Léo Saint-Clair, le Nyctalope, est de retour chez Delcourt. Titre définitif de la série, L’Œil de la Nuit, T1 Ami du mystère. Cela après quelques débats avec les ayants-droits qui ont obligé à repousser la parution. Le scénariste Serge Lehman l’avait déjà embarqué dans sa Brigade Chimérique. Cette fois on saura tout sur ce super-héros avant la lettre. Le Nyctalope a fait ses débuts au début du XXe siècle dans un feuilleton quotidien de Jean de La Hire que Lehman a dépoussiéré avec Gess au dessin. Par Jean-Laurent TRUC
Un nyctalope c’est quelqu’un qui voit la nuit comme en plein jour. Léo Saint-Clair va le devenir accidentellement. On est en 1911. Détective souffreteux au regard mystique, cardiaque, Léo Saint-Clair a un père puissant, connaît toute l’aristocratie parisienne et est fiancé à la fille d’un ministre. Arsène Lupin, Fantômas, Rouletabille et autres Sherlock Holmes n’ont qu’à bien se tenir. Léo va se lancer à la poursuite de ceux qui ont volé le Radiant Z, un brouilleur radio capable de semer la panique à bord des cuirassés français. Serge Lehman a un faible pour ce nyctalope qui ne paye pas de mine : « Il est né dans les pages du journal Le Matin. C’est un personnage de justicier d’un type nouveau. Il est scientifiquement apte mais se débrouille avec l’occulte. Il voyage dans l’espace, dans le temps, se marie, découvre des mondes perdus, divorce, affronte des super-criminels. C’est un vrai super-héros, peut-être le premier de tous ». En prime il va aussi être le premier greffé cardiaque par un savant délirant qui a pris le docteur Frankenstein pour modèle.
C’est le mélange des genres qui est séduisant dans le héros créé par La Hire auteur prolifique de centaines de romans très inégaux. Action, fantastique, extra-terrestres et personnages historiques, Clémenceau va croiser Flammarion spécialiste des rapts cosmiques. Bertillon se sert de sa théorie sur les empreintes digitales. Jules Verne n’est pas loin et hommage est rendu à Maurice Leblanc et Gaston Leroux. Lehman a brassé le tout et a rendu une copie étonnante de richesse en près de 100 pages qui seront éditées au format comics.
Pourquoi avoir voulu faire revivre le personnage du Nyctalope ? « Jean de La Hire » répond Serge Lehman, « est un feuilletoniste prolifique. Son monde méritait d’être réveillé, un gigantesque cross-over de toute la science-fiction de l’époque. La Hire lui-même se met en scène en confident de son héros. Tout ça est très moderne. Et puis, un archétype de super-héros français d’avant la guerre de 14, c’est comme un fossile vivant. On a envie de le voir de ses yeux ».
Léo Saint-Clair assiste au vol des bijoux d’une momie venue de l’espace. Elle a un petit air de Rascar Capac et on pense à Adèle Blanc-Sec quand la momie survole les toits de Paris. Mais plus qu’un détective Saint-Clair est un chasseur d’espions qui veulent du mal à notre doux pays. Déjà dans La Brigade chimérique, le Nyctalope faisait face aux ennemis de la patrie : « Le Nyctalope était l’un personnages centraux de la Brigade. Beaucoup plus âgé. L’histoire se déroulait en 1939. Superflic parisien ayant renoncé à ses principes, obsédé par sa propre image, il rate la dernière occasion de s’opposer au nazisme avant la catastrophe. Le Nyctalope est un personnage très riche. Il exprime certaines des contradictions et des blessures les plus profondes de la culture française. Il a beaucoup de choses à dire », complète Serge Lehman.
Fantasmes scientifiques et Guerre des Mondes
A la poursuite du couple infernal formé par la vénéneuse Katia Gardeff et Sadi Khan voleur du Radiant Z, Saint-Clair pilote le stratogyre, un prototype révolutionnaire tout droit sorti de l’univers de Verne. Serge Lehman n’a pas gommé la partie fantastique de l’œuvre de La Hire. Il a volontairement continué à mixer réalité et fiction : « C’est un peu notre marque de fabrique avec Gess . On part du réel, à un moment donné de l’Histoire, et on rend visibles les mythologies qui sont dans l’air. En 1911, la SF européenne était déjà bien lancée avec Verne, Rosny, Wells et Conan Doyle. C’était une époque de fantasmes scientifiques très forts sur l’origine des races, la conquête de l’espace, le spiritisme, l’ambiance Fantômas et La Guerre des mondes. Les aventures du Nyctalope s’inscrivent dans ce registre ».
Côté dessin, Gess, dont le style rappelle Savard ou Kordey, a un trait réaliste imprégné de l’ambiance des grands films noirs de détectives des années quarante. Il s’est approprié l’univers graphique du Nyctalope assez facilement précise Lehman : « Gess a fait un travail de recherche et de documentation énorme. Je crois qu’il a projeté sur cet univers une envie qu’il avait depuis longtemps, un désir de retrouvailles esthétiques. La belle époque et les années folles sont d’une beauté plastique exceptionnelle ».
Le Nyctalope Léo Saint-Clair a une grande force, il suscite la sympathie, il est fascinant. On le plaint pour sa santé défaillante et on est bluffé par ses qualités d’enquêteur. Serge Lehman et Gess lui ont donné corps et âme avec talent, sincérité et émotion sur de très bonnes couleurs de Delf.
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