Jim est un auteur dont les ouvrages s’inscrivent dans l’air du temps. Ce qui permet souvent de s’identifier à ses héros et donc accroche ses lecteurs. Avec Marie et Raphaël, sa Nuit à Rome en est au tome 3. Plus qu’un album et on saura tout sur leurs destins. Jim a des projets plein la tête, les invente, les envisage, les réalise. Cinéma, BD, adaptations et roman, il n’a jamais cessé d’aller vers des ailleurs qui lui donnent, sous ses aspects sereins, un travail de Romain. C’est le cas de la dire. Toujours en phase créative, Jim est un homme de passion et de persuasion. De charme aussi, son œuvre le prouve. Il a répondu aux questions de ligneclaire.info avec ce sens de la nuance qu’on lui connaît bien désormais et qu’il revendique. En toute liberté il revient sur ses chantiers nombreux et variés. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.
Le tome 3 d’Une Nuit à Rome vient de sortir. Il reste un album pour enfin savoir, Jim, le destin final de vos deux héros.
Tout à fait. Pour mémoire, le 1 et le 2 sont un vrai seul tome coupé en deux. Le 3 et le 4 aussi, un autre seul tome coupé en deux. C’est la suite construite comme les deux premiers. Marie et Raphaël se courent après sans se trouver au début du tome 1 et y arrivent dans le tome 2. Avec le 3 et le 4, c’est pareil, il y a un jeu de construction similaire mais qui multiplie les décalages. Je m’amuse à jouer avec la même conception. Ce sont mes années Georges Lucas (rires). On se sert des mêmes éléments, on modifie avec des effets miroirs. A noter que sort également pour le tome 3 un tirage de tête chez Bruno Graff et Bd Empher, qui s’associent. Il aura deux couvertures différentes en juillet.
C’est une histoire qui n’est pas banale tout en l’étant. Cela peut arriver à n’importe qui leur histoire d’amour ?
Exactement ! J’aime creuser la banalité pour toucher à l’intimité très personnelle qui rejoint celle de tout le monde. En fouillant dans ce qui est ordinaire on touche à une sorte d’universalité. C’est ce après quoi je cours.
Donc, en fait leur parcours, une majorité de gens pourrait le vivre ?
C’est un peu la plus grande histoire d’amour dont sans doute beaucoup pourraient rêver, oui. Celle qui nous sort du quotidien. C’est la part passionnée. Être amoureux sur la distance ce n’est pas la même chose que de ne pas se voir pendant dix ans et passer une nuit ensemble. Je suis pourtant pour ma part un amoureux du quotidien, du plaisir suspendu qui dure.
Vingt ans plus tard, Raphaël est conscient qu’il vit un grand amour ?
Ça fait partie des questions. Est-ce qu‘un amour avec des grandes absences peut être un amour qui se formate à la vie de tous les jours ? C’est ce que je creuse à la fin du 3 et dans le 4 je joue avec cette idée pour amener à une réponse réelle. Pourront-ils se calmer ? Cela m’amuse.
Vous avez trouvé la réponse ? Et ensuite ?
Oui. Au moins pour ces deux personnages. Là on sera sur une fin définitive qui paraîtra dans un an et demi. Et après, j’ai hâte de travailler sur un scénario BD écrit avant Une Nuit à Rome. C’est un projet avec trois couples dont le titre change fréquemment : Trois femmes ou La Crique, ou On a chanté les Parisiennes, comme le titre d’un scénario de film que je bosse depuis longtemps et que je voudrais sortir en BD. J’aimerais faire trois albums. J’ai plusieurs versions du scénario mais je me fais du vrai cousu-main. J’adore graphiquement les ambiances vacances.
Un peu comme dans Petites Éclipses ?
Moins campagne, plus bord de mer, avec une crique, des bains de minuit qui donneront place aux couleurs du Sud de Delphine. Je suis en ce moment, avec Une Nuit à Rome, dans une scène d’aéroport avec plein de gens sur quelques pages. On ne peut pas y faire exploser les décors et les couleurs avec le même plaisir. J’ai envie de plages, de paysages. Cela fait aussi partie des plaisirs de départ. Il y a la base scénaristique mais il faut laisser monter les désirs de dessin… et les écouter !
