Jean-Christophe Chauzy a repris les rênes de la création en solo. Dans Le Reste du Monde il a assuré scénario et dessin. Un cataclysme dévaste un petit village des Pyrénées. Une jeune femme qui vient de divorcer et ses deux fils vont affronter la montagne qui explose. Ils tentent de survivre dans un milieu hostile où toutes les règles ont disparu sans qu’on sache qu’elle est vraiment l’étendue du séisme. Crédible à souhait ce chaos dans lequel Chauzy a mis tout son grand talent au service d’une nature devenue l’actrice principale de son histoire. A noter que Chauzy sera à Nîmes librairie La Bulle le 24 avril. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.
Un besoin de revenir au scénario ?
J’ai commencé à travailler seul au début de ma carrière. Je suis passé ensuite à l’adaptation, à collaborer avec des scénaristes. Ce qui a été à la fois un grand plaisir mais aussi une frustration. J’avais planqué mon envie de retravailler avec moi, seul.
Quel a été le déclic ?
J’avais un projet de tome 3 avec Marc Villard. C’est ce qui m’a poussé dans mes retranchements et j’ai finalement proposé un projet d’auteur. L’idée de départ est issue de mes lectures, de ma passion de romans américains dans lesquels le paysage est un personnage à part entière. C’est ce que j’ai essayé de faire.
Des exemples d’auteurs US ?
Williamson avec L’Homme qui venait de nulle part ou McCarthy avec La Route. On y retrouve aussi le thème des rapports entre parents et enfants. Une autre base de mon album Le Reste du monde.
Comment est né cet album ?
Je me suis donc relancé sur un projet personnel. J’ai gambergé et j’étais en vacances dans les Pyrénées. Et pendant une balade en haute montagne, je me suis dit, mais pourquoi allez chercher au Far West ce que j’ai sous les yeux ? Pas la peine de faire de la BD en costume alors que j’avais tous les ingrédients sous la main.
Donc, la montagne où un cataclysme, semble-il que local, détruit tout ?
Oui, que se passe-t-il quand tout dérape ? C’est côté très spectaculaire qui va donner un autre statut aux personnages pris au piège dans Le Reste du Monde. Le paysage est devenu le premier personnage, la nature est en crise. Ce n’est plus un décor statique. Il crée l’histoire et impose la cadence.
Vous vous êtes senti plus libre que dans le cadre d’une adaptation ?
Je pouvais essayer de nouvelles pistes. J’avais envie de jouer avec tous les outils possibles. J’ai balayé large. La montagne est le catalyseur. Et puis je repars vers les personnages, la mère, ses deux fils et leur copain, le chien. C’est une famille qui est secouée déjà par la séparation des parents. En fait on n’arrête pas de nous montrer des cataclysmes qui se passent ailleurs. Mais chez nous, en France, à la maison ? Imaginez un tremblement de terre dans les Alpes, dans les Pyrénées, près d’une centrale nucléaire de la Vallée du Rhône ?
Comment réagirait la population, c’est cela ?
Tout à fait. Plus d’eau, d’électricité, de téléphone, des zones coupées du monde. Que deviendrait notre communauté ? Avec un élément de plus, les secours qui n’arrivent pas, les routes impraticables.
La totale. Et pas de réponse pour les personnages ?
Ils ne savent pas où est vraiment le cœur de la catastrophe. Il faut qu’ils sortent de la vallée pour avoir des réponses. Et c’est aussi une découverte pour eux. Dans l’adversité on se révèle. On réagit ou on se résigne. Et l’héroïne est prête à tout pour ses enfants.
Il y a une scène terrible, très forte, où ils sont dans une crevasse dans laquelle se déversent les tombes du petit cimetière du village.
La terre attire la vie à elle, et les morts bien sûr. Il faut percevoir la minéralité de tout cet univers. Finis civilisation et loisirs, les touristes sont pris en otage par le paysage, dans un village où les forces de l’ordre qui restent tentent une organisation puis dérapent. Chacun pour soi. Pour satisfaire des besoins élémentaires on s’animalise. Mais les liens familiaux vont se resserrer.
Quel a été le côté le plus intéressant dans cette aventure créatrice ?
De lier scénario et effets de mise en scène. Le paysage joue en premier et le village ensuite sur ces effets. L’insécurité est permanente pendant tout le récit. Et je me suis aussi beaucoup amusé de m’embarquer au fur et à mesure dans le récit. Ils veulent quitter l’enfer, passer de l’autre côté mais que vont-ils trouver ? Ce sera dans le tome 2.
Vous avez changé vos habitudes de travail pour Le Reste du Monde ?
Oui. J’ai travaillé sur un format plus grand, 38 par 56 cm avec un très bon papier, un beau grain pour l’aquarelle. Il y a de la matière dans mes couleurs, une vraie impression de richesse. La couleur doit prendre possession de la page. J’ai passé un an et demi sur ce projet et je vais avoir besoin d’un an de plus pour le suivant. Le story-board sera peut-être le pré crayonné cette fois. En fait, j’ai effectivement retrouvé le plaisir de la création, global, redécouvert celui du découpage.
Le Reste du monde, Tome 1, L’Effondrement, Casterman, 18 €
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