Jean Dytar vient de publier Les Tableaux de l’ombre sur les petits maîtres oubliés du Louvre, une balade romantique et pleine d’humour, de tendresse. Comme à son habitude, Dytar est toujours génialement surprenant. Pour le plaisir on publie une interview de lui réalisée à l’occasion de la sortie de La Vision de Bacchus, ouvrage qui l’a propulsé à juste titre parmi les meilleurs créateurs. Il annonçait déjà son maître cartographe de Florida et un projet contemporain, sûrement Les Tableaux de l’ombre.
Jean Dytar a signé son second album, La Vision de Bacchus (Delcourt). Il y parle avec émotion de la création artistique, de la recherche de la perfection en plein Quattrocento italien au XVe siècle. Un superbe travail d’orfèvre dans lequel on sent qu’il s’est investi corps et âme. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.
Pouvez-vous nous présenter votre parcours ?
J’ai fait mes études à la faculté des Arts Plastiques de Saint-Étienne. On y apprend la pratique mais aussi l’histoire de l’art, l’esthétique. Cela dit je n’ai pas fait de la BD en fac. J’ai suivi des cours du soir pendant six mois lors d’un séjour aux Beaux-arts de Liège. Aujourd’hui j’enseigne les arts plastiques à mi-temps à Lyon.
Votre deuxième album, cette Vision de Bacchus, est une œuvre atypique sur le mystère de la création artistique et la rivalité entre peintres du Quattrocento.
Dans mon premier album je traitais de l’Iran au XIe siècle, mon travail se situait entre la ligne claire et la miniature persane, alors que dans La Vision de Bacchus je conserve une base de ligne claire qui se rapproche davantage de la peinture du Quattrocento italien.
Pourquoi cette évolution de style graphique?
Ce choix est lié aux propos que je soutiens dans cet ouvrage. J’essaie de produire un dialogue graphique avec mon sujet. Le dessinateur de BD est aussi un metteur en scène, tout comme l’étaient ces peintres en cette fin du XVe siècle. Je les montre dans une quête obsédante, obnubilés par leur art. « Mes » peintres, Antonello de Messine, Giovanni Bellini, Giorgione, veulent représenter une figure de la façon la plus incarnée possible et ils s’épuisent dans cette quête.
Ils sont vampirisés par l’art ?
Il leur faut une énergie incroyable et c’est cela que j’ai voulu montrer. Cette pratique picturale est dévorante. Ils ont aussi des pratiques expérimentales. Je me suis inspiré de l’ouvrage de David Hockney, Savoirs secrets, dans lequel il parle des techniques perdues des maîtres anciens. Je montre ce fameux dispositif de production d’images, l’ancêtre de la camera obscura, dont l’existence à cette date est controversée, bien que plausible. Léonard de Vinci, à la même époque, en parle dans ses écrits. Il s’agissait pour moi, entre autres, d’évoquer par anticipation la représentation photographique.
Vous saviez dès le départ où vous conduirait votre idée ?
Oui et non. J’avais une idée des grandes lignes de mon propos. J’ai ensuite travaillé sur des petites séquences, la pagination. Je suis passé aux planches et j’ai nourri mon travail au fur et à mesure que je progressais, comme la description de la chambre obscure. J’ai même réalisé une nouvelle reconstitution d’un tableau aujourd’hui en partie disparu. Je me suis plongé dans la biographie d’Antonello de Messine. Cela a été un travail exaltant et épuisant, un projet sur quatre ans. J’ai travaillé au crayon noir, au lavis à base de brou de noix et la couleur sur ordinateur.
Vous preniez un risque à vous confronter à de tels peintres ?
Je ne me suis pas trop posé de questions de cet ordre, sinon j’en aurais été paralysé. J’ai essayé de ne pas me laisser impressionner et me suis lancé dans un dialogue amoureux avec cette période de la peinture. Je me suis senti proche de ces artistes. Ceux dont je parle dans mon album ont existé, comme les tableaux, sauf une commande que j’ai imaginée. J’ai voulu parler de l’acte de peindre et de l’effet produit par une peinture, pas vraiment faire une biographie de peintres.
Ces peintres sont au sommet de leur art ?
Absolument. Le Quattrocento est une explosion artistique. Les peintres inventent, expérimentent, avec une part de naïveté qui me touche beaucoup. Ils essayent plein de choses. Les XVe et XVIe siècles sont une ébullition artistique permanente. Ils ont inventé le classicisme. J’ai ressenti un vrai plaisir ludique à emprunter leurs traces, à travers une forme également classique de bande dessinée qui tente de revenir à la source de ce classicisme. Je suis allé à Venise bien sûr pour m’imprégner de l’ambiance.
Après un album aussi puissant, sidérant et bouleversant, quels sont vos projets ?
J’en ai plusieurs en gestation, dont un qui se passe dans la période contemporaine et un autre historique, concernant la cartographie. On y parle dans les deux cas de représentation du monde, de la distance avec laquelle on regarde les choses.
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