Jean-David Morvan est un scénariste BD dont le nom est attaché à un large panel d’albums, très souvent à succès avec un ton qui lui est propre, nerveux et plein de vie. Science-fiction avec Sillage, Nävis, la grande histoire avec Mao ou Jaurès, Serena, celle de la photo et de ceux qui l’ont faite, il sort d’ailleurs deux titres sur ce thème, Stanley Green chez Delcourt et Abbas dans la collection Magnum Photos chez Dupuis le tome 4, Mohamed Ali, Kinshasa 1974. Mais Morvan, homme de passion, c’est aussi récemment l’adaptation des polars de Vian dont J’irai cracher sur vos tombes. Jean-David Morvan sera aussi de la fête dans la nouvelle maison d’édition Philéas avec l’adaptation des Aventures de Victor Legris d’Isner, une belle série de polars début XXe. Il s’explique, donne ses pistes, se livre en toute liberté sur sa perception de son travail de scénariste, ses projets. Propos recueillis par Jean Laurent TRUC.
Jean-David Morvan, vous sortez en même temps deux albums sur la photo, Stanley Greene et Abbas à Kinshasa. Qu’est-ce qui vous a transmis cette passion pour cet art ? Est-ce une photo ?
Un hasard en fait cette double sortie, de circonstances. Non ce n’est pas une photo. C’est la photo en général, le moyen d’expression graphique qui m’a toujours plu. Comme la BD. J’ai toujours été sensible à l’image. Le dessin me touche plus que la musique. Je ressens mieux dans un dessin ce que l’auteur a voulu transmettre. Avec la photo, c’est pareil. Il y a un choc immédiat qui m’interpelle davantage. La puissance que dégage une image unique est très importante pour moi.
Quelque soit le style, l’environnement, le sujet ? Dans vos deux albums, on est dans du photoreportage classique. Mais cela peut-être aussi une photo de mode ?
C’est une bonne question. Non, c’est plutôt la street photo ou le reportage qui me frappe le plus. La pub ou la mode m’ont moins intéressé à part quelques-unes. Je me suis moins client de Newton que de Steve McCurry. L’actualité qui se mélange à la photo m’a toujours aussi fasciné. Donc il y a un rapport même si je n’y avais jamais vraiment pensé. Ce qui s’est passé réellement, actualité ou Histoire. Tout va ensemble.
En fait, une photo peut vouloir dire histoire avec un grand H. Les photos sont souvent des témoignages historiques, non ?
C’est plus compliqué que ça. Une photo peut être percutante sans qu’on sache pourquoi et où elle a été prise. C’est un témoignage fugace d’un moment d’humanité. C’est un peu pompeux mais c’est ce dont je me rends compte quand je fais des photos. Je rencontre des gens que personne ne va jamais voir comme dans une favela. Il y a des rapports humains très courts dont on va pourtant se souvenir. Une force qui passe dans la photo à travers un regard. Un moment d’énergie qui vient de l’anonyme.
Avec la collection Magnum, comment choisissez-vous les photographes ? Il y a l’évènement et le photographe, ou le contraire ?
Il y en a eu cinq albums Magnum en fait dont celui sur le voyage de Depardon et de Loustal à Carthagène. C’est difficile de répondre. C’est un choix qui, effectivement pour Abbas, rassemble l’évènement et lui. Cela faisait longtemps qu’on voulait parler de Mohamed Ali. C’est l’occasion en fait qui nous a motivé. On aime Abbas, il est allé au Zaïre, il y a un lien. Ce n’est pas comme celui sur Capa qui correspondait à l’anniversaire du débarquement. En plus il est l’un des fondateurs de Magnum. Pour Mohamed Ali, c’était une envie de le faire, revenir sur sa jeunesse, et montrer Abbas qui se retrouve par hasard à ce match mythique.
Un combat Foreman-Mohamed Ali qui reste une référence. Pour les prochains titres dans cette collection, vous avez déjà des idées ?
Je ne sais pas encore. Il y en a avec qui j’aimerais bien travailler, c’est Elliott Erwitt qui vit toujours. Et puis un jeune photographe Jérôme Sessini qui était sous les balles sur la place Maïdan. J’aimerais aussi traiter les Gitans de Koudelka. Il y en pas mal de noms en fait.
Comment en êtes-vous arrivé chez Delcourt à faire cette biographie de Greene, un choix personnel ? Vous travaillez avec un dessinateur qui a marqué l’album par la qualité de son trait.
C’est une question de rencontre. La BD n’est pas une affaire de solitaires. Pour Greene, j’adore son travail. Mais c’est une conjonction entre plusieurs rencontres. Le co-créateur de la collection Magnum avec moi, Clément Saccomani, a changé de boite. Il est parti de Magnum pour aller chez l’agence de Greene, Noor. Un autre changement mais au sein des maisons d’édition, est celui de Louis Antoine Dujardin chez Delcourt après Dupuis où il avait travaillé sur la collection Magnum. On voulait faire quelque chose sur Greene et on s’approchait de l’anniversaire de la chute du mur de Berlin. On a pensé à Greene dont Berlin a été le déclencheur de carrière. Le livre a été fait sur cette base, Greene en priorité, le mur ensuite. Dernière rencontre, je suis allé participer au jury Delcourt-Brassard. J’avais déjà rencontré les étudiants de l’école. Il y avait Tristan Fillaire dont j’avais apprécié les travaux. Je lui ai proposé le projet. Et voilà.
