Interviews

Interview : Kokopello pour un grand bazar décrypté

L’Union Européenne, un grand bazar, c’est ce que dit Kokopello dans La Tour de Babel (Dargaud). De Gaulle lui appelait l’O.N.U. le « machin » mais a été avec le chancelier Adenauer un pionnier, défenseur d’une Europe Unie et solidaire. Kokopello montre bien que le couple franco-allemand était déjà le maître du jeu. Quelle est l’utilité de L’Union ? Au Festival du Livre de Paris, avec Ligne Claire, Kokopello est revenu sur son ouvrage, sur cette Union méconnue sur le fond et sur la forme. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.

Kokopello. JLT ®

Kokopello, avec La Tour de Babel on découvre en fait la réalité pas si simple de l’Union Européenne.

Mon ouvrage Palais Bourbon m’a beaucoup aidé. L’Assemblée Nationale n’est pas loin du Quai d’Orsay. Quand j’ai voulu traiter l’Union Européenne je les ai contactés en leur disant que ce serait sur le modèle de ma BD sur l’Assemblée Nationale et je leur ai demandé si de leur côté ils pouvaient m’ouvrir des portes. Dès lors j’ai eu très vite rendez-vous avec le directeur de l’Union.

Quand vous proposez un sujet pareil. à un éditeur comme Dargaud, le docu-BD est une spécialité appréciée ? Comme Larzac ?

Palais Bourbon s’était bien vendu, plus les Carnets de campagne donc ils m’ont suivi. Quand je leur ai proposé ce sujet sur l’Union, au début ils m’ont dit que tous les bouquins sur l’Europe s’étaient plantés. Il fallait que ce soit euro sceptique, critique. Moi je voulais me balader dans les couloirs européens, suivre le Conseil, voir les commissaires et ce qui se passait vraiment sur place.

A quoi sert l’Europe en fait ? Dans l’esprit des gens la question se pose.

On ne parle pas des grands sujets européens. Cette grande machine mécanique on ne sait pas qu’il y a des humains derrière. On n’a pas réussi à s’approprier cette union européenne. Pourtant elle travaille sur des sujets comme les changements climatiques, la crise migratoire. On sait que les migrants viennent d’Afrique ou du Moyen Orient et les premiers impactés sont les Grecs, les Italiens. Donc on besoin d’une coopération car on est les suivants à y faire face.

Oui mais cette coopération on la sent à plusieurs vitesses. Au départ il fallait ressouder Allemagne et France, De Gaulle et Adenauer. Aujourd’hui cette Europe des 27 est-ce que ce n’est pas un « machin » comme De Gaulle appelait l’ONU ?

Moi j’appelle ça un grand bazar. Ces grandes institutions sur des grands sujets, on pense que c’est compliqué. Pour l’Union Européenne pas tant que ça. Il y a beaucoup de clichés.

C’est un peu le méchant.

Je suis né avec l’Union et pourtant on ne fait que la critiquer. Quand on regarde son fonctionnement on s’aperçoit que tout est démocratique, que les médias et les citoyens ne s’en emparent pas pour faire pression. On a éloigné le citoyen volontairement ou pas. Je me méfie un peu. Pour nous Français l’Assemblée ou le Sénat ce sont des acquisitions du peuple par le bas. L’Europe s’est faite par le haut. La loi européenne a fini par supplanter celle du pays. On a créé un marché économique afin d’éviter la famine puis arrivent des sujets de plus en plus politiques, la guerre en Ukraine, l’élargissement, la crise migratoire.

Il y a ambiguïté car quelles actions ? C’est un peu chacun pour soi.

Oui au niveau du Conseil. Avec des intérêts économiques parfois divergents. Le Parlement est plus politique puisque élu avec ses députés. Je voulais montrer ce fonctionnement là. On parle de diktat, de Berlin, de Paris. A chaque réunion des 27 du Conseil, avant il y a effectivement une réunion de la France et de l’Allemagne. On se met d’accord sur une position commune.

Vous parlez de démocratie ? 

Oui parce que chaque pays vote pour son gouvernement, puis ensuite pour le Parlement donc le citoyen a sa place. Assez, je ne pense pas. Renforcer le pouvoir au Parlement, le placer plus haut de la pile serait nécessaire.

Il y a deux aspects dans votre livre. Vous décortiquez et vous proposez une visite guidée. On apprend beaucoup.

C’est un carnet de voyage et les premiers retours sont assez bons. Médiatiquement aussi avec la perspective des élections. On considère un peu l’Europe dans tous les pays comme un ennemi. On l’a vu avec les gilets jaunes ou les agriculteurs. En Pologne ils ont peur de Berlin, rappel historique. Plus de la Russie. Ils sont euro-sceptiques mais ils voient leur sécurité et ont peur que la France les abandonnent comme en 39. La partition en Est et Ouest n’est pas si vieille.

On n’a pas les moyens ni la volonté de transformer l’Europe en puissance militaire.

