Comment la BD a-t-elle traité, parlé de la Guerre d’Algérie ? Sujet sensible encore 60 ans après les Accords d’Évian de 1962 et l’indépendance, le retour d’un million de rapatriés. Il n’existait pas d’ouvrage qui recense les albums parus sur le sujet, peu nombreux au début des années 80 puis de plus en plus au fil des ans. Luc Révillon s’est totalement investi dans ce travail qui, au final, permet de se plonger totalement dans Algérie 54-62, la guerre fantôme dans la bande dessinée francophone. Plus d’une centaine d’ouvrage sont recensés, une chronologie des évènements présentées, des interview de Jacques Ferrandez, Laurent Galandon, Philippe Richelle ou Frank Giroud, une très large illustration, avec Algérie 54-62, Luc Révillon signe une somme qui montre l’apport culturel de la BD sur un sujet aussi sensible mais totalement historique. Luc Révillon a confié à Ligne Claire comment il avait réalisé, et pourquoi cet ouvrage incontournable désormais. L’album sort le 15 avril et une exposition lui sera consacré à Blois lors du prochain BD Boum. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.
Luc Révillon, quelle a été ta motivation pour te lancer dans cette aventure ?
C’est un ensemble de choses. Je n’ai aucun lien avec l’Algérie. Aucune parenté mais quand j’étais en Terminale Philo, très jeune, est arrivé un prof qui passait la moitié des cours à nous parler de l’Algérie. Il était pied-noir. Cela m’a marqué. Ensuite, quand mon fils était jeune, j’étais en classe verte et je discutais avec l’accompagnateur. Un soir il me dit qu’il a fait la guerre d’Algérie et je lui ai répondu que je serais ravi qu’on en parle. Il m’a dit non et s’est fermé complètement. On sentait qu’il souffrait encore vingt ans après. Comme mon objet d’étude depuis 40 ans c’est la BD, lire Azrayen’ de Lax et Giroud avait été un choc. J’avais aussi lu Vidal mais tout dans Azrayen’ était remarquable. J’en ai parlé avec Giroud car il y a eu un projet de livre sur Giroud qui ne s’est pas fait.
Donc tu avais déjà des bases ?
Oui, j’ai approfondi plus tard notre entretien avec Giroud quand j’ai fini par me dire que l’Algérie était un sujet intéressant. La révélation a été le second cycle de Carnets d’Orient de Ferrandez. 300 pages sur la guerre d’Algérie c’était une première. C’est tout ça qui a fait que je me suis projeté sur ce sujet.
Sans donc le moindre lien direct. Ce qui n’est pas plus mal pour préserver une certaine objectivité.
C’est vrai qu’il y a eu un désintérêt et blocage peut-être mais c’est Ferrandez qui a libéré le sujet.
Oui mais jusqu’aux années 70 la BD est réservée aux enfants, aux jeunes. Après ça change. Parler de la Guerre d’Algérie mêmes sans évoquer la censure c’est compliqué et difficile à réduire aux bons et aux méchants. C’est ce que dit Stora par rapport au cinéma, il y a eu des films sur l’Algérie mais le public n’a pas envie d’aller les voir. On n’a pas d’enquête pour savoir vraiment pourquoi.
Il y a eu d’après toi une volonté de négation, d’oubli volontaire ? C’est la première guerre après 1945 où la France envoie plus d’un million d’appelés qui, pour beaucoup, ne savent pas où est l’Algérie, que ce sont des départements français ?
En 1982, ça touche une génération qui à 20 ans et n’a pas connu la guerre.
Ce qui n’empêche pas que leurs parents l’ont connu, vécu. Mais ce ne sont pas les mêmes lecteurs.
Il y a aussi la partie nostalgie appuyée par des romans fleuves comme ceux de Jacques Laurent au début des années 60, très Algérie française. Ce n’était pas de la BD mais l’Algérie est devenue une thématique.
Au départ quand j’ai commencé à travailler sur le sujet sans savoir ce que j’en ferai, en 2011, je sors aussi mon bouquin sur la Grande Guerre dans la BD. Après pourquoi ne pas faire la même chose avec la Guerre d’Algérie. Je me suis rendu compte que ce n’était pas autant attractif. En grattant en 2011, il y avait 50 albums. Aujourd’hui en 2021, je me suis arrêté à 106 albums. Il faut relativiser car il y a l’augmentation de la production BD en général. Je suis relativement surpris de voir que avec le 60e anniversaire des accords d’Évian il y a 5 albums qui ont paru en peu de temps. On voit beaucoup de récits de jeunes de la troisième génération. Le dernier que j’ai lu c’est Appelés d’Algérie de Deloupy.
14-18, il y avait le centenaire en 2018, c’est une sorte d’union nationale du souvenir. La Guerre d’Algérie si on pouvait on serait tenté de l’occulter ?
J’ai proposé de faire un article comparant le conscrit de 14 et l’appelé de 54. Cela va paraître bientôt. Malgré tout on peut faire une comparaison mais l’image qu’on a de la guerre de 14 a aussi évolué en BD et dans l’Histoire. Tardi y est pour beaucoup. La Guerre d’Algérie, c’est avant tout la sale guerre.
Avec une armée de professionnels au côté des appelés dans une Algérie qui est constitutionnellement la France.
Oui, comme si on faisait la guerre dans une province française. L’Algérie, c’était trois départements français et certes une colonie mais il y a un côté spécifique. La donne est différente et l’armée de métier est en pointe après l’Indochine. La BD c’est comme la littérature, le cinéma, les arts elle est aussi le reflet de notre société. Algériennes de Deloupy paru il y a quatre ans n’aurait pas pu être publié il y a 40 ans. Pas à cause de l’Algérie mais parce que les femmes tenaient la vedette absolue. C’est très intéressant de se plonger dans l’univers sociétal tout en restant accessible à tous les lecteurs avec une chronologie de la guerre en parallèle.
On est en 2022, on est à un clivage, à un tournant où les témoins disparaissent. Où va t-on dans le souvenir et l’histoire de cette guerre ?
Le dernier chapitre de mon livre c’est entre Histoire et Mémoire. J’ai lu le rapport de Stora. Je trouve qu’il faut dépasser l’aspect mémoriel pour entrer dans l’aspect historique. Les mémoires existent comme dans la BD où l’émotion prime. Les nouvelles générations racontent d’une façon plus ou moins romancé ce qu’on leur a raconté. La plupart le font dans un souci d’apaisement. Je n’ai pas trouvé de BD revancharde, polémique mais comme le dit Stora aujourd’hui la réconciliation des mémoires est complexe. Des petits pas à faire mais des deux côtés. Pour l’Algérie, c’est une guerre de libération, pour nous la sale guerre. On ne peut pas continuer sur ce clivage. L’Histoire doit prendre le dessus, être bi-latérale aussi bien sûr.
Algérie 54-62, La guerre fantôme dans la bande dessinée francophone, PLG, 22 €
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