C’est à Sainte-Énimie que l’on a rencontré Marc Lizano. Son dernier album, comme d’ailleurs les deux précédents traitent de sujets de mémoire, de la Shoah et de la déportation. Avec La Visite au Struthof il rappelle qu’il y a bien eu un camp de concentration allemand en France, en Alsace alors annexée par le Reich. Il revient avec Ligne Claire sur ce pèlerinage bouleversant que l’auteur de ces lignes a fait aussi très jeune et dont il a gardé à vie une trace indélébile. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.
Marc Lizano, vos derniers albums ont pour cadre la seconde guerre mondiale.
Oui comme l’Enfant caché, Un grand-père tombé du ciel et maintenant La Visite au Struthof. Mais au total je n’ai pas fait autant de livres que ça sur la guerre sur une centaine publié. L’Enfant caché a eu un succès incroyable, des prix, des réimpressions. Pour les dix ans de sa parution je voulais faire un livre sur une thématique proche. Donc Le Grand-père. Et le directeur du camp du Struthof nous a fait une demande à Yaël Hassan et moi. Il y a au camp un musée, une bibliothèque et ils voulaient un ouvrage avec du recul pour les élèves et à diffuser aussi sur place. On avait des images terribles dans le camp mais pas tellement de photos. Des archives oui mais peu. En fait c’était un camp de politiques déportés, un camp d’intimidation au départ.
Quand je l’ai visité en 1963, il y avait encore toutes les baraques, les sacs de cheveux des déportés, une peur viscérale car on savait ce qui s’était passé finalement il n’y avait pas très longtemps.
C’est toujours très violent. On y a fait transiter les résistants, on y a exécuté quatre femmes du SOE britannique par gaz, un pilote anglais. 86 juifs sont arrivés là par hasard car il n’y en avait pas théoriquement. On y trouve une chambre à gaz mais petite, un four crématoire. On fera d’ailleurs bientôt un livre sur la Main Noire un réseau un peu amateur d’Alsaciens résistants. Tous les élèves en Alsace le visitent. Quand on a demandé à Yaël ce projet, voyant les adaptations que j’avais faites de ses romans, on s’est dit que c’était idéal pour mettre une distance, se replacer dans le contexte de l’horreur. Le camp était sous autorité SS et le commandant du camp a été jugé.
Mais on a calmé le débat souvent pour des raisons politiques, besoin d’encadrement et amitié franco-allemande.
Comme en France avec la Collaboration. D’anciens nazis ont continué à travailler sans soucis dans l’administration allemande. Mon premier choc jeune a été de voir le Vieux Fusil qui raconte la remontée de la Das Reich qui massacrera à Oradour. L’histoire de vengeance était très forte dans le Vieux Fusil. Dans un récit comme La Visite au Struthof il y a une exigence totale dans la véracité des faits comme dans Il était une fois en France de Nury. Même si il faut appuyer sur des faits, ajouter une part de romanesque. On le voit aussi dans la rébellion de Madeleine Riffaud, résistante de Morvan. On a une charpente en fait qui rend des choses inacceptables.
Le scénario a été écrit comment ?
On a fait une visite avec une historienne pour recadrer des éléments factuels. On a eu accès à des archives, à une bibliographie, à des témoignages dont certains sont un peu mélangé involontairement. Donc un gros travail de documentation. Yaël est juive et a beaucoup écrit sur la Shoah. C’était un sujet un peu neuf pour elle. On s’est appuyé sur les historiens du camp, on a modifié des détails. Les tenues montraient la cause de l’enfermement. Tous les prisonniers n’étaient pas français. Il y avait des Allemands, des Tchèques, tous comme esclaves. Ce n’était pas un camp d’extermination.
Planches, dessins, comment a évolué le projet ?
Il y avait dans la construction deux points, la part fiction avec le gamin Simon qui va visiter le camp, en parle à sa grand-mère et la réalité. Le camp n’a pas été libéré mais évacué. Il y a une vraie scénographie aujourd’hui mais les baraques sont moins nombreuses. Il y avait des salles de bastonnade et on restaure la chambre à gaz. C’est très émouvant et on est sorti sous le choc avec Yaël. Je tiens à faire des livres avec du fond comme le prochain sur la Main Noire, le dessin va évoluer. Ce sera un récit avec des personnages réels pendant la guerre. Avec les enfants ont peu parler de tout en faisant attention, en préparant, éviter le choc qui peut empêcher la réalité des évènements. Mais on ne peut pas l’édulcorer. Faire un travail de mémoire c’est passer la parole aux historiens, témoins. Les livres que je fais c’est une goutte d’eau mais mon travail c’est faire des livres sur des sujets qui me touchent.
Et maintenant ?
Deux projets, des séries sur l’indépendance des femmes, dont A Bicyclette, une petite fille et son grand-père chez Monet. Elle vendra ensuite des vélos en 36 pour les premiers congés payés. C’est une histoire que j’ai rêvée. J’ai tout noté et laissé reposer. Plus une adaptation Tête haute, un roman avec quatre ouvrières, deux bretonnes et deux russes qui parlera de la révolte en 1924 en Bretagne des femmes. Ce sera à l’aquarelle mais pour adulte.
La visite au Struthof, camp méconnu, Nathan BD, 15,95 €
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