L’attaque kamikaze le 11 septembre 2001 de deux avions de ligne sur les tours jumelles de New York est ancré dans toutes les mémoires. Vingt ans sont passés. Qu’en savent ceux qui n’étaient pas nés à l’époque ? Dans 11 septembre 2001, le jour où le monde a basculé, le journaliste Baptiste Bouthier au scénario et Héloïse Chochois au dessin racontent les faits mais vont plus loin. Ils dressent un état des lieux géopolitique et tirent les conséquences du 11 septembre aujourd’hui. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.
Héloïse Chochois, Baptiste Bouthier, comment cet album, 11 septembre le jour où le monde a basculé, a-t-il été conçu ?
Baptiste Bouthier : Au départ cela me concerne directement. Je suis journaliste avant tout. Je suis passé à Libération, à La Revue Dessinée, et de plusieurs années je travaille pour Topo. Début 2019, la rédactrice en chef de Topo, Laurence Fredet, me dit, « cela va être les 20 ans du 11 septembre et on aimerait faire une BD pour le raconter à ceux qui ne l’ont pas vécu ». Tout ceux par contre qui l’ont vécu se souviennent de là où ils étaient, où ils l’ont appris. L’idée était de raconter ce qu’il s’était passé à l’époque avec le point de vue de quelqu’un qui leur ressemble.
C’est un album ciblé ?
B.B : Non, au début le but était de raconter le 11 septembre donc à ceux qui ne l’avaient pas vécu, qui n’étaient pas nés. Je vais un peu vite. Ce sont les 20 ans mais pour ceux qui l’ont vécu en fait. Si on est ado aujourd’hui, on sait peut-être qui est Ben Laden, les Tours mais pas Bush, Guantanamo. On voulait répondre à ce manque de détails.
C’est un retour en arrière, une sorte de tranche du siècle avec ce qu’elle a amenée au monde d’aujourd’hui ? Un récapitulatif ?
B.B : L’idée était aussi d’expliquer, donner des clés et montrer que cet évènement a défini le monde dans lequel ils vivent aujourd’hui. Ce dont ils ne se rendent pas compte obligatoirement ou ne savent pas.
Heloïse Chochois : Moi, je me souviens bien des barrières devant les écoles, les poubelles verrouillées, tout ce qui avait été mis en place à cause du 11 Septembre.
B.B : Oui, les fouilles de sac etc. Tout mis bout à bout fait partie désormais de notre environnement.
Vous avez écrit un scénario complet sur ce sujet ?
B.B : Non, c’est ma première BD en librairie. J’avais fait des sujets courts pour Topo. Je me suis lancé, il fallait trouver le fil rouge, le personnage français, dire comment en France ont a vécu les choses, comment on a reçu le 11 Septembre à l’époque. Aujourd’hui on ne le recevrait pas de la même façon avec les réseaux sociaux. Le monde s’arrêterait de tourner de suite. Juliette, qui est un peu l’héroïne de ce livre, l’apprend par sa mère. On pouvait aussi raconter la réalité de 2001 avec des moyens de communication assez simple.
H.C. : Ma mère était dans le train quand elle l’a appris. Les gens écoutaient les radios en continu.
Votre scénario était très élaboré ?
B.B : Sur la feuille de route au départ il y avait, je vous l’ai dit, raconter le 11 Septembre à ceux qui n’étaient pas nés. Documentation, brasser l’évènement, les conséquences puis travail sur un synopsis pour le fil rouge avec Juliette qui est le témoin. Puis faire la fusion entre le 11 Septembre et les évènements vécus ensuite.
Vous vous connaissiez tous les deux, Heloïse et vous ?
H.C. : Pas du tout. C’est aussi Laurence Fredet qui m’a contacté pour savoir si j’étais disponible. Il fallait répondre dans les deux jours (rires). J’ai dit oui. Le pitch était intéressant, j’aime Topo au niveau de ce qu’ils proposent en reportages dessinés. Donc j’avais envie de travailler avec eux sur ce projet.
Et vous avez commencé quand ?
B.B. : Peu de temps avant le confinement. Mars 2019 on peut dire.
Le 11 Septembre, il y a des témoignages précis que vous rapportez, certains moins connus, pourquoi par exemple les hélicos ne sont pas venus ?
B.B. : Le nuage de fumée pour les hélicoptères et le fait que les tours n’ont pas tenu longtemps l’ont empêché. Pour comprendre le 11 Septembre, il faut comprendre que les gens à l’intérieur ne se sentent pas en danger. Et les tours se sont écroulées, ce qui a été une surprise monstrueuse.
Il y a le déroulement des évènements, le dessin est parfait comme le découpage. Tout est bien expliqué, l’élimination de Ben Laden. Cela fait un peu ouvrage de référence.
B.B. : Tant mieux. Il fallait que tout ce qui était important soit dans le livre. Ensuite faire vingt ans de géopolitique en 45 pages pour aller plus loin, ce n’était pas évident.
On a l’impression que le 11 Septembre est un train fou où les wagons s’accrochent depuis, pour une gare inconnue car on ne sait pas de quoi demain sera fait. Charlie, le Bataclan a aussi dépassé les attentats de Madrid ou Londres et où va-t-on d’après vous ? Le 11 Septembre a ouvert des portes terrifiantes, des possibles inimaginables ?
B.B. : J’ai l’impression que ce sont des montagnes russes. Cela fait quelque temps qu’il n’y a pas eu d’attaques massives mais on est passé à autre chose.
