C’est, en quelque sorte, un tournant dans le destin de la reprise de la série mythique de Jacobs, Blake et Mortimer. De Bob De Moor à Ted Benoit, André Juillard, Aubin, Sterne trop tôt disparu, Van Hamme, Dufaux, Sente, l’éventail des repreneurs au dessin et au texte a été, on l’affirme, d’un excellent niveau en général. Classique souvent en ligne claire mais imprégné, en particulier pour Juillard, du talent individuel de l’auteur.
Mais voilà qu’arrive un OVNI, un pavé dans la mare, une révolution conceptuelle qui sent très fort, osons le mot, Jacobs, un retour à des fondamentaux exacerbés par le dessin de François Schuiten que l’on pensait enfermé, un compliment, dans ses sublimes Cités Obscures avec Peeters, ou aux commandes de la Douce. Le Dernier Pharaon est donc dessiné par Schuiten qui a participé au scénario avec Jaco Van Dormael et Thomas Gunzig. Aux couleurs Laurent Durieux, détail important car les clairs obscurs, les perspectives en aplat ont un rôle capital dans cet album qui sort ce 29 mai dans toutes les bonnes librairies. Mais qu’arrive-t-il encore à ce brave Mortimer retraité qui commence à accuser le poids de l’âge comme aussi son ami Blake ? Un retour en arrière du côte de l’Égypte ancienne ? Il fallait oser mais ce n’était pas idiot du tout, ce tour de passe passe.
Il s’en souvient Mortimer de son réveil dans la grande pyramide mais c’est tout. Tout ce qui s’est passé avant a été effacé. On s’en souvient. Idem pour Blake. Quand à Olrik, il erre dans le désert. Beaucoup plus tard Mortimer a rejoint son ami Henri au Palais de Justice à Bruxelles, monument incontournable à l’architecture impressionnante. Henri lui fait découvrir un endroit secret d’où émane un rayonnement électro magnétique colossal. Au mur des peintures égyptiennes et caché, le cabinet de travail de l’architecte du Palais, Polaert. Des travaux ont mis à jour le bureau et un mur sur lequel figure le dieu Seth. Henri casse le mur. Tout explose et un rayon vert bourré d’énergie envahit Bruxelles. Plus aucun système électronique ne fonctionne, les avions s’écrasent, les mémoires des ordinateurs s’effacent. Les habitants fuient pendant que Mortimer se retrouve inconscient à l’hôpital en proie à des cauchemars terrifiants. Bruxelles est abandonnée. Une cage de Faraday géante a été construite autour du Palais.
Et ce n’est que le début de ce Dernier Pharaon qui va demander à Mortimer courage et abnégation pour comprendre ce qui s’est passé avec l’aide de Blake bien sûr. L’effet du rayonnement réserve des surprises dont celle, déjà évoquée dans des scénarios, de la perte totale au niveau mondial des potentiels électroniques. Il y a évidemment l’Égypte qui va se rappeler à lui avec une curieuse jeune femme et la formule bien connue de Par Horus demeure. Mais ce qui frappe le plus dans cet album, c’est le dessin de Schuiten qui s’est approprié les personnages et les décors. Bâtiments, réalisme haché par le trait, performance graphique sur fond d’architecture enlevée de Bruxelles, Le Dernier Pharaon est une quête de 90 pages où craintes, peurs, idéologies bien actuelles se mêlent à l’aventure de nos deux héros à travers des souvenirs utiles du Mystère de la Grande Pyramide. On dira pourtant qu’on retrouve plus L’Affaire du Collier dans l’aspect global du projet et dans le dessin.
On y ajoute une part de romantisme décalée et on a un album qui ne peut que faire date. Il faut, par contre, bien se plonger dans ses détails (le scénario s’échappe un peu) pour en comprendre tout le poids dont les conséquences lourdes de sens si notre monde était un jour frappé par un tel phénomène. Un album qui ne remet pas du tout la série en cause signée par les auteurs cités plus haut.
Une aventure de Blake et Mortimer, Le Dernier Pharaon, Blake et Mortimer, 17,95 €
Pas de ligne claire, ça choque mais on s’y fait tant l’esprit de Jacobs est présent tout au long de cette aventure qui avance très lentement et c’est tant mieux…On prend encore plus de plaisir.
Blake est un peu en retrait à mon gout et les deux héros mènent l’aventure en solo.
C’est dommage. Mais cela ne nous empêche de le relire une deuxième fois tant on sent la présence de Jacobs. Et puis 90 pages d’un coup, cela ne se refuse pas !
Un très bon complément à l’aventure immobile dont on aurait tant aimé que cette histoire soit en BD.