Jean-Claude Mézières, c’est un art à lui tout seul. C’est plus que l’impression, une évidence, qu’en donne le superbe ouvrage qui lui est consacré et sur lequel il a beaucoup travaillé avec Christophe Quillien pour les textes. On ne peut pas limiter Mézières à Valérian même si, avec Pierre Christin, ils ont mis au jour une série sans équivalent. C’est pour cela qu’il était nécessaire de rencontrer Jean-Claude Mézières pour qu’il en dise plus sur lui, son art, ses passions, sa vie. En voici l’entretien réalisé en juin dernier dans son atelier, en toute liberté, sincérité et amitié alors que nous n’avions qu’une version PDF sur écran du bouquin qui fait 240 pages. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.
Jean-Claude Mézières, c’est quoi finalement l’art de Mézières ?
Je n’en sais rien mais cela fait quand même 80 ans que je le connais et le pratique.
Il s’est construit tout seul ?
Regarde les épreuves de ce bouquin. Il y a par exemple ce dessin de mes 15 ans aux Arts Appliqués et le commentaire du prof qui dit que c’est complètement fantaisiste.
Tu n’aurais pas dû persister ?
Oui, et puis voilà des dessins de 1952, Tintin en Californie que Hergé ne connait pas (rires).
Qu’est ce qui t’avais pris de dessiner ce Tintin ?
J’avais 12 ans et des albums de Tintin inédits que je voulais à moi tout seul.
L’art de Mézières est donc né avec toi ?
J’ai toujours fait de la BD. Je dessinais aussi les histoires écrites par mon frère. Ce qui était pour moi une grande responsabilité. Je suis passé ensuite à Tintin avec ses influences et à des personnages que j’ai créés très vite. A 15 ans je publiais dans Fripounet et Marisette.
Finalement on pense te connaître par cœur sans vraiment que ce soit le cas ? Ce bouquin va rétablir les faits ?
Oui on s’est bien amusé à le faire et si j’ai beaucoup signé en BD, j’ai aussi fait du cinéma, de la pub.
Cet ouvrage couvre toute ta carrière ?
Oui, c’est très homogène avec mes inhibitions, mes hésitations, mes doutes, mes impasses car j’ai mis très longtemps à démarrer. A trente ans en fait. A 12 ans je faisais de la BD avec l’influence de Giraud rencontré très jeune. J’ai encore des choses de cette époque que j’ai mises dans le livre.
En même temps on s’est épaulé avec Giraud. Je suis allé à Cœur Vaillant et je ne me souviens plus pourquoi. Très vite j’y ai travaillé et du boulot y en avait en masse à l’époque. Voilà des dessins un peu piqués sur Hergé et j’ai tout gardé dans une malle. Ce que je ressors aujourd’hui comme ce Spirou Noël 1958. J’ai travaillé avec le fils de Jijé, Benoît Gillain, pendant trois ans qui avait son propre studio, dans la pub. Sans oublier mes 28 mois de service militaire au passage.
Et après ?
Je pars aux USA avec une rencontre à nouveau là-bas avec Pierre Christin pour payer mon billet de retour. J’ai fait deux histoires dans Pilote qui avait besoin de matière pour faire 64 pages par semaine. Quand je reviens, je dis à Pierre qu’il fallait qu’on fasse quelque chose ensemble. J’en avais assez de passer d’un scénariste à l’autre. On s’est dit qu’on allait se lancer dans la SF et on était les seuls à l’époque.
Seuls et doués. Valérian est un OVNI. Le talent et l’originalité ce n’est pas évident à copier.
Il y a aussi le bon moment pour commencer et cela a été le cas. Quand on regarde la série On Mars dernièrement publiée, il y a du Valérian dessous.
Vous avez évolué, travaillé tous les deux, Pierre et toi. Des pages pour chaque album de Valérian avec des extraits percutants figurent dans le livre. A tes yeux il est exhaustif sur le sujet ?
Non, il y a des trous. Mais pas de manques. On ne peut pas tout mettre. Mais il y a des images qui sont de grands moments. On a resserré les mailles du filet.
L’Art de Mézières fait bon poids.
C’est représentatif mais cela a été difficile de faire des choix. On s’y est mis à plusieurs dont Christophe Quillien pour les textes. Pour le graphisme c’est l’équipe de Dargaud qui a matérialisé le tout à partir de mes préférences. Il fallait que cela parle, qu’on montre ensuite ce que j’ai fait en dehors de la BD, mes envies d’animation un peu trop en avance.
Il y a en effet la partie Cinquième Élément. Il y a des regrets de choses que tu n’as pas pu faire ?
