Jean-Pierre Gibrat était à Sète sous le soleil de la Méditerranée pour BD Plage. Président de l’édition 2015, l’auteur de Mattéo, du Vol du Corbeau, du Sursis, est d’un naturel spontané. Avec beaucoup de tendresse, d’honnêteté, le grand auteur qu’il est a répondu aux questions de Ligne Claire. Une interview dans laquelle Gibrat parle de la suite de Mattéo et de ses envies, avec toujours passion et lucidité. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC
On a laissé Mattéo en partance pour l’Espagne où la guerre civile a éclaté ?
Oui et il y sera au moins pour deux albums, du côté des Républicains bien sûr qui se battent contre Franco. Un album aurait été trop juste. Mon écriture est très précise. Ensuite on verra.
En fait il n’a pas vraiment le choix après la mort violente du trafiquant d’armes à Collioure à la fin du tome 3. Vous comptez l’amener où, Mattéo ?
Vraisemblablement jusqu’aux plages de Dunkerque en 1940. Mattéo est quelqu’un à qui beaucoup de choses échappent. Il fonctionne sur des malentendus. Il fait des choix par défaut comme pour son départ à la fin du dernier tome. Mais ensuite il fonce. Pour l’Espagne, Mattéo se sent obligé mais il ne sait pas si cela vaut le coup.
Vous semblez très concerné par la guerre d’Espagne ?
C’est un évènement qui va en entraîner d’autres et non des moindres. L’URSS sera le seul pays qui soutiendra la République espagnole en 38 et encore. Ces gens, comme en France sous le Front Populaire, voulaient croire en un monde meilleur. On croit au Parti Communiste à l’époque.
Mattéo et ses amis partent un peu vers Barcelone sans savoir vraiment ce qui les attend ?
Mattéo vit et voit l’Histoire par le petit bout de la lorgnette. J’aime bien ce genre de héros qui a aussi une lucidité au dessus de la moyenne. Il est désabusé mais sait ce qui n’est pas acceptable.
On peut comparer cette époque, celle des années d’avant-guerre, à aujourd’hui ?
Il y a très peu de similitudes. C’est très différent si ce n’est que sur le plan économique. L’économie de marché que nous avons se veut la seule capable de fonctionner. Elle ne nous va pas mais qui a des moyens de pression sur elle ? Ce qui explique la désillusion des gens pour la classe politique incapable de changements.
En 1936, on joue collectif. On croit qu’on va pouvoir tous s’aimer, vivre bien en société, trouver une autre façon de vivre ensemble tout simplement. En fait, pour revenir à votre comparaison, des braves gens donnent des chèques en blanc à l’innommable. Cela, oui, est toujours possible. Les dangereux, ce sont ceux qui manipulent les autres.
Vous avez dans Mattéo une nouvelle héroïne, Amélie et on retrouve Juliette ?
Les femmes on le voit ont plus de volonté que les hommes. Mattéo retrouve son premier amour, découvre qu’il a un fils qui est un petit con mais une mère, Juliette, qui a su rompre avec l’argent de son beau-père. Mattéo flotte, subit, ce qui n’est pas le cas d’Amélie qui part en Espagne par conviction. Elle dit à Mattéo qu’il est un velléitaire.
Comme beaucoup d’entre nous ?
Chacun dans la vie a sa partition à jouer. On est souvent le jouet de concours de circonstances. Quel écho à mon dessin par exemple ? Je suis un pessimiste sifflotant. J’ai mon équilibre entre joie et pessimisme. Je me suis retourné sur ma vie. On ne maîtrise pas tout. Il faut peu de choses.
Et après Mattéo ?
J’ai d’autres thèmes en tête. Après Mattéo, je ferai une pause d’un an. Sans rien. J’aimerais revenir à des chroniques plus intimes qui pourraient se passer de nos jours. Je voudrais lâcher davantage mon dessin, plus croqué. Mais je dois laisser mûrir tout cela.
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