On en était un peu resté avec Jean-Louis Tripp à Extases ou à Magasin Général pour des animations, à des rencontres dans des festivals méditerranéens, à sa pièce jouée à BD Plage Sète. Le voila de retour avec un album, un roman graphique peu importe de plus de 300 pages qui marque non pas un tournant mais une étape cruciale dans sa vie certes d’artiste mais aussi d’homme. Le Petit frère, c’est l’histoire d’un drame, d’une déchirure à vie, la perte d’un être qui est le plus proche de soi et qu’il n’est pas dans la logique de voir partir gamin. Tripp a su avec une vraie sensibilité à fleur de peau parler, tenter de se désenvouter de cette mort qui le hante dont il va se sentir responsable, lui l’ainé pris au piège d’une tragédie qui sera aussi familiale. Le récit est d’une absolue dignité, fort, imprégné d’une émotion que son dessin en plus renforce, souligne. On dépasse la simple narration pour presque parler de confession et de tentative de rédemption. Une œuvre d’un réalisme brutal bourrée de sentiments épars et qui touchent au cœur.
En Bretagne des vacances en roulotte, la joie, la famille, la tante Jacotte, son mari Jean-Claude. On est en 1976. La mère car les parents ont divorcé. Jean-Louis 18 ans, sa copine, Dominique le frère 14 ans et le petit dernier Gilles 12 ans. Le soleil, la bonne humeur et une route plus étroite, Gilles qui hurle du Fugain, rigole, rejoint son frère sur le devant de la roulotte, veut descendre côté route, à gauche. Jean-Louis le retient par le poignée. Un éclair vert et Gilles disparait, happé par une voiture. Un bruit affreux, le corps sur la route, la voiture qui fuit, l’impuissance car personne ne passe, l’horreur de tous autour du corps, la maman qui est allongée contre Gilles. Les secours qui mettent du temps, l’hôpital et l’attente. Le pire, insupportable, ne pas savoir, on ne vous dit rien. Les images du passé récent qui se télescopent, le chauffard que l’on a retrouve, un type normal et la culpabilité du grand-frère qui a lâché la main du petit. Enfin la vérité, la mort, la déchirure.
Comment parler de réussite avec un sujet pareil, bouleversant ? Pourtant tout est juste dans ce que Tripp dit, raconte, montre. Les obsèques, les années qui passent, les parents à jamais marqué. Le lent retour à la vie, le souvenir d’une mort injuste qui restera ancrée dans la mémoire de tous. On parle de parcours de deuil mais pour aller où ? Jean-Louis Tripp n’efface rien mais va vivre avec comme on dit. Il dit aussi qu’on ne devrait pas mourir à 29 ans non plus, ni à 11. Peut-être qu’on est encore plus touché par Le Petit Frère si on a aussi été confronté à l’identique, ainé qui voit disparaître quatre frères et sœurs plus jeunes, pour causes diverses. Mais, en lui-même ce décryptage de Tripp apporte sa part de bonheur lucide qu’il faut savoir retrouver en gardant en tête à jamais la force des souvenirs joyeux pour, en plus, ne pas oublier.
Le Petit Frère, Casterman, 28 €
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