Vous me disiez lors d’une rencontre être moins dans le plaisir avec le dessin qu’avec l’écriture ?
Finalement écrire tout le temps accapare le cerveau. C’est bien de passer de l’un à l’autre. Une aération, c’est physique. Avec le dessin, le cerveau peut écouter la radio, penser à autre chose, presque s’échapper. J’ai trouvé mon équilibre. J’ai évolué.
Actuellement, je fais aussi une BD avec un jeune dessinateur qui s’appelle Antonin Gallo, Détox. J’ai écrit le scénario, je dessine les personnages et Antonin Gallo fait les décors, la mise au gris, qui est très riche, très travaillée et spécifique. C’est inspiré par un ami qui est allé faire un stage détox, sans ordinateur ni téléphone pendant dix jours en pleine cambrousse loin des villes. On est seul, isolé des autres, sous la tente et en mangeant des plantes.
C’est un projet philosophique, réaliste aussi ?
Il y a effectivement une part de philosophie, le retour de l’homme à la nature. Il y aura deux albums : 1, le déni et 2, l’acceptation. Il lutte, accroché aux codes de la société. Il bosse trop et sa secrétaire lui dit qu’il risque de faire un AVC. C’est elle qui le fait. C’est dramatique mais j’y joins beaucoup d’humour. Enfin, j’espère !
Un sujet très tendance.
Oui, et c’est une des inquiétudes de l’éditeur. Ce sera chez Grand Angle. Mais en réalité, c’est le témoignage et le regard de quelqu’un qui a vécu cette expérience. Par nature, ce sera unique de toute façon. Il y a tellement d’albums qui sortent qu’on est obligé de faire des albums exceptionnels. En tout cas d’essayer, de viser la lune. Sinon ils sont écrasés par la masse. J’ai passé beaucoup de temps à faire des albums qui m’amusaient, sur des coups de tête, des impulsions. En fait cela ne suffit pas. Il faut des résonances avec la société. Au bout d’un moment on comprend qu’on ne fera plus autant d’albums que ça.
Vous n’êtes pas le premier auteur à me dire qu’on n’a plus le temps de se permettre de faire un album raté.
Au début, on part comme un chien fou. On finit par cerner ce qu’on aime, ce qui compte à nos yeux, ce qui va justifier d’y passer plusieurs années.
Si on parlait des adaptations au cinéma de vos albums ?
Je vais rencontrer des producteurs à Paris pour La Petite Tentation. Une Nuit à Rome sera en tournage au printemps l’an prochain. Je n’écris pas le scénario, je suis juste spectateur. Je relis et commente. Ce seront les tomes 1 et 2 qui sont adaptés. Le cinéma, c’est toujours long. Alors qu’avec la BD je maîtrise nettement plus les choses. Pour L’Érection, on est en casting pour le film et c’est Bernard Jeanjean qui le réalisera. J’ai bossé par contre, cette fois, le scénario.
Vous avez une vie très occupée.
Ah ah ! Sans oublier la création pour le cinéma, j’avoue. J’ai écrit un long-métrage que j’ai proposé à Mathieu Demy, La Bonne éducation, et que nous avons retravaillé ensemble. Des grands-parents kidnappent leurs petits-enfants pour leur apprendre les vraies valeurs. Comme toujours avec moi c’est inspiré par des choses un peu personnelles. C’était intéressant de confronter ces deux mondes. J’ai aussi un autre projet, Un Noël à Paris avec des acteurs qui se précisent cette semaine !
Quel est pour vous le format idéal en BD ?
Je me suis battu pour faire Une Nuit à Rome en diptyque et au départ, aucun éditeur n’en voulait. Quand j’ai rencontré Grand Angle, ils aimaient ce format. Cela répond également à une logique commerciale car on est obligé de travailler au forfait. J’aime que chaque tome ait sa vie et qu’on fasse ensuite une intégrale. Mon travail s’échelonne sur plusieurs années. Le one-shot, c’est bien, j’aime la forme mais par contre au bout de six mois le bouquin disparaît, ou en tout cas court ce risque. Et puis, pour celui qui dessine, on s’essouffle avec un album de 140 pages payé comme un 46 pages ou 60 pages, ce qui est devenu une norme hélas courante. Le vrai format économique qui semble avoir un équilibre jouable, c’est un album de 60 pages.
