Jean Harambat a concocté un de ces albums dont on se dit après coup qu’il fallait avoir eu un éclair de génie ou un accès de folie, une inspiration insoutenable pour se lancer dans une comédie aussi typée british, avec de vrais acteurs certes encore un peu connus et s’appuyer sur des faits historiques eux-aussi ancrés dans la seule mémoire de quelques spécialistes de la seconde guerre mondiale. Avec Opération Copperhead (Dargaud), Jean Harambat a marqué un essai en partant de loin, ce qui pour le rugbyman qu’il est, est après tout un défi qu’il a aimé relever. Prix Goscinny, nominé dans la sélection d’Angoulême, parmi les cinq finalistes du Prix ACBD, Opération Copperhead a fait carton plein. Alors il fallait bien tenter d’en savoir plus en interrogeant subtilement, à la façon du MI-6, Jean Harambat. C’est à Angoulême que ligneclaire.info l’a rencontré, découvrant un auteur d’une rare simplicité, convivial et plein d’idées. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.
Jean Harambat, comment en êtes-vous arrivé à la BD ?
Je n’ai aucune formation sur ce thème. Je suis un littéraire. J’ai fait ensuite de l’économie, de la philo, du rugby bien sûr car je suis Landais. J’ai dessiné. Et j’ai travaillé pour le journal Sud Ouest comme illustrateur et ils ont publié ma première BD, Les Invisibles. C’est ce qui m’a mis le pied à l’étrier.
L’idée à la base de Copperhead, c’est quoi ? On ne se lance pas comme ça dans une aventure aussi atypique ?
J’avais envie depuis longtemps de parler de cinéma, de ces acteurs qui ont traversé le XXe siècle et ont eu des trajectoires étonnantes avec en particulier la seconde guerre mondiale qui a bouleversé des destins de vedette. Clark Gable se retrouve dans un équipage de bombardier, Douglas Fairbanks, le parlant arrive, c’est la fin d’un monde. John Wayne m’amusait comme la collision entre la vie personnelle et la vie professionnelle de ces acteurs. Mon beau-frère anglais m’a encouragé à lire les mémoires de David Niven dont le titre français est Décrocher la lune.
Tout est vrai dans cette rencontre ?
Absolument. Il fallait que je trouve une histoire avec de l’humour, avec ce décalage typiquement britannique, des dialogues comme ceux du théâtre. Je creuse et je découvre cette opération Copperhead que Niven mentionne dans un autre livre. C’est le colonel Dudley Clarke qui lui demande de recruter un sosie de Montgomery pour le film de propagande mais en fait pour mener une opération secrète afin de tromper les Allemands sur le lieu du débarquement. Il fait venir un acteur Clifton James qui va jouer Monty et ensuite j’ai un peu brodé dans Copperhead qui est le vrai nom de l’opération d’intoxication. La confrontation avec Montgomery a eu lieu avec Clifton James mais je l’ai placée dans un théâtre. Tout a bien marché mais l’opération a eu lieu un peu trop tard. Et on n’a jamais remercié Clifton. Il a été autorisé dix ans après à écrire ses mémoires et il est mort assez jeune. Niven quand il l’a recruté a exigé qu’il soit payé comme un acteur. Cela en dit pas mal sur le côté humain de Niven.
Vous avez ajouté quand même des détails romanesques sur des bases historiques ?
Copperhead a été vraiment une opération tordue, très britannique ?
Cela a été fait un peu tard cette balade de Montgomery en Afrique du Nord et n’a pas eu un impact majeur. Par contre Body Guard qui couvrait toutes les opérations de désinformations du Jour J dont Fortitude, a marché. Copperhead y a participé aussi. Je voulais aussi faire un récit sur la formation, l’illusion, Montgomery, le sosie du maréchal qui donne le change.
L’ambiance, le dessin, l’ensemble fonctionne à merveille.
J’ai essayé de faire du théâtre dans le théâtre, ce qui est assez anglais. Une sorte de jeu lié au monde du cinéma que j’aime, le comédies de Lubitsch. En revoyant To be or not to be, je me suis aperçu qu’il y avait des choses que je ne pouvais pas faire en BD. Ce n’est pas le même média. Il fallait trouver des ressources de rythme propres à la BD et le dialogue sert à ça. Les livres de Posy Simmonds m’ont beaucoup influencé pour donner l’accent et un ton britannique aux textes. Pour le dessin je me suis appuyé sur des illustrateurs anglais de ces années là. Cela évoquait le côté vintage, rétro de cette époque et en même temps c’était des ressources sur lesquelles m’appuyer. Je n’ai pas un dessin anatomique, un peu tard pour m’y mettre.
On parlait du velour de Lubitsch. Il fallait que je trouve aussi une sorte de velour dans mon dessin, dans le texte, de la fluidité avec un dessin schématique qui évoque et ressuscite l’humour de cette époque.
On pense aussi à Peter Sellers.
David Niven a joué dans la Panthère Rose.
Votre livre a été aimé, nominé, primé.
Au bout d’un moment, je savais que je tenais quelque chose et que je ne devais pas le gâcher. Je riais en faisant l’album. J’avais plaisir à faire revivre l’esprit des comédies loufoques américaines. Je sentais que j’avais quelque chose de bien. On est sorti en septembre, c’était un risque mais ça a marché. J’ai eu le prix Goscinny et c’est amusant parce que lui aussi avait commencé dans le quotidien Sud Ouest avec le Petit Nicolas. Dans Sud Ouest j’ai fait du reportage dessiné, je suis allé en Ethiopie. J’ai été publie dans Géo, Le Monde.
A la Tintin. Dans un album comme Copperhead on risque d’être prisonnier de la réalité historique. Il faut enquêter et s’en éloigner pour servir le récit. J’ai réinventé une partie des mémoires mais l’amitié de Niven et Ustinov était sincère. Dans les pages de garde il y a une photo de Dudley Clarke travesti et c’est vrai. Il y a eu un gros travail de documentation et de recherche cinématographique. Je me suis bien amusé mais je mets beaucoup de temps à faire un livre.
Si vous mettez beaucoup de temps, à quand le prochain ?
On va rester encore dans un environnement anglais. Ce serait une fable policière, l’histoire d’un club qui regroupait les grands auteurs de polars de l’époque dont Agatha Christie. Ils vont être confronté à un meurtre. Je mêle ça à l’intelligence artificielle mais en gardant ce sens du burlesque que je viens d’aborder dans Copperhead. Une comédie policière en fait qui paraîtra dans deux ans je pense. J’ai aussi un projet avec Actes Sud plus naturaliste sur la vallée de l’Adour. Une sorte de carnet mais je n’ai pas trouvé encore l’angle parfait.
En fait, en conclusion, pour l’opération Copperhead les services secrets anglais ont eu l’idée pour le sosie de Montgomery en voyant le film de Lubtisch. Le cinéma a influencé la réalité puis ma BD a vu le jour et il y a aujourd’hui un producteur de cinéma qui a pris une option sur l’album Copperhead pour faire un film. Je trouve ça amusant cette sorte de boucle qui part du cinéma et y revient.
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