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Interview : Fabrice Le Hénanff reconstitue avec force Wannsee où a été validé la solution finale

Le 19 janvier 1942, à Wannsee banlieue de Berlin, dans une superbe propriété, le général SS Reinhard Heydrich, adjoint d’Himmler, convoque une conférence avec un échantillonnage des principaux services du Reich et des juristes. Ils sont quinze au total. Thème de la conférence, la solution finale, exterminer les Juifs mais de façon industrielle, voire légale car le travail a déjà largement commencé en Allemagne et en territoires occupés. Les Einsatzgruppen, unités mobiles d’exterminations, sont en action sur le front de l’Est mais à force de rafler des dizaines de milliers de Juifs il faut passer à un autre moyen plus efficace en particulier dans les camps de concentration. C’est Eichmann qui coordonne le projet. A Wannsee, Heydrich oblige tout le monde à se mouiller en exposant clairement ses projets et en faisant adhérer au projet les participants.

Fabrice Le Hénanff signe avec Wannsee (Casterman) un album remarquable, pointilleux, vrai et d’une rare violence. L’horreur est banalisée par ces gens, normaux quoiqu’on en dise, qui décident à Wannsee la mort atroce de millions d’autres sans émotion notable. Ce n’est pas un hasard si c’est Didier Pasamonik qui en signe la préface. Ses mots sont pesés, forts, intelligents. Il avait mis en place une importante et émouvante exposition au mémorial de la Shoah sur la guerre à travers la BD.

Wannsee par Le Hénanff transmet une mémoire, celle que révisionnisme, négationnisme voudrait détruire. Certes il y a une part de fiction dans le propos, obligatoire, mais les faits sont là, incontournables. On peut prévoir une solution finale, méthodiquement, en solidarisant tous les services d’un état. Avec un dessin qui force l’imagination, des traits et un découpage travaillé, qui restitue morgue et mépris des dirigeants nazis, leurs destins aussi, Wannsee rejoint Maus de Spiegelman ou Auschwitz de Croci. Un témoignage important qui démontre que tout est possible historiquement et peut se répéter. Pour la sortie de Wannsee le 20 juin, Fabrice Le Hénanff a répondu aux questions de Ligne Claire. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.

Fabrice Le Hénanff à Nîmes avec ligneclaire. JLT ®

Fabrice Le Hénanff, comment avez-vous bâti votre projet, cet album sur la conférence de Wannsee ?

J’ai contacté Casterman et d’autres éditeurs. Je n’avais pas d’autre piste scénaristique à cette époque. Quelques propositions avec des planches d’essai. Le projet a finalement été pris chez Paquet et chez Casterman à condition que je modifie mon style graphique. Voilà le départ de Wannsee, plus proche d’abord pour les couleurs d’Ost Front. Je suis passé ensuite au sépia. Pour en arriver à la dernière phase avec un graphisme plus tableau, plus torturé avec du flou. On s’est arrêté sur ce dernier style.

Donc Casterman l’a pris finalement ?

Oui. Chez Paquet, je connaissais un directeur que mon travail intéressait. Après je n’avais jamais travaillé avec eux. Comme par contre j’avais travaillé avec Casterman je savais où j’allais et j’en avais parlé depuis longtemps à mon directeur de collection.

Une planche de Ostfront. Depuis la technique a évolué. JLT ®

Comment vous vient l’idée à la base de parler de la conférence de Wannsee ?

Ce qui m’a toujours trotté dans la tête était de parler de la solution finale en BD. Pas spécialement de Wannsee mais expliquer l’extermination en BD. Je connaissais la conférence mais sans plus.

Un travail de recherche important ?

Il a fallu d’abord trouver le texte d’origine, le protocole de Wannsee et voir ce qu’il y avait à l’intérieur. Cela se limite à quinze pages. Le challenge était de mettre tout le texte dans l’album, suivre le déroulement des débats.

Il fallait que l’album ne puisse pas être remis en cause par des historiens. C’est un sujet difficile ?

Oui et c’est pour cela qu’il a été très compliqué de le proposer et encore plus de le sortir. J’ai revu tous les documentaires sur le sujet, sur la Shoah et deux téléfilms sur Wannsee, un de 1984 fait en Allemagne dont je n’ai vu que des extraits mal doublés. L’autre c’est Conspiracy fait en 2001. Cela m’a donné des idées de mise en scène. Le problème est que Conspiracy respecte le texte de Wannsee mais pas le côté historique de la conférence. Il créée une opposition dans la conférence pour théâtraliser le téléfilm.

