S’il suffisait d’être un héros de guerre pour ne pas devenir une ordure, le destin de Joseph Darnand en eut été changé. Homme d’action, de conviction, d’extrêmes, courageux et sans états d’âme il sera l’exemple même de ce que l’humanité peut créer de plus ambigu, vicié et moralement indéfendable, une figure de la collaboration sous Pétain qui finira sous les balles d’un peloton dans les fossés du fort de Châtillon. Il aura eu le seul mérite de mettre sa peau au bout de ses idées. C’est sa vie que Patrice Perna et Fabien Bedouel, déjà complice en écriture du remarquable Kersten, médecin d’Himmler, racontent dans ce triptyque finalement dont le tome 1 vient de sortir. Devant la qualité de l’album, le sujet qui devrait prêter à polémique, le travail toujours aussi pointilleux de Perna et le dessin si fort, musclé, évocateur de Bedouel, les couleurs, on est pris aux tripes par le destin d’un homme qui reste en partie une énigme mais aussi un exemple fort et criminel d’une réalité que l’on a trop tendance à oublier de nos jours.
C’est un mythe, Darnand. Il commence tôt dans les tranchées de 14, capable des coups de main les plus audacieux avec sa bande de corps francs, commandos avant l’heure. Son meilleur ami à cette bête de guerre, c’est un tireur d’élite, Ange avec son fusil anglais à lunettes. Une mission coup de main dans les tranchées allemandes, il y va avec sa section. Pas de prisonniers inutiles, casse-tête contre baïonnettes, poignards contre Mauser, il ramène un officier et le plan de l’offensive allemande. Et au passage un camarade blessé. En 1938 Ange qui a été défiguré est retourné dans sa Savoie natale. Darnand milite avec les Ligues, Cagoule ou le PSF persuadé que la France est livrée aux Juifs et aux Bolcheviks. Un coup d’état se prépare et Darnand remonte sa section de combat dont il veut que Ange fasse partie.
On s’arrête car les bases suffisent pour l’instant. Perna a ajouté sa part romanesque qui va se développer sur les prochains tomes. Engagé dans la Waffen SS après une guerre en 40 tout aussi glorieuse qu’en 14, Darnand est un pétainiste et un extrémiste convaincu. Il va créer la Milice qui massacrera résistants et Juifs. Personnage jusqu’au boutiste, héros et salaud, Darnand aurait-il pu être de l’autre côté de la barrière ? Pas sûr. Comme Déat, Henriot ou Bousquet, il ira au bout de sa logique fasciste et dévoyée. Pat Perna a creusé le sujet et Fabien Bedouel s’avère comme l’un des meilleurs dessinateurs réalistes actuels.
Darnand, Le bourreau français, Tome 1, Rue de Sèvres, 15 €
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