Matthieu Bonhomme s’est associé à Fabien Nury pour raconter l’histoire d’une princesse, Charlotte de Belgique, future impératrice du Mexique, mariée à Maximilien d’Autriche. Maximilien finira mal en ce milieu du XIXe siècle dans un Mexique où il n’avait rien à faire. Charlotte aura le destin d’une Lady Di avant l’heure. Il y aura quatre albums de Charlotte impératrice (Dargaud). Le premier tome met en place la dramaturgie. Matthieu Bonhomme après L’Homme qui a tué Lucky Luke, album brillant, Le (regretté) Marquis d’Anaon ou Esteban, se lance dans une fresque à fond historique, humaine et captivante. ligneclaire.info l’a rencontré à Quai des Bulles à Saint-Malo. Un entretien chaleureux avec un auteur dont le talent n’a jamais cessé de monter en puissance. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.
Revenons, Matthieu Bonhomme, sur le début de cette aventure avec Fabien Nury. Quelles ont été vos motivations à tous les deux pour choisir un personnage aussi atypique que Charlotte. On la connait surtout par le destin tragique de son mari Maximilien fusillé au Mexique ? C’est une histoire d’amour ?
Oui au début, on vit une histoire d’amour, belle mais courte. On ne s’est pas dit, tiens ce sujet on va le faire. Ce n’est pas comme ça que c’est passé. Fabien et moi, on se tourne autour depuis dix ans, on discute de nos lectures, de films. Il m’a proposé des projets que je n’ai pas accepté pour des raisons diverses. Il y a deux ans, il me parle de Charlotte. Je reçois un script et il me demande ce que j’en pense. J’ai dit, « c’est super, on y va ». J’avais depuis longtemps envie de travailler avec lui. C’est un projet de trois albums qui en fera quatre, un gros morceau. J’avais entendu parler de Maximilien d’Autriche, empereur du Mexique. C’était lointain. On le voit des fois dans un western comme Vera Cruz. On est dans une sorte de pré-révolution mexicaine et la France mêlée à un conflit qui ne le regarde pas en 1860. Autre point qui me plaisait c’était de raconter l’histoire vraie d’une femme. Après, l’époque, c’est celle de la plupart des westerns. On connait mais ce n’est pas un moment où je serai allé naturellement.
A dessiner, oui. Quand on fait une princesse, ça veut dite le faste, la robe, des personnages. C’est Cendrillon et on augmente le budget du film. Ce qui me demande un travail important de gestion de documentation, retrouver les uniformes.
Il y avait déjà une documentation accessible ?
Oui. Dans un premier temps, j’ai eu peur. Mais j’ai été soulagé car on a avancé ensemble sur le story-board et on s’est aperçu qu’en restant près des personnages la documentation n’était pas un problème. Et il y en avait beaucoup de choses sur cette époque charnière dans l’histoire de l’art avec encore de la peinture de cour. Charlotte, Léopold, Maximilien et en plus, c’est le début de la photo. Tous les nobles voulaient tableau et photo.
L’album est très précis, travaillé, très riche en détails.
C’est logique. Tu me dis princesse, je regarde la photo. Il y a la robe, le velouté des drapés la luisance des cheveux, le soin apporté à tous les petits détails qui vont montrer sa féminité et son rang social. Et en arrière-plan il y a toujours un canapé ou des moulures. Il faut le dessiner. C’est difficile et agréable. Il y a des scènes à gros budget et des scènes, intimes, proches d’elle, qui permettent de contraster les profondeurs de champs.
J’ai parlé de cinémascope dans ma chronique sur l’album, marquée par une évidente connivence entre Nury et toi.
C’est vrai. Notre première collaboration mais pas pour rien. Il avait repéré mon travail. Moi le sien. C’est plus difficile de repérer un scénariste. Il faut qu’il ait fait cinq ou six bouquins. Un dessinateur, on a compris en deux pages ce qu’est son dessin. Avec Nury, à chaque fois je trouvais quelque chose. Ce que moi je recherche quand j’écris et que retrouve chez lui. On a la même envie de raconter pour un large public, en approfondissant la personnalité des personnages. Il fallait le projet qui convient.
On se retrouve avec deux personnages qui sont un prétentieux imbu de lui-même et une femme déçue qui va disjoncter. Je la compare à Lady Di.
On est exactement dans le sujet. On l’a rapidement mis en place quand on discutait avec Fabien. C’est une princesse peu connue mais elle a tout pour elle. Belle, fraiche, dépassée par le politique et un destin tragique. C’est Lady Di, Sissi, Grace Kelly.