Oui mais vous dites aussi très justement qu’on pensait après Londres être protégé des attentats car la France ne s’était pas battue en Irak en 2003.
B.B. : Mais depuis il y a eu Daech, l’État Islamique, la Syrie. On est en Europe et en France sur des actes de loups solitaires. C’est cyclique et cela peut revenir. Il y a une opposition entre un Occident ennemi à abattre, faire souffrir par un terrorisme islamiste. Vu les conflits actuels dans les états musulmans cela ne disparaîtra pas. Les Talibans existent toujours et progressent alors qu’il y a 20 ans les USA rentrent en guerre pour les éradiquer.
Le travail de recherche a été compliqué pour le dessin ?
H.C. : Baptiste m’a fourni beaucoup de sources visuelles pour ne pas se planter. Mais avec Internet on peut se balader dans des villes où on n’est jamais allé. Comme New York de l’époque ou aujourd’hui. Il y a énormément de films d’archives. Pareil pour tous les détails nécessaires à la crédibilité des scènes.
B.B. : C’est l’évènement le mieux documenté de ces vingt dernières années. C’est facile même pour des choses qui paraissent plus inaccessibles comme la journée de Bush le 11 septembre, toutes les photos, plus de 600, sont déclassifiées. Donc on peut tout mettre en scène. Il a fallu reconstituer par contre ce qu’étaient les bureaux dans les Tours.
H.C. : Oui, cela a été beaucoup plus difficile. Et à quoi ressemblait les étages défoncés car il n’y a pas d’images.
Vous revenez aussi sur l’effet de surprise, un acte non prévu par les services de renseignements ?
B.B. : Rétrospectivement, un acte d’une telle ampleur était imprévisible et depuis il n’y en a pas eu d’autres. L’évènement est fou, unique, et il va le rester. L’aspect spectaculaire, c’est le choix de la couverture de l’album parce que l’acte est démentiel. Ce serait un film, on ne le jugerait pas crédible.
H.C. : C’est exactement ça.
Comment pensez-vous que cela va être reçu par les lecteurs qui à priori n’ont pas vécu le 11 Septembre ?
H.C. : En fait, il n’y a pas que ce lectorat même si quand on fait une BD documentaire il faut choisir un public. On s’adresse à lui d’une certaine façon. Ce sont des gens qui ont déjà une idée de ce qui s’est passé mais cela va rayonner comme une BD qui reprend tous les points importants et concerne ceux qui voudront se rafraichir la mémoire.
Comment avez-vous fonctionné tous les deux ?
H.C. : Avec des mails, tout a été fluide, le scénario était très clair.
B.B. : Il y avait beaucoup de liberté tout en voulant être très précis pour Héloïse, l’aider. Je séquençais mais elle pouvait changer. Il y a eu des ajustements mais le synopsis était déjà une sorte de mini-chapitrage. Cela a minimisé les blocages.
H.C. : Du coup comme il avait fait tout le travail de recherche documentaire, cela a évité des allers-retours si c’était moi qui l’avait fait. J’ai moins l’habitude dont avec des sources déjà données c’était plus simple.
Il y a une prise de position dans votre récit ou pas ?
B.B. : Non, pas volontaire. Il y a beaucoup de vécu dans cet album donc on est très réaliste avec nos propres souvenirs. Dans les suites aussi, l’aéroport, les fouilles, je l’ai vécu. Il y aussi les conséquences cachées, les maladies qui frappent les sauveteurs qui ont été par la suite maltraités. Il n’y a pas de volonté consciente d’aller dans un sens ou un autre. Je n’ai rien évacué. J’ai aussi évoqué la théorie du complot, discrètement mais sans rentrer dans le débat. Il faudrait faire une BD sur le sujet.
Qu’est-ce qui vous tenterait ensuite ?
B.B. : J’aime la BD documentaire, l’enquête. Je n’ai pas de sujet en tête. J’aime les USA, en 2016, j’y était pour les Présidentielles pour Libé. La politique française aussi. La BD c’est nouveau pour moi.
H.C. : Continuer à faire des BD documentaires car cela m’a toujours plus et je n’ai pas fini d’explorer le sujet. J’ai une BD qui sort en octobre prochain sur le XVIIe siècle en France dans la collection Histoire de France en BD. Je travaille aussi sur le microbiote intestinal. Un peu le grand écart (rires).
Vous n’êtes pas tenté par la BD réaliste, la fiction ?
H.C. : Ce qui m’intéresse, c’est l’objet BD pour transmettre, raconter des histoires. Comment utiliser la page, la case, la technique, c’est un art séquentiel dans le temps. C’est un médium dans l’espace, on organise les pages, une dualité temps et espace
B.B. : La BD, c’est efficace et utile. Elle facilite la compréhension des choses, les rend accessible. Je suis journaliste et donc cela me permet de dépasser l’écriture journalistique. Il y a énormément de choses à faire, c’est neuf comme spécialité.
Vous êtes des lecteurs de BD ?
B.B. : Un énorme lecteur, de la fiction, du franco-belge, fan de Trondheim, des romans graphiques Je suis éclectique.
H.C. : Moi, aussi je reste ouvert à tous les genres, manga compris, comics un peu moins. On s’approprie le rythme du manga, cela peut faite évoluer la BD. La BD est un art en mouvement, encore faut-il voir comment, avec ses modes parfois aléatoires.
11 septembre 2001, le jour où le monde a basculé, Dargaud, 144 pages, 18 €
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