Jean-Pierre Gibrat était de passage à Montpellier pour son dernier album, le tome 6 de Mattéo. En dédicace chez Azimuts il a participé à une rencontre animée par Ligne Claire. Avec une saga en six volumes, après Le Sursis et le Vol du Corbeau, Gibrat est un acteur majeur du 9e art. Dessin superbe mais aussi écriture riche et soignée, Jean-Pierre Gibrat est revenu sur ses motivations, ses idées, son travail et ses choix sans oublier le futur dont cette Indochine qu’il avait déjà évoquée avec nous. Des albums il va y en avoir d’autres même si on ne peut pas trop en dire. Une certitude, on n’est jamais déçu par Gibrat, homme de talent et de cœur, d’amitié. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.
Jean-Pierre Gibrat, comment on se sent quand on a fini une série aussi importante que Mattéo ?
Pas vraiment mal. J’ai enchaîné sur plein de choses, quelques soucis aussi et donc je n’ai pas eu le temps de réfléchir. J’ai travaillé sur la suite, pas de Mattéo bien sûr.
Mattéo est une série qui a commencé il y a déjà longtemps, en 2008. Tu m’avais dit au début que tu ne voulais faire que quatre albums.
Oui, tout à fait. J’en ai fait six pour toujours la même raison. Je suis incapable de raconter une histoire avec un nombre d’albums limités. Idem pour Le Sursis ou Le Vol du Corbeau. Quand j’en prévoyais un j’en faisait deux. Donc Mattéo six au lieu de quatre. Avec un regret presque mais bon, commencer en 1914 a donné du souffle à la saga. Si c’était à refaire je me demande si je ne commencerai pas au Front Populaire. Cela n’aurait pas la même signification.
Sans le poids de ces années folles de 1918 à 1936 et l’Espagne. J’ai relu les six albums et c’est vrai que la saga est pleine de sens.
Et ça t’a fait quoi de tout relire ?
Un plaisir de redécouvrir ton écriture. On peut presque lire les albums sans regarder les dessins.
C’est un compliment car il y avait une ambition, sans prétention littéraire, d’écrire avec du souffle. J’ai tellement été humilié au lycée dans les matières littéraires qu’avoir ces retours aujourd’hui en particulier des gens qui relisent Mattéo d’une traite est agréable. C’est la première chose qu’ils disent. J’ai souffert longtemps que ce ne soit pas visible au début. Maintenant ce n’est plus le cas. Il y a tellement d’albums où les dialogues sont faux, les textes off désinvoltes. Je lis peu en fait. Mon éditeur ne croyait pas que j’ai aussi peu lu dans ma vie. Je suis cultivé mais juste par endroit (rires). Quand j’ai lu Maupassant j’ai compris que c’était beaucoup mieux que les livres que je n’avais pas lu (rires). Mais c’est vrai.
Autre point avec Mattéo, on se dit que il y a un fils qui a un père secret, une mère qui a épousé un homme par intérêt qui n’est pas le père. A qui ou à quoi cela fait penser ? Une trilogie marseillaise ?
Oui, Pagnol bien sûr. Avec Marius, Fanny et Césariot. Une chose intéressante en ayant fait cet album c’est que les choses qui ont le plus de valeur à part la volonté d’écrire le mieux possible, ce sont les qualités que l’on peut trouver aux personnages et qui m’ont échappées. Un libraire qui m’interrogeait devant des lecteurs a dit « ce Mattéo il est aimé ». J’ai été touché. Je ne l’ai pas cherché mais c’est vrai il est aimé par son entourage. C’est un truc que j’ai mis dans l’histoire sans vraiment le faire exprès. Le poids de l’amitié dans la saga est très important.
Amour et amitié.
Et la fin comment tu l’as trouvée ? Je ne pouvais pas en écrire une autre. Louis dit à Mattéo, « c’est comme si tu étais mon père ». Ce qui me rassurait c’est que quand je le racontais avant de dessiner j’étais ému donc la fin était bonne. C’est ce qu’attend Mattéo qui veut avoir la même valeur aux yeux de Louis que celui qu’il croit être son père.
On peut parler aussi de fond social et politique.
C’était presque le but, rendre hommage à tout ces gens broyés par l’Histoire. En particulier les communistes, pas les dirigeants du PC qui n’ont pas payé assez cher ce qu’ils ont fait aux leurs. Je pense à ma famille, à mon grand-père qui en 1972 était sûr qu’en URSS c’était le paradis. Ceux qui ont fait la Guerre d’Espagne qui reviennent, se retrouvent dans des camps en France, apprennent qu’Hitler et Staline ont signé un pacte, c’est monstrueux.
Mattéo est anarchiste.
Oui parce que pour moi les communistes se sont totalement discrédités en Espagne ou en URSS. Quand j’avais 20 ans j’étais copain avec les gauchistes, les Trotskistes tout en étant moi au PC. Ils étaient anti-staliniens et plus justes dans leur analyse. Nous on écoutait Ferrat et Isabelle Aubret, eux Led Zeppelin. Ils étaient dans leur époque, pas nous. En étudiant la révolution russe je me suis aperçu que les Trotskistes étaient des Staliniens qui n’avaient pas réussi. Ils ne valent pas mieux mais avaient été victimes de la barbarie de Staline donc ils étaient devenus le contraire de la barbarie. On se fait avoir à chaque fois.
En relisant Mattéo tu as éludé sa période au bagne.
Oui. Car si je m’étais mis à raconter ça je serai tombé dans des lieux communs. Il n’y a pas grand chose et je n’aurai pas pu avoir un angle personnel. Le bagne c’est comme comme les déportés qui n’ont pas pu raconter, en parler. Je gagnais aussi du temps dans le récit tout en étant logique. Il n’en parle jamais du bagne Mattéo.
Est-ce que Mattéo est désabusé ou espère malgré tout ?
En 1936 il est désabusé. Il a payé cher ses engagements. Il est revenu des enthousiasmes collectifs. Comme ce que je ressens aujourd’hui. Mais des gens comme Mattéo sont nécessaires. Tous ses engagements sont liés à l’affect. Juliette, Gervasio qu’il suit en Russie et qui va être tué par des Rouges, Louis et ainsi de suite.
C’est un type honnête.
Absolument. Il y a un série formidable qui a des ponts communs, c’est Un Village français qui montrait trois communistes qui n’avaient rien à voir entre eux avec pourtant une idéologie commune.
Et maintenant après Mattéo ? Tu m’avais parlé d’Indochine il y a longtemps.
J’ai déjà tout le canevas de la prochaine histoire avec Le Sursis et Le Vol du Corbeau.
Oui mais Mattéo à Londres tout de même en 1940, la France a perdu une bataille mais pas la guerre. Avec en prime accompagné d’un fils jeune officier. Une porte ouverte ?
Je ne sais pas si je peux te le dire. Je vais te le dire mais tu n’en parles pas (dont acte, NDLR). Il va y avoir cependant une logique et l’Indochine revisitée. Je vais essayer d’être surprenant, c’est tout en espérant y arriver. En deux albums peut-être.
Formidable conteur.Je ne partage pas son penchant anarchiste qui se sont tellement mal comportés en Espagne dés 1934 mais avec le talent tout passse