On s’en souvient non parce qu’elle a été heureuse mais malheureuse ?
Exactement. Un univers doré et elle est malheureuse. C’est ça qui la rend attachante. L’amour des Anglais pour Lady Di vient de là. Il n’y a pas d’enfant par contre avec Charlotte. Enfin… je ne peux pas en dire plus sur ce point.
Charlotte et Maximilien sont des pions sur l’échiquier de Napoléon III ?
Tout à fait. Ce qui est intéressant en adaptant en BD un fait historique c’est de faire vivre les héros, en en faisant des êtres humains, en comprenant leurs motivations.
Le prochain album, c’est dans un an ?
Oui. Je suis dessus. Ce premier tome, c’est la mise en place, la présentation. Le titre du second : l’Empire. Ce qui est drôle c’est de montrer que la politique et l’intime vont les pousser à partir au Mexique. C’est là où va se passer le tome 2 et le trois. On a trois actes. Le premier avec le tome 1, puis le second avec le 2 et le 3, et enfin le dernier avec le tome 4 et le retour de Charlotte en Europe.
On retrouve avec cette série la manie des grandes puissances de se mêler de ce qui ne les regarde pas ?
Oui comme les Américains depuis longtemps ou les Russes aujourd’hui. C’est l’impérialisme pur et dur. A l’époque de Charlotte, c’étaient des familles régnantes. Maintenant ce sont des grands groupes, des lobbies. Les riches imposent chez les autres leur puissance pour mieux se servir de leurs richesses.
Charlotte aurait pu éviter ce destin ?
Non. Il y a un moment où il y a la force du destin en particulier quand ils sont à Paris avec Napoléon III pour voir l’opéra de Verdi. Ils sont sur un tapis roulant et ne peuvent pas sauter. Ils sont le jouet du destin à l’antique. Il y a aussi un côté féministe. Elle veut exister dans un monde dirigé par le mâle dominant. Alors qu’elle doit faire ce qu’on lui dit. Une princesse, il y a toujours un homme pour lui dicter sa conduite. Son retour du Mexique sera terrible et elle finira complètement malade psychologiquement. Le tome 4 décrira sa fragilité. Elle arrive dans un jeu ultra violent avec la fraicheur d’un agneau. Elle va prendre les armes mais temporairement. On aurait pu en mettre encore plus sur Maximilien qui lui a fait voir les pierres. Pour la distraire par exemple, il amène sur la tombe de son ex et lui dit qu’il n’a aimé qu’elle. C’est vraiment un crétin prétentieux, un loser. A part quelques rares moments de gloire à la fin.
Vous vous êtes attachés aux personnages, à Charlotte ?
Oui. On a eu beaucoup de tendresse pour elle. Quand je m’empare d’une histoire ce sont les personnages qui vont m’intéresser. Aussi bien graphiquement que les attitudes, la démarche, la gestuelle. La faire grandir, murir.
Fabien Nury livre un scénario complet ?
Oui. J’ai eu d’abord eu un résumé des quatre albums. Puis un scénario complet, pas découpé case par case, ce que Fabien appelle une suite dialoguée. Ensemble on a découpé par bloc de pages, par séquence. Après il y a eu le story-board avec un vrai gros travail de collaboration avec plusieurs versions. C’est l’album secret le story-board. On peut faire du montage, enlever une scène, retarder au maximum le moment où les choses se figent. Ensuite cela permet d’aller plus vite.
Tu travailles de façon traditionnelle ?
Totalement. Grand format, encre de Chine, gouache blanche pour corriger.
Une parenthèse : Lucky Luke c’est vraiment terminé ?
Oui, c’était un seul album. Moi j’aimerais bien envisager autre chose mais c’est une marque Lucky Luke, des ayants-droits, un éditeur qui doit penser stratégie. Donc je ne suis qu’un intervenant. J’ai dit, « un jour si vous avez envie, je suis partant ». Mais Charlotte m’accapare. C’est mon œuvre. Je ferai peut-être une pause entre le 2 et le 3. Je n’ai jamais fait deux albums de suite d’une même série. Quatre je n’y arriverai pas. Je ferai un album de mon côté. Je mets en place des projets en ce moment. Ne me demande pas lesquels car quand les projets ne sont pas murs, en parler les tue. Tu ne prends pas les fruits d’un arbre qui pousse. C’est de l’ébauche pour l’instant et si j’en parle ça les cristallisent. Et mal peut-être.
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