Un retour sur quelques articles retrouvés parmi d’autres disparus. Ils ont en commun Manu Larcenet qui vient de publier le premier tome d’une nouvelle série en trompe l’œil, Thérapie de groupe. D’où cette publication d’archives qui retracent la sortie de quelques albums toujours incontournables. On avait publié Larcenet dans Midi Libre à l’époque, rencontré pour la première fois à Angoulême quelques heures avant que Le Combat ordinaire ne soit primé en 2004. Ensuite, au fil des parutions dans le désordre, ce sera Paris pour son Valerian, Montpellier pour Les Cosmonautes du futur, Nic Oumouk ou Blast. Manu Larcenet est unique dans tous les sens du terme. Par son talent d’abord, son inspiration, son honnêteté, ses faiblesses et parfois son désarroi, ses inquiétudes, sa tendresse. Larcenet a du génie tout simplement. A quand enfin le Grand Prix d’Angoulême ? Le Rapport de Brodeck est un chef d’œuvre. Et son illustration du Journal d’un corps de Pennac ? Parmi d’autres. Enfin quand on a un coup de blues, un seul album peut y remédier, la Légende de Robin des Bois. C’est tout dire. J-L. T.
Une aventure rocambolesque d’Attila, fléau de Dieu (2006)
Commençons par Manu Larcenet qui après nous avoir donné le tome 3 du Combat Ordinaire, une merveille, nous conte sur un dessin de Casanave la vie édifiante d’Attila roi des Huns, celui sous les pattes du cheval duquel l’herbe ne repousse jamais. Une terreur le bougre qui a marqué notre enfance. On va le voir dépressif ce brave Attila. Normal pour un conquérant qui n’a plus rien à envahir. Le monde lui appartient et il déprime sec. Pire il a tout conquis et il n’en a rien appris. Il devient aussi immortel. Ce qui va le gonfler et l’obliger à chercher Dieu pour qu’il lui rende sa mort. Larcenet philosophe parfois.
Une aventure rocambolesque d’Attila le Hun, Le Fléau de Dieu, Dargaud, 12 €
La France a peur de Nic Oumouk (2007)
A force de faire le pitre et de se prendre pour un dangereux révolutionnaire, un casseur de banlieue et un vrai bouffon, Nic Oumouk a gagné le gros lot. Il est puni par la société à qui il commence à casser sérieusement le moral à défaut d’autre chose. Bien fait. A lui les travaux d’intérêts généraux dans un bled pourri de la France profonde. Dans La France a peur de Nic Oumouk Manu Larcenet amène donc son jeune héros à la ferme tendance Retour à la terre assaisonné d’un zeste de Combat ordinaire. Et on rigole ferme.
Nic Oumouk, Tome 2, La France a peur de Nic Oumouk, Dargaud, 12 €
Larcenet au foyer pour Retour à la Terre (2008)
Un tome V du Retour à la Terre dans la lignée des épisodes précédents. Cette fois Manu, héros de choc scénarisé par Ferri, fait le dur apprentissage du père au foyer. Sa chère et tendre a repris le chemin de la fac et lui laisse un petit bout charmant mais pas facile à gérer. Capucine saute sur ses genoux, s’évade dans les champs, gazouille et prend sa place dans la famille. Manu s’empêtre, appréhende, stresse et se débrouille, accueille son copain Ferri. Autobiographie, tranches de vie en strips, Larcenet et Ferri excellent et nous ressemblent. On est toujours sous le charme du duo.
Le Retour à la terre, Tome 5, Les Révolutions, Dargaud, 12 €
Un drôle de soldat inconnu (2009)
Un cimetière, le monde n’est plus qu’un alignement de tombes sous la garde d’Ebenezer. On ne les compte plus les guerres mondiales. Un matin, le gardien solitaire voit débarquer un fringant revenant, le soldat inconnu, celui de l’Arc de Triomphe et il sent que le destin lui envoie peut-être un successeur. Le pas si brave soldat va faire le point sur son passé pas si glorieux et trouver, qui sait, la paix. Un comble. Manu Larcenet a écrit un conte fantastique pas si rigolo que ça. A méditer. Casanave dessine les aventures édifiantes du fossoyeur et de son dauphin.
