En anglais on les appelait les War Bride, épouse de guerre. Ces jeunes Françaises avaient rencontré leurs futurs maris pendant les combats de la Libération, en 1944 et 1945. Près de 6000 sont parties aux USA avec l’aide du gouvernement US rejoindre leurs maris de GI’s. A l’occasion de la Comédie du Livre à Montpellier, Julien Frey est revenu sur son album Michigan (Dargaud) accompagné par Lucas Varela au dessin et sur le destin d’Odette partie avec John en 1945. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.
Julien Frey, d’où vient l’idée de faire un album sur les War Bride ?
Julien Frey : Je suis allé aux USA pour rencontrer la famille américaine de ma femme dans le Michigan. C’est vraiment l’Amérique profonde et j’avais un à priori. C’était la première fois que j’allais aux USA. En fait j’ai découvert les deux, l’Amérique et la famille, dont aussi Odette la grand-tante de ma femme qui m’a parlé de son histoire tout en ne me la racontant pas vraiment. Elle a été une War Bride en 1945 et j’ai découvert ce que c’était.
Une histoire donc personnelle et familiale. Le sujet vous a paru évident ?
J.F : Pas de suite. A l’époque je faisais de l’animation, pas de BD. J’en lisais, une passion, mais ni en 2010 ou en 2012 quand j’y suis retourné je n’avais l’idée de faire une BD. C’est après fin 2012 que j’ai appelé Odette pour lui demander si elle serait d’accord que je raconte son histoire. Elle m’a dit quelle histoire ? J’ai trouvé ça mignon. Pour elle il n’y avait pas d’histoire. Elle s’était juste mariée et elle était partie aux USA.
J.F : J’ai fait des recherches et je me suis aperçu que les War bride avaient été nombreuses, que la vie n’avait pas été facile pour elles. Cela avait été compliqué. Le beau GI’s en uniforme pouvait s’avérer violent, parfois marié. La décision de partir a été rapide. Il y avait même des bébés sur le bateau, le Vulcania, qui les amenait vers les USA.
Et ensuite le scénario vous a semblé une bonne idée ?
J.F : Je ne savais pas comment raconter au départ cette histoire. Ce qui était intéressant c’était d’opposer le voyage d’Odette au mien. Raconter en quoi le rêve américain de l’époque avec une France en ruine était différent de celui d’aujourd’hui. L’Amérique était prospère en 1945. Passer d’une époque à l’autre permettait de témoigner.
Votre scénario était écrit et vous n’aviez pas de dessinateur ?
J.F : J’ai rencontré Lucas Varela chez Lewis Trondheim au moment où il finissait le Jour le plus long du futur chez Delcourt. Je lui ai dit que j’aimais son travail.
Lucas Varela : Lewis était mon éditeur et il nous a mis en rapport.
J.F : Je ne cherchais pas de dessinateur mais je ne voulais pas montrer à Dargaud mon scénario sans planches. Quand j’ai commencé à chercher un dessinateur, j’ai vu ce que Lucas faisait pour le Financial Times. Lucas est aussi à cheval sur deux cultures. Il est argentin et vit en France.
Vous avez retravaillé le scénario ?
J.F : Oui j’ai coupé deux séquences dont celle sur le musée de la Motown. Ils ont une vision très particulière des musées aux USA. On a mis un an et demi en tout pour finir Michigan.
Vous avez eu des difficultés ? L’album est vraiment fluide dans la narration.
L.V : Non pas vraiment.
J.F : Je m’étais imposé qu’il n’ y aurait que des dialogues, pas de voix off ou de cartouches. Toutes les informations passent par les dialogues et ça donne ce sentiment de fluidité.
La documentation a été importante ?
L.V : Oui, il en fallu beaucoup. Julien m’a envoyé pas mal de choses. On a eu aussi les archives de famille d’Odette. Les uniformes, c’est facile. On s’est bien amusé par contre avec les sex-toys.
J.F : J’ai retrouvé le grade de John sur le net que j’avais vu sur une photo d’Odette qui ne s’en souvenait pas. Autre exemple, le musée des transports en commun m’a donné la photo du bus qui passe dans le XVIIIe en 1944. On ne voulait pas que ce soir trop réaliste mais juste.
Michigan, c’est aussi une histoire romanesque avec ces jeunes filles qui cherchent le bonheur après cinq ans de guerre et à une époque où il est difficile de voyager ?
J.F : Oui, elles étaient bien sûr amoureuses et c’était un rêve pour elles. Par contre c’est loin à l’époque l’Amérique. Le voyage coûtait cher. Odette a mis 25 ans pour revenir en France.
C’est une histoire attachante.
J.F : C’est une histoire d’amour mais il ne faut pas être mièvre. John a été gentil avec Odette, ils sont restés ensemble. Il y avait des traitements différents selon les nationalités de la part de autorités US. Les Japonaises mariées à des GI’s en occupation au Japon après 1945, les Américains en faisaient des femmes de ménage pour qu’elles travaillent pour des couples en Amérique.
Ces Gi’s qui ont épousé des War Brides sont revenus en France ?
J.F : Pas souvent. Ils gardaient en tête une image de la France comme celle d’un pays pauvre, détruit, en guerre et ils n’ont pas eu envie d’y retourner.
L.V : On va faire une histoire courte. Il nous est arrivé une histoire amusante à Genève où est enterré Jorge Luis Borges, un écrivain argentin que j’aime beaucoup.
J.F : On y est allé. C’était fermé et on a sauté la grille du cimetière. Je suis resté deux minutes. Voila.
L.V : Et on n’a pas trouvé la tombe. Mais une idée d’histoire.
J.F : Mais Lucas a aussi envie de faire des albums tout seul.
LV : Je ne sais pas encore. Je ne suis pas convaincu de savoir vraiment comment faire.
J.F : J’ai en projet un album avec Nadar (Le Monde à tes pieds), pour Futuropolis. Il traitera du cinéaste Edouard Luntz. Aucun de ses films n’est visible pour différentes raisons. C’est une enquête un peu personnelle. Luntz a eu un procès avec Zanuck, le producteur, pour avoir dépassé le budget d’un film. Il y a aussi des raisons d’ayants-droits. Je ne suis pas journaliste mais je suis curieux. Et je vais remonter le fil de cette histoire.
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