avec celui de Bouzard et celui d’Achdé, la série mère ». Sauf que Matthieu Bonhomme allait faire évoluer le contexte : « J’avais une idée globale de l’histoire assez précise à partir de mes notes tout en me gardant une part d’improvisation. Je me suis projeté mentalement dans l’univers de Luke. On a validé le scénario avec mon éditrice et je suis passé au story-board ». Il n’avait qu’une contrainte Matthieu Bonhomme, que Luke ne fume pas. Et il va en baver Lucky Luke tout au long de l’album de ne plus pouvoir se rouler une cigarette. Déstabilisé. Même le calumet de la paix lui sera interdit. Bonhomme se sert astucieusement de cette interdiction comme un fil rouge qui expliquera enfin le pourquoi du futur brin de paille entre ses lèvres.
Un vrai western
Comme Bonhomme voulait signer un western il a évidemment glissé des références, des ambiances, voire des personnages détournés de la légende de l’Ouest telle que le cinéma l’a bâtie avec Rio Bravo, La Colline des Potences ou la série Dead Wood, Sergio Leone. « J’ai tout mélangé » avoue Bonhomme. Quand Luke arrive à Froggy Town, un nom qui a sa raison d’être, les frères Bone règnent sur la ville. Le plus demeuré mais gentil des trois est le shérif. Le vrai patron c’est Anton, l’ainé mais tous sont sous la coupe de leur père, un vieillard pathétique et cruel. Bonhomme s’est inspiré des frères Earp à Tombstone. Idem pour son nouveau copain, Doc, un clone du célèbre Doc Holiday qui va aider Luke et lui faire promettre de ne pas devenir un paumé de l’Ouest comme lui.
Bonhomme a su distiller quelques pointes d’humour, des clins d’œil comme le classique croque-mort, la belle Laura Legs ex-chanteuse de saloon et deux ou trois réactions épidermiques de Jolly Jumper qui joue au lama cracheur. Bonhomme reste dans la dramaturgie du western pur et dur où les méchants le sont vraiment mais peuvent se racheter. Luke se retrouve toutefois pris au piège. On le charge d’une enquête sur un vol d’or et le meurtre d’un cocher de diligence par un Indien. Pourtant les frères Bone font régner la loi sur le patelin. Cherchez l’erreur. En prime on lui vole son Colt 45. Sacrilège. Bonhomme en bon scénariste a su ménager le suspense. On se fait avoir en une poignée de cases. Le titre de l’album n’est pas gratuit, référence au film culte L’Homme qui tua Liberty Valance. Mais là où Bonhomme marque aussi des points c’est en dessinant un Lucky Luke terriblement humain, de chair et d’os, au visage parfois lassé, revenu de cette célébrité mise en scène dans l’album quand les enfants de Froggy Town l’entourent comme une star.
« Le western est intemporel, hors mode. J’ai voulu redonner de la substance à Lucky Luke ». On pense au travail d’Émile Bravo pour son Spirou. On se rassure, Lucky Luke tire toujours aussi vite que son ombre encore que sa main puisse trembler. Si on demande à Matthieu Bonhomme comment il a vécu ce compagnonnage avec Luke, il dit « avoir eu beaucoup de mal à le quitter. Lucky Luke ne m’appartient pas mais j’ai d’autres idées sur son avenir. Tout va dépendre de la façon dont sera reçu l’album mais j’avoue que j’en ferai bien un autre ». De là à souhaiter que le cow-boy solitaire poursuive sa route avec Bonhomme dans une série clone, il n’y a qu’un pas.
L’Homme qui tua Lucky Luke, Dargaud, 22,50 €
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