Une Aventure rocambolesque du soldat inconnu, Crevaisons, Dargaud, 10,40 €
Le souffle du « Blast » de Larcenet est passé chez Sauramps à Montpellier
Le Retour à la Terre ou Le Combat ordinaire, Manu Larcenet a écrit Blast. Il était samedi, à Montpellier. Un bouquin énorme, dans tous les sens du terme, un pavé superbe, brillant, généreux, incontournable, Manu Larcenet a mis toute son âme et son talent dans Blast, son dernier album, une garde à vue en noir et blanc qui va se décliner en trois volumes. Et pour l’occasion, Manu Larcenet a été, samedi, l’invité d’une rencontre exceptionnelle organisée par Sauramps Polygone, à la médiathèque Federico Fellini, et a dédicacé ensuite.
Mais qui est donc Polza Mancini que « cuisinent » deux flics ? Il est gros, très gros Polza et on l’interroge sur le sort d’une certaine Carole dont on ne saura pas plus pour l’instant mais à qui il a fait des misères graves. Pour le faire parler, il va falloir la manière. Pour cerner le personnage, les deux enquêteurs s’y prennent avec douceur et fermeté alternée. Quand Polza leur raconte son enfance, sa vie avec son père dont il aura à gérer les derniers instants, quand Polza leur décrit ce « blast » qui l’a soudainement frappé à la vue de son corps décharné tel le souffle coloré d’une bombe, ils savent que le fil qu’ils déroulent peut casser à tout moment. Et Larcenet le sait aussi, lui, qui est le quatrième personnage, l’auteur et témoin, de ce voyage au bout d’une vie anodine transformée en road-movie picaresque et angoissant avec pour destination finale l’Île de Pâques.
Qui est le manipulateur ? Polza veut-il se raconter ou y est-il forcé par les deux flics ? Quel besoin a-t-il de mettre sur la table de la salle d’interrogatoire ses souvenirs, son absence de bonheur, lui, l’ancien critique gastronomique devenu clochard alcoolique qui se goinfre à en mourir de barres chocolatées ? Justification, explication, constat ? Et que va-t-on découvrir dans les albums à venir ? Manu Larcenet a transformé sa façon de travailler. Plus de planches traditionnelles. Il les découpe case par case, travaillée une par une puis scannée et remontée sur écran. Des gris, des noirs à l’aquarelle, des couleurs ponctuelles quand le héros, Polza, a ses flashs. Manu Larcenet s’est investi totalement dans son Blast, a traduit ses propres angoisses, ses peurs, peut-être, dans le personnage du glouton Polza. Et la pire aussi, on s’en doute quand on connaît Manu Larcenet l’inquiet, le sentimental du Combat ordinaire, celle de savoir comment ses lecteurs allaient recevoir son travail. Il peut être rassuré. Blast est un chef-d’œuvre à plus d’un titre. On y plonge avec lui en apnée, ébloui par son esthétisme, la poésie aussi du récit, du graphisme, sa tendresse et la puissance inégalée de son souffle.
Blast, Tome 1, Grasse carcasse, Dargaud, 22,50 €
Peu de gens savent (2010)
Un bouquin énorme, des portraits d’une page, tous illustrés. Manu Larcenet, peu de gens le savent, est un grand philosophe, fils naturel de Pierre Dac, Raymond Devos, Alphonse Allais, ou Guitry. Manu Larcenet écrit avec émotion et volonté, humour et tendresse ses pages ciselées qui viennent épauler des dessins qui, seuls, n’auraient pu parfois se défendre. Ou se comprendre. Association des mots et du trait, chaque portrait est à savourer, déguster. Larcenet jongle avec les mots, les malaxe et nous les propose en douceur. Son recueil au dos toilé doit devenir le livre de chevet de tout honnête homme.
Peu de gens savent, Les Rêveurs, 28 €
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