Avec L’Abolition, Malo Kerfriden au dessin et Marie Gloris Bardiaux-Vaïente au scénario retracent tout le long travail et combat de Robert Badinter, maître d’œuvre de la fin de la peine de mort en France. Garde des Sceaux sous la présidence de Mitterrand qui s’était engagé sur l’abolition, Robert Badinter ira au bout de sa bataille. Un album d’une rare force sur lequel les deux auteurs reviennent lors de leur passage à Montpellier pendant la dernière Comédie du Livre. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.
Marie Gloris Bardiaux-Vaïente, Malo Kerfriden, vous vous connaissiez ou aviez déjà travaillé ensemble ?
M. G. : On se connaissait et quand j’ai monté le projet, qu’il a été accepté, il fallait que je trouve quelqu’un pour le dessiner. J’ai pensé à Malo. J’aimais son travail, il était abolitionniste et un sujet politique pouvait lui plaire. Plus la période des années 70.
Un travail commun partagé, c’était un sujet qui vous tenait à cœur ?
M. K. : Je connaissais le sujet comme n’importe qui, donc j’ai découvert beaucoup de choses. C’est un album qui commence l’année de ma naissance en 1972. Je me souviens de l’élection de Mitterrand en 81 mais comme le dit Marie c’était de me replonger graphiquement dans l’époque qui me tentait parce que je l’avais vécue.
C’était pour vous Marie une intime conviction de traiter de l’abolition ?
M. G. : J’avais sorti l’album La Guillotine avant et tous mes bouquins parlent de ça. En fait, si on prend le biais de la justice en lisant mes albums, on s’aperçoit que je ne sais pas m’en dégager. C’est un peu inhérent et plus ou moins fort selon la thématique. Là , avec Badinter, c’est frontal.
MG : Avant tout militante. J’avais besoin de comprendre les mécanismes qui me permettraient d’être plus pertinente dans mon militantisme. Il fallait que mon argumentaire soit factuel et pas qu’émotionnel.
Un gros travail ou vous aviez déjà suffisamment de documentation ?
MG : J’avais déjà 80 % de la recherche. Il fallait que je négocie avec moi-même ce que j’allais choisir. Il fallait nettoyer le sujet.
Il y a les faits qui ont marqués Badinter, l’exécution à laquelle il assiste, Bontems, mais beaucoup de gens étaient à l’époque pour la peine de mort. Il avait en face de lui des forces anti-abolition.
MG : Oui, mais il y a la séquence avec Seguin qui montre qu’il y avait une volonté trans partisane de l’abolition. On dit que c’est la gauche qui a fait voter la fin de la peine de mort. C’est vrai. Mais on a oublié les hommes de droite qui s’étaient battus pour elle. Moi, femme de gauche je voulais leur rendre hommage.
Comment avez-vous travaillé avec votre scénariste ?
MK : J’ai reçu le scénario au fur et à mesure. J’ai travaillé par séquences d’époque. Je viens plutôt du 46 pages couleur cartonnées. Comme La Banque. A chaque projet le sujet est différent et là il y avait 120 pages pour faire un roman graphique. Donc le format, les personnages réels, les faire ressemblants avec un travail entièrement sur ordinateur.
C’est plus simple pour vous ?
MK : C’est vrai qu’on est dans une production industrielle comme au cinéma et l’ordinateur offre des solutions de rapidité.
Qu’est-ce qui vous a le plus frappé dans cette histoire ?
M. K. : Je me souviens de l’affaire Patrick Henry. C’est plus l’affaire Buffet-Bontems, avec un pauvre type qui n’a pas tué qui est exécuté, qui m’a marquée. J’ai eu du mal à faire la scène de prise d’otages dans la prison. On a mis un an pour terminer l’album.
M. G. : Cela a été fait. Une fois de plus, il y a chez moi le souci de me demande ce que je peux dire de particulier sur un sujet. Sur Simone Veil, il n’y a rien qui n’ait déjà été dit. Un jour peut-être. L’abolition n’est pas une biographie de Badinter. Je reviens sur sa vie pour expliquer un fait. Je le prends comme un avocat de la défense qui va au bout de son combat.
En France, c’est impossible que la peine de mort soit rétablie ?
M. G. : Rien n’est jamais impossible. On est protégé constitutionnellement et par l’Union Européenne. Donc il faudrait que la Constitution soit annulée et que l’Union ait disparu. Je ne sais pas pour le futur mais aujourd’hui non.
Est-ce pour vous, en France, dans la population, la peine de mort reste ancrée dans les esprits ?
M. G. : Oui, le poids des attentats récents a joué avec des peurs irrationnelles et le bouc émissaire nécessaire.
Quelles sont les réactions de vos lecteurs ?
M. K. : En dédicace, on a beaucoup de gens qui travaillent dans le milieu de la justice. Le nom de Badinter a ses fans. C’est un personnage qui compte beaucoup sentimentalement dans l’opinion.
M. G. : On va le signer chez Glénat. On est sur la même thématique avec une personnalité plutôt du côté du condamné. Ce n’est pas la même époque et cela va me faire sortir de ma zone de confort. Il fallait que j’arrive à changer, à me renouveler. C’est une affaire très connue du XXe siècle. On parlera aussi d’antisémitisme. Mais on n’en dit pas plus. Ce sera le même style de format. Badinter, je l’avais pas conçu comme une succession de trois albums.
S’il y avait eu un référendum, mot qu’on entend beaucoup actuellement, sur la peine de mort quel aurait été le résultat d’après vous à l’époque ?
M. G. : L’abolition ne serait pas passée. C’est pour ça qu’il faut des parlementaires, des élus.
Badinter a lu votre album ?
M. G. : Je lui ai envoyé. Je ne l’ai pas informé avant pour qu’on ne me demande pas un droit de regard sur mon travail. Je n’ai pas eu de réponse à mon envoi. J’ai volontairement parlé de son enfance, de la Shoah, de sa famille. Cela m’a mis mal à l’aise de l’écrire.
Rapidement, vous signez aussi Les Reines de sang, vous avez d’autres envies ? Malo, la BD c’est compliqué ?
M. G. : Le tome trois de Cléopâtre est en marche et il y en aura cinq. Je mets des années en fait à écrire mes scénarios mais je ne fais plus que ça. C’est plaisant.
M. K. : Beaucoup de dessinateurs font de la pub pour arriver à faire de la BD. J’espère revenir au 46 pages couleur, la BD traditionnelle.
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