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Interview : Jean-David Morvan, Madeleine et Dominique pour une Résistante qui fera date

C’est un des beaux phénomènes éditoriaux récents. Jean-David Morvan (archives) et sa co-scénariste, la résistante Madeleine Riffaud, sont tous deux auteurs de l’album Madeleine, Résistante dessiné par Dominique Bertail et publié dans leAire Libre des éditions Dupuis. Madeleine Riffaux a passé sa vie à résister en commençant très jeune par l’occupant allemand. Ensuite, grand reporter, elle ira affronter en première ligne l’actualité. Jean-David Morvan est l’un de ces très rares scénaristes capables que du meilleur. Il n’aimera pas la formule. Tant pis. Son œuvre est éclectique, toujours précise, travaillée et cette fois comme dans Irena ou Simone qui vient de sortir, le travail de Mémoire fait aussi loi, intelligent et porteur, décliné. Au dernier Festival du Livre de Paris, Morvan a répondu aux questions de Ligne Claire sur Madeleine bien sûr mais pas que. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.

Jean-David Morvan. EdlM ©

Jean-David Morvan, Madeleine, résistante est devenu un phénomène d’édition, primé, et fait acte de mémoire. La prépublication en cahier est un choix d’éditeur ?

On a l’impression que c’est vraiment un évènement. La prépublication est une idée de José-Luis Bocquet parce qu’ il disait « si on fait un gros livre de 100 pages Madeleine qui est quand même âgée ne l’aura pas tout de suite. » Il a donc choisi de faire ses cahiers pour que Madeleine ait des publications rapprochées. Au départ c’est vraiment pour elle.

Quand vous dites que vos avez co-scénarisé avec elle, c’est vraiment ça ?

Tout à fait. Elle me raconte des choses, on fait des scènes, je lui relis car elle y voit très mal, présente les cases et elle me suggère des modifications. « On pourrait placer cette scène avant l’autre, changer cette phrase pas assez précise ». Elle a vraiment un esprit analytique mais elle a raconté des histoires toute sa vie. Grande journaliste, reporter de guerre, la narration n’a pas de secret pour elle.

Madeleine Riffaud. Dupuis ©

Tout le scénario n’est pas encore écrit ?

Non, il est dans sa tête. Mais j’ai des centaines d’heures d’enregistrements. Ce ne sont plus des interviews. Je la laisse parler et je n’arrive à la couper qu’en la faisant rebondir sur des points. On se connait maintenant depuis longtemps.

Le choix de Dominique Bertail au dessin a aussi été suggéré par l’éditeur ?

Non, on se connait avec Dominique depuis que je fais de la BD. On a commencé presque en même temps. Avant Shandy qu’il avait publié. Un jour je cherchais un dessinateur pour faire le 6 juin 44 sur Robert Capa. Je l’ai croisé et je le lui ai demandé. Il a accepté et depuis j’avais envie de faire quelque chose de plus long avec Dominique. Pour Madeleine cela m’a semblé évident.

Quand on lit les pages c’est vraiment une évidence.

On ne peut plus imaginer la vie de Madeleine désormais autrement que dessinée par Dominique. C’est très fort.

Quand on lit les cahiers puis l’album, on se dit c’était elle, c’était lui.

Il y a de ça. On était tellement persuadé que cela devait être lui qu’on l’a attendu un an car Dominique était occupé. Quand on travaille avec Madeleine qui a 95 ans à l’époque, il fallait être sûr.

Autre point, c’est non seulement l’époque de la guerre est une thématique qui vous importe à travers d’autres albums mais c’est aussi un rôle important de nos jours où faire acte de mémoire est vital ?

Tout à fait et c’est ce que Madeleine veut faire, parler aux gens d’aujourd’hui et c’est pour cela qu’elle a accepté de faire de la BD. Au début elle a refusé et puis elle s’est rendu compte de l’importance de la BD pour le public.

La transmission de la mémoire car ce sont des générations qui ne savent plus.

Oui mais maintenant avec Irena et Simone je fais des interventions dans des classes de CM2 à la Terminale. Une semaine à Caen dernièrement et ils sont très intéressés. Tous les âges.

Ces repères sont plus accessibles par eux que par les 30-40 ans ?

Oui parce qu’on ne les a pas non plus submergé d’infos avec cette période, guerre, occupation, résistance, Shoah. Malgré tout ils voient beaucoup d’images éparses. Quand je vais les rencontrer ils en parlent et on relie les choses ensemble.

Il y a aussi l’émotion car ce sont des destins tragiques. Des gamins confrontés au pire en le pressentant parfois ou pas.

Dans Irena, BD un peu à part, les parents dans le ghetto savent que leur vie est finie. Les gamins s’ y habituent comme à une vie normale. C’est peut-être pire pour ceux qui vont survivre. Que va donner cette éducation dans le ghetto plus tard ?

Comment les élèves réagissent ?

Dans les collèges et lycées les profs les ont fait travailler le sujet. Donc c’est génial. On va bien sûr continuer Madeleine mais c’est vrai que je suis parti souvent sur ce thème.

Par sensibilité, ressenti ?

Aussi car c’est fort. Cela touche les gens mais je ne veux pas faire de choses trop Wikipédia, factuelles sur ces sujets. C’est un peu bizarre ce que je vais dire mais il manque de la hauteur, un point de vue dans pas mal d’albums. Pas toujours parce qu’il y a des bouquins formidables mais nous on essaye d’y mettre de l’empathie et la transmettre. Ça passe par des artifices de narration que l’on tente. Dans Simone je la fais discuter virtuellement avec sa dénonciatrice. On fait des trucs un peu audacieux de narration.

On revient dans cet album sur Barbie, son rôle à la Gestapo de Lyon, le procès filmé. On se dit que là aussi il y a des traces matérielles pour l’Histoire.

Plus que ça parce que tout se passe à Lyon où combien de jeunes Lyonnais se baladent dans la ville sans savoir ce qui est arrivé. Le jour où ils l’auront lui l’album ils se souviendront qu’ils sont passés sur des lieux tragiques, la résistance, les fusillés, les bombardements. C’est bien de replonger cette BD dans le quotidien et moi-même il y a des noms qui ne me disent rien, des stations de métro comme Jacques Bonsergent. Quand je passe devant les plaques sur les murs j’ai envie de rendre la ville sensible, que les gens soient touchés. C’est un peu mon but.

Combien de tomes pour Madeleine ?

Sept. On était parti sur trois, la guerre et la libération de Paris. On voulait continuer. Madeleine ensuite rencontre Eluard qui tombe amoureux d’elle, elle rencontre Picasso, Hô Chi Minh, elle part en Indochine comme reporter de guerre, en Algérie, elle est gravement blessée par l’OAS dans un attentat. Elle en souffre toujours. Ensuite c’est la guerre du Vietnam. Pour le nombre d’albums, il fallait voir comment allait marcher le tome 1. On a vu et donc Dupuis a dit banco. Madeleine a demandé au directeur de Dupuis que les contrats soient faits de suite. (Rires) Qu’elle n’était plus toute jeune. Une sacré femme, très forte. Le tome 3 très important sortira en août 2024 (Madeleine aura 100 ans) pour le 80e anniversaire de la Libération de Paris. Madeleine a été très importante pour les Français qui s’en souviennent toujours, de ses articles de journaliste brillante et objective. Côté projet entre autres je suis en train d’écrire les 75 ans de l’agence Magnum.

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