Le monde des auteurs est dans la tourmente. Certains arrêtent, ont des difficultés.
J’ai la chance d’être chez un éditeur qui essaie de prendre en compte le bien-être des auteurs. Ce n’est pas toujours le cas. Quand il s’engage il va jusqu’au bout. Il fait en sorte qu’il n’y ait pas de système au forfait, ou qu’il soit viable. Après le plus dur dans le métier, c’est d’être condamné au succès. Si on enchaîne les albums qui ne marchent pas, on n’est plus sûr de pouvoir continuer. Je ne sais pas comment mais ça déforme la façon de travailler, inévitablement. Il faut prendre en compte tous les critères. Se faire plaisir mais pas que pour soi, tenir compte de ce qui va plaire aux lecteurs, aux éditeurs. Il faut réussir à toucher plus que soi, inévitablement.
Vous avec une vision personnelle, à la fois créatrice et marketing.
Oui, je suppose que c’est venu progressivement. Quand je propose un film par exemple, le projet doit pouvoir séduire le producteur, sinon il n’existera pas. Mais il faut savoir garder le cap de ses propres envies, essayer de garder la foi en ce qu’on aime tout en ayant une bonne connaissance du marché. Voir comment la BD évolue avec des gens comme Bastien Vivès par exemple. Ce serait bizarre de faire de la BD aujourd’hui sans comprendre pourquoi Vivès est intéressant. Il y a un vrai travail, il est très doué.
Vous réalisez des travaux en parallèle, des illustrations ?
J’ai trouvé un équilibre avec les illustrations que je fais autour d’Une Nuit à Rome qui m’évitent l’obligation de faire tant de pages par mois, aller trop vite. Je me donne pour objectif de faire cinq pages par mois, ce qui me permet de refaire les cases un certain nombre de fois… Encore faut-il que la série marche ou que l’auteur soit un peu connu, car le temps en création est un petit luxe, évidemment.
Les lecteurs sont pressés ?
Je ne suis pas si sûr. Je fais un album tous les deux ans. Les lecteurs râlent un peu. La notoriété, elle est en jeu tout le temps, il n’y a que l’exigence à l’arrivée, je crois. Les séries peuvent parfois être plus fortes que l’auteur. Comme je pense avec Une Nuit à Rome. Je ne sais pas vraiment, en fait. (rires)
J’en lis un peu mais comme je suis devenu directeur de collection de romans cela me prend du temps au détriment de la BD.
Le roman, un autre sujet. Vous en avez écrit un et vous êtes en effet directeur de collection chez Grand Angle. Une autre facette de Jim ?
Ce sont les différentes voies de l’écriture. La BD, le cinéma, le roman. Cela faisait plusieurs années que je leur avais proposé de se lancer dans cette aventure du roman. J’avais envie d’écrire et c’est finalement le livre de mon fils qui a été le déclic. Chez Grand Angle, ils avaient eu envie de le lire et avaient vraiment aimé, et souhaitaient l’adapter en BD. Mais Ulysse n’avait pas envie d’en faire une BD. Son univers, c’est le roman. Donc j’ai proposé à mon éditeur de le publier et d’en faire un moi-même, histoire de faire le lien avec un vieux rêve d’écriture qui me taraude depuis plus de vingt ans… Je recherche les quatre prochains titres. Sur les thématiques, nous sommes très proches de ce qu’on fait en BD dans Grand Angle, contemporain, l’amitié, le couple. Trouver des histoires passionnantes, pas de fantastique. Aller titiller l’intime, chercher à approcher la vérité des gens…
Je cherche également des dessinateurs pour deux projets de bandes dessinées, et ça prend du temps… mais bon, je crois qu’il y a de quoi s’occuper en attendant ces futures rencontres… (Rires)
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