Emmanuel Lepage est un éternel voyageur. Après nous avoir emmené sur les traces des voyages d’Anna, d’Ulysse, faire un tour sur le phare d’Ar-Men, il boucle un parcours maritime d’un rare esthétisme. Mais sur ses navires, Lepage n’était pas seul. Il y a Sophie Michel, la narratrice, et René Follet, illustrateur génial. Le trio s’est embarqué pour un dernier (allez savoir) cabotage sur des mers lointaines. Dans Les Voyages de Jules, Lepage laisse libre cours aux souvenirs de son héros, peintre et voyageur. Une fresque illustrée, rien vraiment d’une BD, où les textes manuscrits viennent en appui des dessins, des peintures. Un défi aussi cet album riche et coloré car il y avait, il y a, le risque que l’œil du lecteur, plus que dans les autres épisodes, cherche le trait du dessinateur, des illustrateurs Lepage et Follet, s’éloigne du récit. Et bien non. Il faut, et c’est simple, lire ces Voyages de Jules, comme un (Jules) Verne ou un (Joseph) Kessel, puis se laisser dériver au fil des pages hautes en couleurs et en verve des marines, des pirates ou autres aventuriers de la mer.
Jules Toulet a écrit son journal entre 1885 et 1932. Son manuscrit est là, dans ce recueil qui témoigne désormais de ses voyages. Il écrit à Anna et à Ammôn Kasacz que les les lecteurs des précédents albums ont appris à connaître. Il est fasciné par la mer. Un horizon en appelle un autre. Jules parle de ses maîtres dont les portraits accompagnent ses lettres. Sa mère, son père et bien sûr Ammôn qui lui a appris à préférer le mouvement à la facilité. Jules ira chez Ammôn près de Notre-Dame dont il va dessiner la flèche sans savoir que, bien plus tard, elle s’effondrera dans les flammes. Jules est certes le narrateur de son passé mais aussi un chroniqueur de son temps. Il racontera à Ammôn ses voyages, ses escales,se souviendra de leur première rencontre. Ammôn l’attendait. Tout deux sont passionnés d’aventures littéraires maritimes. Ammôn a illustré Robinson Crusoé, un signe du destin.
On suit pas à pas, vague après vague, Jules. Il est à la recherche de lui-même. Lepage aussi peut-être, encore que ce soit Sophie Michel qui donne le cap. On n’oublie pas René Follet que Lepage qualifie à juste titre « du plus cèlèbre méconnu » du 9e art. Les Voyages de Jules sont une balade poétique, sensuelle, historique pour les rappels et repères, épique, amoureuse. Ces Voyages sont également un répertoire attentionné des plus grands auteurs aventuriers, London, Falkner, Conrad. On accompagne Jules, et c’est là qu’on peut parler de réussite, dans la démarche créative de Emmanuel Lepage et Sophie Michel, les illustrations issues des albums de Follet, de Moby Dick à Pêcheur d’Islande. Les Voyages de Jules, comme ceux d’Anna et d’Ulysse, sont à lire, relire pour se laisser emporter par un romantisme échevelé bien rare de nos jours.
Les Voyages de Jules, Éditions Daniel Maghen, 35 €
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