Joseph Kessel a bercé jeunesse et adolescence, plus encore, de l’auteur de ces lignes. Quand arrive un album qui retrace sa superbe carrière, sa vie d’aventurier on ne peut que se jeter dessus. Joseph Kessel c’est Le Lion mais ce serait réducteur d’en rester là. Joseph Kessel l’indomptable est signé par le duo Judith Cohen Solal et Jonathan Hayoun au scénario, le premier en BD. Ils ont répondu aux questions de Ligne Claire. Nicolas Otero est au dessin. On rentre avec eux dans une partie de l’intimité de l’écrivain grand reporter académicien enregistrée par son filleul, Jean-Marie Baron. Un voyage incroyable et un album qui s’impose. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.
Jonathan Hayoun vous êtes réalisateur, Judith Cohen Solal psychanalyste, pourquoi avoir choisi de raconter la vie de Joseph Kessel ?
Jonathan H. : Quand j’ai commencé à le lire, quand on en a parlé avec Judith, j’ai trouvé qu’il y a dans ses livres quelque chose qui a le goût de l’aventure chez Kessel. Il la défie sans vouloir en dire plus sur le pourquoi. C’est ce qu’on a voulu comprendre, expliquer.
C’est finalement la mort de son frère qu’il n’a pu empêcher, son suicide qui est la clé de l’énigme. Kessel va chercher la mort en allant là où on meurt, les champs de bataille.
Judith C.S. : On remonte plus loin en fait et on retrouve ça dans son autobiographie « Le Tour du malheur » avec la vie de ses parents, la mort de son capitaine pendant la guerre de 14 où il est pilote, la maladie de son père, il faut fuir à cause d’elle, à cause des pogroms et lui-même à un an manque mourir sur le bateau qui le ramène d’Argentine. Le début de sa vie est très particulier, il est né dans la Pampa et dans un contexte de projet de survie du peuple juif puisqu’on parlait d’établir une colonie en Amérique du Sud.
Le fait qu’il était juif vous a amené à rappeler l’histoire du judaïsme ?
Jonathan H. : Oui il se défend que la judéité soit une question centrale dans son parcours de vie. On se permet de prendre une distance par rapport à cela car on pense l’inverse. C’est en fait primordial dans sa vie. Il échappera à un pogrom enfant. Kessel est prêt à livrer son intimité si cela permet de sauver quelqu’un. Sa judéité est centrale tout au long de son existence. Il ira en Israël dans les années 20 et le sujet le travaille toujours quand il y retourne pour la création et l’indépendance de l’état hébreux en 1948. Baron nous a raconté que Kessel âgé disait en voyant ses photos, « j’ai la tête d’un vieux juif qui porte tous les malheurs du monde ».
Vous étiez des lecteurs de Kessel ?
Judith C.S. : Moi c’est la Passante du Sans-souci et Belle de jour qui m’ont fait découvrir Kessel et m’ont marqué. Après Kessel était de toute façon un classique. Ensuite on a trouvé un petit bouquin dans lequel son filleul Jean-Marie Baron, fils d’un des premiers Français Libres, disait avoir des dizaines de cassettes audio d’entretiens avec lui. On l’a rencontré.
Qu’est-ce qui vous a fait choisir vos têtes de chapitres dans l’album qui sont toujours des titres de romans de Kessel ?
Jonathan H. : On s’est laissé guider par ce qu’on avait envie de raconter, ce qui nous avait le plus marqué. On a dû renoncer, faire des choix mais il fallait préférer ce qui permettait le mieux de le définir, le plus surprenant. Parler des nuits de Berlin ou des nuits de Montmartre nous semblait indispensable. On a gardé l’essentiel. Si nous l’enlevions il allait à nos yeux manquer quelque chose.
Kessel n’a plus voulu couvrir la guerre.
Judith C.S. : Là, on rejoint son identité juive. On est après la seconde guerre mondiale quand il arrête ses reportages de guerre. Sauf pour Israël. Il ne regardait plus les choses de la même façon après la Shoah, le procès de Nuremberg. Il a été écœuré par la mort. Il a écrit ensuite plusieurs livres sur les Juifs dont Les Mains du miracle. Dans La Tour du malheur, il se livre, retrouve ses racines, il y a quatre tomes. C’est mon titre préféré de Kessel.
Jonathan H. : Pour ma part, c’est L’Armée des ombres.
Comment avez-vous travaillé avec le dessinateur Nicolas Otero ? Le scénario était très précis ? Cela a été simple de travailler avec lui ?
Jonathan H. : On lui a demandé de rendre compte du caractère charismatique du personnage. Cela a été très agréable de travailler avec lui, respectueux du texte écrit et apportant toute la force de sa création graphique.
Judith C.S. : Otero avait fait une BD avec Steinkis. On a dit parfois qu’on voyait les choses un peu différemment mais à la marge. Il est entré dans l’univers de Kessel de façon, très réaliste.
Kessel, c’est une question de génération ?
Jonathan H. : Non. On est sur ce projet depuis longtemps, avant que Kessel ne rentre dans la Pléiade et pendant le confinement les ventes ont explosé. Kessel est un de ces auteur qui allait sur le terrain, une sorte d’échange, de connivence entre le journalisme et la littérature. On croit que c’est dépassé mais en fait il y a un regain d’intérêt aujourd’hui pour la non fiction.
Un journalisme de terrain qui a évolué, et pas en bien. Donc sans parler du Lion son plus grand succès il y a des lecteurs qui se plongent dans les autres romans de Kessel ?
Jonathan H. : Je vois autour de moi depuis qu’on dit qu’on fait une BD sur lui le nombre de gens qui l’ont lu, très différents sur leurs choix. On arrive tous avec des portes d’entrées diverses. Moi c’est L’Armée des ombres, je le répète, le film et je suis passé au livre ensuite.
Comment avez-vous travaillé sur le scénario à deux ?
Judith C.S. : On a une technique éprouvée parce qu’on écrit souvent ensemble. On écrit une première version, le fait que Jonathan soit réalisateur fait qu’il a un séquencier en tête aide beaucoup. Après ça s’articule, chacun apporte des choses différentes. Et forme un tout.
Vous êtes de lecteurs de BD vous-mêmes ?
Judith C.S. : Oui de BD classiques, j’adore Goscinny, Bretécher, Gotlib. Ce n’est pas la même chose que le roman graphique, que l’on prend, pose, reprend.
Si vous aviez d’autres BD à faire ce serait lesquelles ?
Jonathan H. : On a déjà un projet autour de l’antisémitisme, la série documentaire TV qui passerait en BD. J’aime bien moi les romans graphiques où l’auteur est l’enquêteur qui apparait, se met en scène.
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