C’est aussi un des avantages du Festival d’Angoulême, avoir un bilan précis du marché de la BD. Partenaires privilégiés depuis quelques années, le Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême et GfK (qui a fait un excellent travail) s’associent pour observer et apporter des éclairages sur l’évolution du 9e art et les dynamiques qui y contribuent. Mais comme pour tout bilan, les constats doivent être interprétés. Alors, la BD en pleine forme ? Oui à condition de bien intégrer que désormais c’est le manga qui la porte. Et cela, mais on le dit du bout des lèvres, au détriment de la BD traditionnelle, franco-belge, et donc des auteurs qui en vivent. Une évolution imparable qui pourrait devenir une révolution. Analyses présentées en conférence le jeudi 26 janvier 2023 au Festival d’Angoulême dans le cadre du partenariat GfK – FIBD. J-L. TRUC
L’étude se réjouit que « après les sommets atteints en 2021, l’année 2022 confirme la situation exceptionnelle de la bande dessinée en France, pilier du marché du livre et des biens culturels. Ces résultats soulignent l’attachement et l’engouement des français pour le genre, qui continue de prouver son immense diversité, tant dans l’origine géographique de ses récits que dans l’éventail des thématiques qu’il aborde ». On généralise gaiement. Le manga accumule les records ce dont on ne peut que se féliciter car c’est du papier et cela montre que le public jeune qui le lit est attaché au support. 57 % des parts pour le manga ce n’est pas neutre et rien ne parle mieux qu’un bon graphique édité par GfK. On voit que le manga devient le leader et que la BD de genre stagne à 20%. Cherchez l’erreur mais on va rester optimiste puisque l’étude parle de façon pudique (voir ci-dessus) pour la BD franco-belge de « contrecoup mais dynamique bien présente ». A lire entre les lignes.
Ambiguïté donc car les prix de la BD augmentent. Celui du papier aussi. Un album aujourd’hui vaut dans les 15 euros, souvent plus et on atteint souvent plus de 20 euros. Le manga est toujours moins cher (7,9 euros), publie des séries en vagues rapprochées ce qu’attendent les lecteurs qui sont aussi accros aux séries TV, aux webtoons, dans un pays la France qui est après le Japon le deuxième consommateur du genre. On se réjouit que la BD toute tendances confondues représente 25,2 % du marché du livre en sachant qu’un livre vaut en moyenne 25 euros. On parlera non plus d’un marché qui se cherche mais qui s’est trouvé au moins provisoirement et va continuer dans le même sens. On pavoise, les éditeurs ont su ne plus placer tout leurs œufs dans le même panier, lancer des collections mangas, continuer à sur-publier des BD classiques qui, hormis quelques titres qui cartonnent (mais avec des ventes plus basses qu’autrefois), tournent souvent dans les 4 à 5000 exemplaires achetés.
Reste que les analyses font remarquer que la BD et le manga s’installent durablement dans les pratiques des Français. Le marché atteint 85 millions d’exemplaires neufs en 2022, soit 1 livre acheté sur 4 et un chiffre d’affaires de 921 millions d’euros selon les données GfK Market Intelligence. Si les ventes sont en léger retrait après l’exercice exceptionnel de 2021, l’univers reste dynamique, animé par la croissance continue du manga (+2%), l’objet culturel « Roman graphique » et des best-sellers installés dans les Top Ventes. Le manga toujours lui représente plus de 48 millions, plus d’1 titre BD vendu sur 2, tiré par le Shonen (36,5 millions d’exemplaires vendus, +4%) et une croissance notable côté Shojo (+15%) sur des volumes plus modestes (2 millions ex.). Le Top 10 des meilleures ventes de BD-manga reflète l’ancrage du genre manga dans le paysage éditorial français avec 6 titres, à la fois issus de séries historiques (One Piece, Naruto) et de nouvelles créations. Suivent en repli du fait d’historiques très forts en 2021 : 16,6 millions de BD de genre (-8%) et 16 millions d’exemplaires BD Jeunesse (-13%). Dans ce dernier segment, le marché hors impact des ventes Astérix n’affiche qu’une baisse plus contenue à -4%. Enfin, les ventes de Comics sont stables à 3,7 millions d’exemplaires en 2022.
On conclue en disant que tout va très bien madame la marquise. Mais qu’il y a quand même des tendances en sens contraire, la charge du manga qui donne en l’assimilant à la BD classique une vision décalée du marché. Ce qui n’est pas non plus à regretter car sa prospérité aide les éditeurs pour investir dans d’autres segments. On note aussi que sous le mot BD, c’est comme le dit l’étude, un objet culturel particulier, à forte implication et plusieurs tendances illustrent l’attachement des Français au format. Tout d’abord, les 2 meilleures ventes 2022 expriment le phénomène autour des récits biographiques et le relief singulier donné par le graphisme aux Fictions / Non-Fictions et « pédagogie » sur un thème donné. Ainsi, Le monde sans fin de M. Jancovici / J.C. Blain (Dargaud) et l’opus 6 de L’arabe du futur de R. Sattouf (Allary Éditions) ont atteint un statut de best-sellers. Dans le même temps, le Roman graphique prend une place de plus en plus importante dans les bibliothèques : ses ventes ont été multipliées par 7 en 10 ans et il représente 29% des BD de genre achetées en 2022. La preuve de cet attachement à l’objet est aussi visible en manga et Comics. Ainsi, le manga webtoon en version Imprimés, et audités par GfK Market Intelligence, représente déjà plus de 700 000 exemplaires et plus de 10 millions d’euros de CA en 2022. De leur côté, les versions Collector / Intégrale / Coffret de l’univers Comics représentent près de 200 000 ventes en 2022, en hausse de +50% en 5 ans, et ce malgré un prix moyen 3 fois supérieurs aux comics classiques. Un marché à suivre de près et dont il faut voir les répercussions sur des acteurs indissociables, les autrices et auteurs qui en vivent mais dans quelles conditions car il pourrait bien au final ne pas y avoir de place pour tous les genres.
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