Oui, le Cinquième Élément car cela a été un gros morceau. Mais pas de regrets. J’ai travaillé selon mes envies et mes possibilités. Je ne suis pas un fou de dessin comme un Juillard qui aime vraiment dessiner. Le dessin c’est ma vie mais ma frustration c’est d’essayer de faire toujours mieux, que cela claque. Sans être parfois satisfait.Ma main peut ne pas partir de suite dans la bonne direction. J’aurai aimé faire de beaux portraits par contre. En thématique BD, non pas de regrets.
Ce qu’on retiendra surtout, c’est Valérian ?
Ma seule BD et cela a suffit. Quand on aura bouclé cet Art de Mézières je partirai dans l’Aveyron prendre l’air.
C’est ce qu’il doit rester de Mézières ce livre, un ouvrage intelligent et créatif ?
Non, ça c’est dans des malles, les planches, les illustrations. Ce qui est marrant dans ce livre c’est que c’est une partie de ping-pong où toutes les illustrations se renvoient la balle. On va pouvoir plonger dans mon dessin avec cet Art de Mézières. 250 pages et je n’en avais pas assez. C’est drôle à faire mais je me rappelle de tout. J’ai en plus un stock de photos imposant dans lequel j’aurais pu puiser encore plus.
Tu as redécouvert des choses au fil des recherches ?
Non. Tout est dans ma mémoire mais je suis un peu maso quand je dis que je n’aime pas toujours ce que j’ai fait. Je n’oublie rien par contre, je n’élude pas.
Le cinéma, l’animation ?
Ça s’est arrêté très vite dont le projet Valérian franco-japonais qui vaut ce qu’il vaut. On était bloqué. Le film avec Besson je n’ai rien fait personnellement. Il a pris et tout arrangé. Il a fait ce qu’il a voulu et a pu faire. C’était un fan déjà quand il m’engage pour le Cinquième Élément puis pense déjà au film en 2005. Il aurait voulu en faire en d’autres. J’aurais aimé faire de la mise en scène mais quand on se rencontre du poids, de la charge que le cinéma représente, je suis heureux avec mon crayon, mon papier et ma gomme. Le cinéma, les budgets, non. La BD, c’est faire du cinéma tout seul. Quand on voit des films comme Gaston porté à l’écran, bon… Spielberg ne m’a pas entièrement convaincu non plus avec son Tintin.
Le Tardi avec Adèle par contre ?
Dans mes souvenirs il reste pas mal du tout par contre. Adèle rend hommage à Tardi comme pour le Valérian avec nous. La transposition aussi c’est difficile. Chacun se fait son roman dans la tête quand on adapte une BD au cinéma. Si c’est réussi c’est formidable. La BD a un tel pouvoir de narration sur le lecteur que le cinéma il faut que cela apporte encore plus. Mais cela ne prend pas toujours.
La BD est donc un art qui a un impact où le spectateur peut se projeter. Donc incontournable et qui donne en plus un pouvoir de se prendre pour le héros plus qu’une image fugace sur grand écran ?
Oui tout à fait. Reste aussi des films géniaux comme l’Astérix de Chabat. Le meilleur. Les plus grands illustrateurs ont fait des animations réussies mais leur dessin suffisait comme Moebius. Adapter une BD au cinéma c’est presque inutile sauf si tu revisite le sujet. Moebius c’était joli en animation mais cela ne dépassait pas ses histoires sur papier.
Tu es un lecteur de BD ?
Pas du tout. Je ne lis que ce que j’aime mais rien de récent. Je suis devant des BD comme un mécano face à une bagnole splendide qui dira « tu as entendu le bruit du moteur ? » (Rires) Je vois le moteur d’une BD. Le dessin peut être beau mais l’art de la BD c’est avant tout la narration. On aura ça dans le bouquin je pense. C’est franchement passionnant d’avoir fait ce travail.
C’est la première fois où il y a une œuvre qui va tenter de montrer évolution et facettes multiples de ton talent.
Ce n’est pas une simple compilation. C’est une longue vue et un microscope à la fois sur mon travail.
Valérian va continuer ?
Il y a toujours des postulants pour des reprises ponctuelles, « A la manière de », surtout pas de reprise de la série. Il y a des choses qui se préparent, des contacts, des gens qui ont des envies (dont un Valérian par Christin et Valérie Augustin) Tout va dépendre. Pour Franquin j’ai toujours grincé des dents quand il a été repris. Pour des comics US, ce n’est pas grave. Une flopée de dessinateurs peut dessiner le même héros ou série. Je suis assez critique sur la production de BD. Il y a de belles choses et d’autres… Mon goût est étroit. On peut par contre ne pas aimer ce que moi j’aime.
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