Leo et Rodolphe sont deux complices. Ils se sont rencontrés pour Trent dans les années quatre-vingt-dix, jusqu’à Kenya et Namibia aujourd’hui. Des plaines glacées canadiennes à la savane africaine, ils se retrouvent, cette fois, en vue de Centaurus. Cette étoile lointaine a un satellite, Vera. La planète pourrait accueillir les derniers Terriens, qui, depuis des siècles, errent dans l’espace. Zoran Janjetov est au dessin de cette nouvelle série, un space opera chez Delcourt qui associe science-fiction et grande aventure. Par Jean-Laurent TRUC. Ce texte a aussi paru dans ZOO de février.
Un vaisseau gigantesque en forme de cylindre est parti de Terre il y a quatre cents ans. A son bord, plusieurs milliers de Terriens, des survivants qui fuient une planète dévastée et espèrent atteindre Véra, un satellite de Centaurus. « Au départ nous n’avions pas, avec Leo, d’idée précise sur le scénario », commence Rodolphe. C’est Delcourt qui leur a proposé de travailler sur un projet éditorial pour le dessinateur Janjetov. « Nous n’avons pas voulu laisser passer l’occasion », ajoute Rodolphe. « Un vrai travail d’éditeur qui a permis de constituer un excellent trio, Leo, Janjetov et moi ». Mais un vrai challenge car il fallait trouver une bonne histoire continue Rodolphe. « Nous avons beaucoup discuté avec Leo et l’idée du vaisseau mère, des pionniers est apparue. Elle a fusé et on l’a prise. C’est vrai qu’en travaillant sur nos séries précédentes, nous sommes rodés à ce ping-pong intellectuel où nous confrontons, épurons ou rejetons de concert nos idées. Nous nous libérons à deux de l’angoisse du scénario qui piétine. On se stimule mutuellement. C’est rassurant ».
Au cours de petits repas en tête à tête, Centaurus s’est bâti peu à peu. « Lors de nos déjeuners, très agréables », concède Rodolphe avec un sourire gourmand, « les strates se sont mises en place. Nous prenons des notes, des résumés de nos travaux. On relit, on élague. La structure prend forme ainsi que le déroulé de l’action, les séquences avec le nombre de planches chiffré. On y revient une dernière fois et on envoie le scénario à Janjetov qui a dessiné Les Technopères ou Ogredog sur des textes de Jodorowsky ». Il y a pire comme méthode. Elle a fait ses preuves.
Deux jumelles aux curieux pouvoirs
Le space opera, Leo excelle dans ce domaine qu’il connait bien depuis Aldebaran. « Nos imaginaires avec Rodolphe se nourrissent l’un de l’autre. Pas de freins, pas d’ego. Nous ne connaissions pas Janjetov et la demande de l’éditeur était d’écrire pour lui une histoire de science-fiction. L’idée de ce vaisseau, pour ses habitants une fausse planète reconstituée qui leur permet de vivre sans angoisse, ouvrait beaucoup de pistes. La plupart de ses futurs colons ne savent pas qu’ils sont dans un vaisseau spatial ». Astuce intéressante qui autorise à surfer sur la surprise de certains des personnages quand ils l’apprennent.
Centaurus est la constellation la plus proche de la Terre. Quand la planète Véra, son satellite, est en vue du vaisseau, il faut bien aller y jeter un coup d’œil, vérifier si elle viable ou pas et si elle n’est pas déjà habitée. De curieuses visions ont été reçues à bord du vaisseau par une jeune femme, June. Elle a vu un dessin en forme de triangle qui correspond au tracé d’un site sur Véra que l’on aperçoit depuis le vaisseau. June est pourtant aveugle et c’est sa jumelle, Joy qui correspond avec elle par télépathie, lui sert de guide. Les deux sœurs et leurs pouvoirs intéressent beaucoup le commandant de l’expédition au moment où se prépare une mission de reconnaissance avant le débarquement final.