Si vous aviez à citer une photo, une, laquelle choisiriez-vous ?
Il y en a plein. Pour des raisons personnelles j’ai des souvenirs de chansons de Lavilliers. Ce serait donc une photo de Salgado dans cette mine à ciel ouvert au Brésil où on voit un trou immense avec les gens comme des fourmis qui y travaillent. Pour moi, cela a été vraiment le choc de découvrir quelque chose qu’on ne pensait pas pouvoir exister. Je me suis posé des questions.
La partie photoreportage période guerre du Vietnam ou d’Indochine est importante pour vous ? C’est la très grande époque du genre.
Oui c’est très fort, Gilles Carron, McCurry dans des conditions où on pouvait encore photographier la guerre de près avec des risques incroyables. Mais il y a eu aussi Smith pendant la guerre du Pacifique. La photo de guerre est très prenante comme celles de Capa pas seulement le 6 juin, en Espagne aussi. Ce sont des témoignages incontournables. Le premier grand reportage photo c’est pendant la guerre de Crimée.
Vous pensez que le photoreportage a toujours sa place alors qu’on est inondé d’images, de films, que les photographes ont du mal à se faire publier ?
C’est vrai que c’est difficile. Les choses ont changé. Oui, tout le monde a un portable. Je me dis que paradoxalement quand on voit une bonne photo, on le sait. Quand il y en avait peu, toutes étaient formidables. Aujourd’hui, une bonne photo, on la voit prise ou pas avec un portable. Comme disait Greene ce n’est pas une question de technique, c’est la puissance qui s’en dégage. Plus le hasard provoqué par le photographe avec la volonté d’aller quelque part où personne n’a envie d’aller.
Vous êtes un scénariste qui a traité un large éventail de sujets. L’Histoire aussi est une passion. Quand on voit la liste impressionnante de vos albums, on peut en extraire une série comme Irena, résistante polonaise qui a sauvé des enfants juifs du ghetto ? Une série qui a été marquante. Comment vous choisissez vos sujets ? On vous fait des suggestions ?
Non c’est moi, souvent après un coup de foudre. Cela peut être une idée qui me traine en tête, ou c’est une personne que je vois à la TV, sur Facebook comme pour Irena. J’avais trouvé le sujet passionnant. Je me suis souvenu que deux ans avant j’avais visité au Mémorial de la Shoah une exposition photos sur les ghettos. Je m’étais demandé très jeune ce que ce mot voulait dire. Je me suis interrogé sur ma légitimité pour raconter cette histoire. Avec Irena, je l’ai trouvée. Les choses peuvent se concrétiser dans un sujet, un personnage ou un dessinateur dont le style va me permettre de faire quelque chose de différent. C’est un mélange plus une envie de raconter une histoire méconnue. Pour le match de boxe Ali-Foreman, le fait était connu mais il y avait des choses à dire sur Mohamed Ali et Abbas.
On revient à Boris Vian. Pourquoi cette adaptation de J’irai cracher sur vos tombes ?
En fait mon père avait ce roman que j’ai lu jeune. Il lisait Vian parce qu’il avait fait la guerre d’Algérie. La chanson de Vian Le Déserteur avait été interdite. Donc il a lu Vian et Vernon Sullivan, pseudo de Vian pour son polar. J’ai commencé par adapter chez Delcourt en 2012 L’Arrache-cœur et L’Écume des jours. Un éditeur de chez Glénat m’a proposé de continuer avec les Vernon Sullivan. J’ai sauté sur l’occasion car j’avais essayé de le faire dans la collection Ex-libris à l’époque. Pas possible. Donc j’ai dit oui de suite.
Vous aimez changer de registre ? Toucher à tout ? Vous ne vous refusez rien ?
Si, je me refuse sûrement des choses. Tout en voulant raconter ce qui ne l’a pas été. Dans Irena, c’est la Shoah par balles. Je voulais montrer l’horreur mais comment le faire. C’est l’un de mes buts, adopter une technique que je n’ai pas encore utilisée. Ce qui ne se voit pas toujours et il faut que cela reste facile d’accès pour le lecteur.
Une part créatrice et d’expérimentation donc. Et si cela fonctionne on ne s’en aperçoit pas.
C’est ce que j’essaye de faire. Des flashbacks dans d’autres flashbacks et si j’ai bien fait mon travail, on ne se rend pas compte de la complexité. On suit l’histoire. Et pour moi c’est le plaisir de l’avoir fait. D’éviter dans ce métier de refaire toujours la même chose.
Qu’avez-vous sur le feu actuellement ?
Quelques petits trucs à faire dont finir ma première BD érotique chez Glénat avec Céline Tran, le nouveau Sillage le tome 21. Et bien d’autres encore. Historique aussi après Irena avec David Evrard, on fait une BD sur Simone Lagrange, résistante et envoyée très jeune dans les camps. Elle a été témoin du procès Barbie qui l’avait torturée. Ce sera chez Glénat. On en avait envie depuis longtemps.
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