Il y a une photo, et un film, parmi bien d’autres, prise pendant la guerre du Vietnam, qui est dans toutes les mémoires, c’est celle en 1975 du dernier hélicoptère qui décolle du toit de l’ambassade US à Saïgon au moment même où les chars vietcongs déferlent sur la ville. On n’y avait pas cru et c’est arrivé. Désormais le Vietnam s’est réunifié, les Américains qui s’étaient désengagés sont battus avec leurs alliés sud vietnamiens. Jean-Pierre Pécau a pris comme symbole de ce nouvel album L’Homme de l’année, pour parler de 1975, un hélico le Bell UH-1 « Huey » parmi les centaines qui ont sillonné le ciel du Vietnam, engins de guerre, voir Apocalypse Now, de transports. Son pilote civil, Mo, va tremper dans un bon nombre d’affaires louches pour la CIA qui avait depuis longtemps sa « compagnie aérienne », Air America. Une histoire bien menée, très bien documentée mais qui pose questions sur quelques affirmations.
Moïse est le copain de Petit Lotus, une prostituée eurasienne. 1975, avril 1975, les roquettes tombent sur Bien Hoa. Mo part récupérer son Huey avec lequel il trimballe les diplomates de l’ONU qui croient encore à une accord de paix sur le Vietnam. A Saïgon le pilote et son mécano sont rejoints par deux agents de la CIA qui ne croient pas à une reprise violente du conflit avant deux ans. Mo va devoir aller récupérer le trésor de guerre du gros Van, de la drogue à livrer à un réseau corse, un certain Dominici qui a fait Dien-Bien-Phu à l’époque avec la Légion au 1er BEP (pas REP). Sur le retour Mo survole des chars nord-vietnamiens, des T-54. Ce qui pourrait prouver qu’une offensive est en cours, objectif Saïgon. Les Américains sont désengagés du Vietnam depuis les accords de Paris mais il y a encore des ressortissants US au Vietnam Sud.
Tout le déroulement bien que partiellement romancé, repose sur des bases solides, d’excellents décors dessinés par Daniele Fabiani. On est dans une ambiance Crépuscule des dieux. Pécau parle de Coutard qui travaillera avec Pierre Schoendoerffer, avec lui photographe à Dien-Bien-Phu, sur La 317e Section. Le colonel Madison avec son chapeau de cow-boy a un petit ait connu de déjà vu. La chute de Saigon a été couverte par la presse en direct. Elle sera la dernière grande scène du photo-reportage en toute liberté si l’on peut dire pour les journalistes.
Un bon album. Certes, on ne réécrit pas l’Histoire mais Pécau a des affirmations curieuses par la voix de ses héros. La France aurait pu s’éviter une guerre en Indochine si l’amiral D’Argenlieu, moine soldat de la France Libre n’avait pas saboté les efforts de paix du général Leclerc et Sainteny (gendre d’Albert Sarraut) en 1946 face à l’Oncle Ho. Dire que la France perd la guerre dès qu’elle arrive quelque part était-il bien utile et ne veux rien dire, surtout qu’elle était au Vietnam depuis 1887 (ce qui n’est pas une excuse) dans la bouche d’un Américain dont le pays à facilité la défaite française en 1954 pour mieux prendre sa place avec les frères Diem dés la fin des années 50, envoyer massivement des troupes à partir de 1965, 600 000 GI’s dont une majorité d’appelés, lâcher leurs bombes depuis leurs B-52 sur le Nord. Pour rien. 76 000 soldats français seront tués, que des soldats de carrière, 60 000 Américains dont une majorité de conscrits. Les deux Vietnam auront près de 3 millions de tués au total. Reste que quand on a parcouru Nord Tonkin et Sud Vietnam on comprend très vite qu’aucune guerre n’est gagnable sur un terrain pareil face à un peuple qui veut son indépendance.
Reste aussi l’histoire vraie des prostituées du BMC de Dien-Bien-Phu encerclées avec les troupes françaises par Giap et le Vietminh. Elles deviendront la plupart infirmières à l’antenne chirurgicale de Grauwin, seront capturées et disparaîtront. Personne effectivement ne leur rendra hommage. On peut aussi dire que Dien-Bien-Phu en 1954 a été une erreur capitale, que la garnison a cru un temps à une aide aérienne US qui déjà transportait du matériel avec les Fairchild d’Air America. Comme le dit Pécau les Américains n’étaient pas en 1975 non plus à une trahison près. Sur 11 721 prisonniers français à Dien-Bien-Phu, dont les courageuses jeunes femmes du BMC que les Français auraient eu bien du mal à sauver (fallait-il par contre les y envoyer), il y aura 3 290 survivants et 7 801 morts ou disparus. Plus des trois quart mourront, la quasi totalité des soldats vietnamiens engagés auprès des Français. Il fallait le rappeler. Dernier point, le général Westmorland, quant il commandait les troupes US au Vietnam, leur avait dit :« ne faites pas comme les Français. Ne tombez pas amoureux de ce pays ».
L’Homme de l’année, Tome 17, 1975, Le dernier pilote américain de Saïgon, Delcourt, 15,50 €
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