« C’est leur dernière chance. Le vaisseau est en mauvais état et il n’a presque plus de carburant ». Leo savoure à l’avance tous les rebondissements qu’avec Rodolphe ils ont trouvés pour Centaurus qui se déclinera en cinq tomes dont le second est déjà écrit. « Nous avons deux histoires en une. La première se passe à bord du vaisseau où, on va le voir, il y a peut-être un intrus venu de l’extérieur. La seconde à Vera pour cadre avec ce commando qui explore la planète, trouve des ruines, des animaux monstrueux et, qui sait, des habitants. Difficile à gérer, mais à deux on peut compliquer les choses. Rodolphe et moi sommes de la même génération et avons les mêmes références en particulier cinématographiques, aimons les mêmes BD ».
Carte blanche et beaucoup de plaisir
La Terre promise, nom du premier épisode, sera-t-elle à la hauteur des espoirs de ces vagabonds de l’espace ? Rodolphe est clair : « Ils ont l’épée dans les reins. Quitte ou double. Il y a une citation que j’aime beaucoup : nous sommes des déportés dans un monde étranger qui s’appelle le futur. Ils sont comme ces immigrants irlandais qui en 1850 partent vers l’Amérique pour échapper à la famine ».
D’accord, on se doute que leur espoir ne sera pas déçu au final. Et les héros, les jumelles, leur copain Bram ? Comment sont-ils arrivés dans cette galère ? « On avait carte blanche de l’éditeur et on s’est beaucoup amusé avec Rodolphe », qui, lui, ajoute : « Il fallait créer une équipe avec les jumelles mais aussi des professionnels comme le pilote, le garde du corps et ce bon géant, Bram, moins naïf qu’il n’y paraît. Nous ne voulions pas de vision manichéenne, les gentils et les méchants. On a défini les caractères comme on l’avait fait pour Kenya ».
Et Leo d’enchaîner : « Rodolphe est plus sur les dialogues, moi sur le visuel. Pour la technique, le vaisseau spatial aussi car j’ai un passé d’ingénieur. Ce n’est pas finalement que l’action qui prévaut dans Centaurus. C’est l’épaisseur des personnages, leur psychologie. L’idée des deux sœurs, c’est Rodolphe qui a dit, mais pourquoi pas des jumelles ? ». Pas d’affolement, l’action il y en a, dans la lignée d’Aldebaran ou d’Antarès. Centaurus est un roman d’aventures bien cadré, un feuilleton aussi, Rodolphe le revendique. Dès de début les deux amis ont trouve le fil conducteur, éliminé les incohérences, remis à plus tard des réponses à certaines questions, et s’autorisent des changements de cap si besoin.
Quand on se plonge dans Centaurus on n’a qu’une envie, lire la suite. Sans flatterie de circonstance. Le rythme de parution sera soutenu. Côté dessin, Janjetov a, selon Leo, apporté beaucoup à Centaurus. « Il est très fort. Il a rajouté plein de détails, travaillé sur des cases intermédiaires. Il ne cherche jamais la facilité, très minutieux, un beau dessin réaliste ». Un compliment mérité et qui vient d’un maître en la matière.
Leo et Rodolphe ont d’autres chantiers en commun. Le dernier tome de Namibia arrive. Il y aura une suite, Amazonia chez Dargaud. Leo, lui, est presque à la fin du tome 6, dernier de sa série Antarès tout en continuant Ultime Frontière avec Icar pour le tome 2. Et pourquoi pas dans la foulée un Retour à Aldebaran ? Infatigable Leo, qui, avec Rodolphe, va continuer les petits repas, ceux où naissent les grandes aventures.
Centaurus, Tome 1, Terre Promise par Leo, Rodolphe et Janjetov, 48 pages couleur, Delcourt, 11,99 €
C’est un Truc de ouf que vous nous faite la!!!!!