L’évolution du graphisme sans couleur pour Wannsee. JLT ®

On sent quand même dans votre album que le secrétaire d’état Kritzinger tente de résister.

Oui et dans Conspiracy aussi. Ils l’ont pris comme moi car, quand on regarde la biographie de chaque participant, c’est le seul qui s’est excusé pendant le procès de Nuremberg. Les autres n’ont jamais exprimé de remords, soit sont morts avant.

Il n’a pas été condamné sévèrement et il est mort en 1947 ?

Il était juriste et aux Affaires Étrangères dont la politique n’était pas celle de la SS. Il apparait comme un grain de sel mais ce n’est pas non plus un opposant virulent à Heydrich. Il aurait joué sa vie. Il sert dans l’album de léger contrepoids.

Fabrice Le Hénanff à Nîmes revient sur la conception de l’album. JLT ®

C’est une conférence où il n’y a pas de photos d’archives. Vous avez travaillé avec celles connues.

Pour Heydrich il y a des documents. Pour Eichmann c’est très compliqué. Il y a trois ou quatre photos de lui pendant la guerre. Il est discret et pour cause. Les autres c’était encore plus difficile car pour certains il n’y avait aucune photo.

Comment avez-vous fait ?

J’ai regardé le casting de Conspiracy qui collait bien à l’ambiance, j’ai aussi inventé leur visage en fonction de ce qu’on savait d’eux.

Wannsee, c’est mettre tous les nazis au pied du mur, annoncer clairement un génocide organisé ?

C’est une réunion administrative. Voilà ce qu’on va faire. On emploie des mots comme évacuer pour tuer. On revient sur Babi Yar près de Kiev, ce ravin où s’est appliqué la Shoah par balle sur des dizaines de milliers de Juifs. Wannsee c’est aussi montrer qu’ils étaient arrivés au bout de ce système-là. Il fallait passer à autre chose et c’est la solution finale, le stade industriel en planifiant de gazer 60 000 Juifs par jour. Tout l’état, le Reich doit suivre. Tout est décidé, calculé.

On est dans une vision dans l’album assez cinématographique avec des cadrages, des travellings.

Oui car l’autre challenge de l’album c’était le huis-clos. Une fois qu’on avait tourné autour de la table il fallait trouver d’autres cadres comme la sortie dans le parc où on va évoquer Babi Yar. Il y a aussi le rat qui se balade dans la cuisine, sorte de symbole.

Reinhard Heydrich, un des pires nazis du IIIe Reich qui sera le maître de la solution finale et sera assassiné

Wannsee a été difficile à faire quand on vous entend.

Oui à mettre en place. Ensuite la réalisation a été assez rapide, trois ans en tout. Quand j’étais en train de réaliser l’album, j’avais les documents, il fallait vérifier, tout recouper, les chiffres.

Des spécialistes l’ont lu ?

Casterman l’a présenté à une historienne du Mémorial de la Shoah qui l’a validé. Pas d’erreur et rien ne la choquait. J’ai changé la fin qui au départ était très BD, trop hollywoodienne. Elle m’a dit que c’était dommage de prendre le risque que cette fin remette en cause la totalité de l’album. Je suis revenu sur une fin plus classique.

Et avec à la fin de l’album des portraits des participants, impressionnants, et ce qu’ils deviennent à la fin du Reich ?

Le dernier de la conférence est mort dans les années quatre-vingt-dix. Aucun n’a été rejugé alors qu’ils étaient au cœur du système hormis Eichmann qui sera jugé en Israël et pendu. Heydrich meurt assassiné à Prague par des commandos tchèques parachutés par les Anglais. Les plus mouillés sont soit morts au combat ou ce sont suicidés.

Après Wannsee, vous allez vers quel autre projet

Je repars sur une biographie pour une petite maison d’édition. Ce sera la peinture avec Monet. Difficile de sortir d’un projet comme Wannsee. Il faut voir maintenant comment il sera reçu.

Wannsee, Casterman, 18 €

JLT ®
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