Richard Guérineau nous en avait parlé pendant son interview à Nîmes. L’Ombre des Lumières signé par Alain Ayroles au scénario rassemble le courrier illustré d’un dépravé jouisseur notoire, Machiavel de la conquête impossible, le chevalier Justin Fleuri de Saint-Sauveur. On est au XVIIIe siècle, on oublie la fort aimable Madame de Sévigné mais on flirte avec Casanova en encore plus doué, plus tordu et immoral. Alors fiction épistolaire ou vrai recueil de lettres retranscrit par un rédacteur anonyme qui en fait la préface, le doute plane mais l’album lui est bien là pour nous plonger dans un monde où le vice est l’ennemi de la vertu. Délicat et subtil, pendant ce siècle dit des Lumières pour sa richesse, intellectuelle ou morale, l’ombre va planer et jeter le trouble, et pire encore. Une variation subtile malgré tout un vrai bonheur qui repose sur l’écrit, sur ses lettres sur papier qui on disparu de notre vie avec les mails et les SMS. Horreur.
Tout commence en mai 1745, première lettre du chevalier à une dame noble évidemment. On y parle de la coquette et jolie Eunice de Clairefont inaccessible mais rien ne peut l’être pour le chevalier qui lui envoie des lettres. Son mari part en voyage, et elle sera une bonne épouse que diantre. Mais elle veut avoir le droit d’apprendre et penser. Elle va même sur le terrain Eunice voir ses gueux bien au fait de nouvelles techniques agraires. Mais son abbé la met en garde sur le risque que les manants veuillent prendre leur avenir en main. En juin elle continue à parcourir les champs et croise la route de Corentin du Préau de Vazelles baron de La Tournerie. Pas moins. Il lui évite d’être bousculée par une chaise de poste. Il lui parle de Saint-Sauveur à la fort mauvaise réputation. Corentin et Coralie entame une correspondance. Il a honte de la misère qui règne chez les plus humbles et retourne voir la belle pour quelques expériences très scientifiques.
On va y ajouter la très manipulatrice baronne de Féranville chez qui se trouve hébergé Corentin qualifié de lugubre, on dine en parlant de Voltaire. Tout se met en place avec les lettres qui sont illustrées, mais où est donc l’infâme Saint-Sauveur ? Il y a avec Ayroles le mystère astucieux, la subtilité des mots et des actes qui vont accompagner au plus profond de ses turpitudes le très doué Saint-Sauveur à la façon des Liaisons dangereuses. Un puzzle dont toutes les pièces vont s’imbriquer sur le beau dessin de Guérineau, élégant à la suite d’un infâme mais enviable parfois libertin. A surtout ne pas manquer et proposé dans une belle livrée.
L’Ombre des Lumières, Tome 1, L’Ennemi du genre humain, Delcourt, 19,99 €
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