On change depuis l’Ukraine. Les fonds européens sont aussi attribués à d’autres problèmes que l’agriculture. Il y a eu les vaccins pour le COVID, l’Ukraine et renforcer nos armées. Créer une armée européenne commune est sur la table. A suivre.

C’est une idée viable ?

Il faut entretenir une armée et c’est plus simple en commun. On verra avec les actions russes dans les pays Baltes qui pourraient accélérer le projet.

Vous voyez des Français mourir pour les pays Baltes ? Comme pour Dantzig en 39 mais on a vu où cela nous a mené. La Tour de Babel a mal fini.

C’est une Tour de Babel inversée. Est-ce qu’elle s’effondrera ? L’Angleterre s’en sort mal depuis le Brexit. Ce n’est pas simple mais le fonctionnement global reste clair. Les enjeux sont énormes. Économiquement pour s’imposer face à la Chine ou aux USA, nous les Français seuls quel poids avons nous dans le monde ? Il faut être pessimiste sur le sujet. Les diplomates français sont très arrogants. Ils le savent et commencent à faire attention.

Hormis l’Allemagne les membres ne sont pas dans un situation économique excellente.

Non mais à 27 on peut s’en sortir. Je suis optimiste car par exemple le changement climatique, seul on n’y arrivera pas. Mais comment avancer. J’ai fait un état des lieux et comment on fait pour progresser.

Vous traitez l’Europe de bateau pirate.

Oui on verra qui on prend à l’abordage, USA ou Chine. Tout est historique et diplomatie. Pour intéresser les gens à l’Union Européenne il faut leur parler géographie, histoire, traumatisme.

C’est très structuré humainement l’Union, Conseil, commissaires.

Il y a de l’argent dans l’Union. Sur la question de l’égo, on n’est pas médiatique quand on travaille pour l’Union, hormis la présidente et encore. Elle a un équipe com comme Thierry Breton. Sinon ce sont des fonctionnaires.

Les députés européens ont la vocation de vouloir défendre une Europe unie ou n’ont que des ambitions politiques ramenées ensuite à leur pays ?

Il y en a qui ont la vocation. On a certaines têtes de liste en France aujourd’hui pour les prochaines élections qui sont restées au niveau européen. Il y a une mobilisation de l’extrême droite parce que les gens croit au diktat de Bruxelles alors que ce diktat il est franco-allemand. Ils seraient plus rassurés si il le savait. 95% des textes nous sont favorables en fait. La Politique agricole commune a été créée pour nourrir les populations. Avec une surproduction elle bénéficie aujourd’hui aux grands groupes et aux grand agriculteurs. L’entrée de l’Ukraine ou de la Moldavie pourraient changer la donne. L’Est veut plus d’intégration, pas l’Ouest. Comment organiser l’Europe.

Vous avez voulu lever le voile sur le mystère européen.

On m’a empêché de rentrer dans des salles de négociations. C’est un reportage embarqué. La politique ne me tente pas. Je préfère disséquer et faire comprendre. Souvent on me dit que c’est compliqué, que Bruxelles c’est loin.

C’est compliqué parce que Bruxelles n’est pas porteur en fait dans les médias.

Oui car les négociations sont permanentes et longues. J’ai mis un an et demi dessin compris. J’avais besoin de rencontrer mes interlocuteurs. Au début j’étais désemparé. Un peu paumé. J’avais fait l’Assemblée Nationale où vous savez à qui vous adresser. L’Union je ne connaissais rien, ni personne hormis le nom de Breton et de la présidente. Alors que dans d’autres pays on connait mieux les personnalités. En France on n’a pas de rapport direct avec l’Europe.

Vous croyez à l’Europe ? Et après d’autres projets ?

Oui. C’est vital l’Europe. Ensuite l’ONU, non, il y a déjà eu une bonne BD. Après la Tour de Babel je ne sais pas où je vais. Mais je vais trouver.

Partager

Articles récents

Pyongyang parano, les blaireaux des légendes

Du vécu un peu amélioré mais qui sur le fond est passionnant et remarquable. Comment…

21 novembre 2024

bd BOUM 2024, c’est ce week-end du 22 au 24 novembre 2024

Récompensé par le Grand Boum-Ville de Blois, David Prudhomme préside la 41e édition du festival…

20 novembre 2024

Mémoires de gris, Tristan et Yseult revisités

Un bel album ce qui est tendance, dos toilé, beau cartonnage et 240 pages, Mémoires…

20 novembre 2024

Un doublé belge de Spa à Bruxelles chez Anspach

On les suit de très près les éditions Anspach car c'est vrai on a un…

20 novembre 2024

Prix Landerneau BD 2024 présidé par Mathieu Sapin, la sélection

L’auteur et dessinateur de bandes dessinées Mathieu Sapin préside aux côtés de Michel-Édouard Leclerc le…

19 novembre 2024

L’Amie prodigieuse, une relation dramatique

Un best-seller L’Amie prodigieuse paru en 2011, le premier roman de la tétralogie du même…

19 novembre 2024