On suit le travail de Jean-Christophe Chauzy depuis longtemps et avec un vif plaisir. On l’avait rencontré, interviewé à plusieurs reprises pour L’Été en pente douce ou les différents tomes de Le Reste du monde. Cette fois, pendant le festival BD de Fabrègues on a pu parler avec lui de son dernier album Par la forêt scénarisé par Anthony Pastor. L’occasion aussi de faire un point sur ses envies, ses télescopages personnels liés à sa santé qui déterminent le sujet de son prochain bouquin. Chauzy est un tendre, une âme sincère au grand talent que ce soit graphique, scénaristique et plus rare humain. Balade sans non-dits avant avec lui une autre rencontre publique au Festival BD d’Uzès 2022 où Ligne Claire ou sera de la fête en Monsieur Loyal pour quatre débats auxquels participeront dix-sept auteurs dont Anthony Pastor. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.
Par la Forêt, Jean-Christophe Chauzy, votre dernier album, fait avec Pastor, remet en cause vos envies de travailler seul ?
Il y a deux raisons, la première est la proposition faite par l’éditeur. Je connais très bien Anthony, je l’adore et pour la première fois il voulait écrire pour quelqu’un d’autre. Je faisais partie des noms cités par lui. Ok pour la proposition et je sortais aussi de cinq ans passés sur le Reste du Monde. J’en suis sorti assommé parce que ça racontait des choses qui n’étaient plus que de la fiction.
Oui effectivement de ressenti personnel, des personnages irrigués de ce que je suis dont Marie la mère. Les enfants ressemblent un peu aux miens. En plus ce n’est plus une fiction mais une réalité qui nous rattrape. Dans le tome 4 il y a une épidémie et un incendie. Cela a été lourd à porter, une excitation énorme comme auteur et dessinateur avec de belles perspectives que j’ai essayées de saisir à fond, mais qui m’ont fait reconsidérer mon métier. Revenir à la conception et être maître du rythme, de la maquette, du déploiement, du récit que je proposais avec les libertés que je prenais pour la première fois. Distance, temps, ce que je n’avais jamais fait dans le polar où on est prêt des gens. Excitant mais épuisant car ce que je raconte je le vis. J’avais commencé à écrire pour une extension du Reste du monde, avec les mêmes personnages plus loin et ailleurs.
Oui il y avait beaucoup d’ouvertures possibles à la fin du dernier album.
Narrativement, c’est excitant. Le continu reste flippant car on est dans le mur aujourd’hui. Normalement on désamorce. Impossible. Anthony Pastor a été mon oxygène. Il m’a dit ce qu’il voulait raconter, moi dessiner. Et j’aimais son travail. Il est arrivé avec un story-board très complet mais sobre sur le dessin.
Parenthèse, quand on a un story-board complet, qui décide du physique, des traits des personnages ? Comme votre héroïne ?
Au départ il voyait la policière en petite blonde, puis on a réfléchi. On voulait compliquer le sujet pour que ce ne soit pas attendu.
Vous avez signé un polar en fait ?
Non. J’ai compris que c’était peut-être un polar quand l’album est sorti. Que les gens nous l’ont dit. Mais moi je pensais faire un livre qui raconte un mystère, une femme paumée, lâchée. Elle revient habiter sur les lieux d’un crime qu’elle n’a pas résolu. Elle sait qu’il se passe des choses qu’elles ne peut pas expliquer, que la raison repousse. Je me suis laissé embarquer par la part de fantastique, la forêt qui parle. Pourtant je suis matérialiste, athée, mais attiré par l’architecture romane ou la peinture religieuse.
Tout s’enchaîne dès le départ comme un polar, des fils à tirer et elle est flic.
Mais c’était secondaire. Je pensais avoir fait le tour du polar et envie d’autre chose. Pousser la dimension organique de mon dessin. Ne plus dessiner que des immeubles ou des bagnoles. L’organique de la forêt angoissant, la géométrie urbaine de cette banlieue à la Tim Burton et l’obsession, la faille psychologique, on a un ensemble.
C’est un mélange dur, réaliste, romanesque, fantastique et un délabrement psychologique qui finira par une rédemption.
C’est ça. On a eu un problème de lecteurs sur la compréhension de la fin. Comme vous le dites on a initié quelque chose qui ressemble à un polar donc ils voulaient que l’affaire soit résolue. Ce qui n’était pas notre idée. On enquête mais on n’aura pas la solution comme c’est souvent le cas des disparitions. Il y aura substitution en fait, elle devient l’autre.
Tordue quand même votre histoire. J’ai beaucoup aimé mais il faut accepter de se laisser embarquer.
Il faut être capable de lâcher. On finit par être l’auteur à la fin. Le lectorat de BD n’attend pas ça. A-t-on bien pris le bon fil quand on a tout démêlé ?
Il y a ambiguïté et richesse d’émotion pour la plupart des personnages. Ils sont en manque.
Pastor est très fort pour ça.
C’est une recherche de soi, avec une illumination pour le personnage central, la forêt qui permet de renaître. Une BD par laquelle il faut se laisser porter. Les teintes, les cadrages, les couleurs, tout joue.
Et maintenant quel futur ?
Je suis dedans. Je n’ai pas beaucoup parlé de ce que je viens de vivre, un nouveau challenge pour moi que j’ai refusé un certain temps. Mon éditrice m’a convaincu, soutenu. Je vais parler de ce qui m’est arrivé pendant deux ans de Covid où moi j’étais à l’hosto. Mon sang était foutu. On était en février 2020 et il me fallait une greffe de moelle osseuse. Ma sœur était compatible mais j’ai passé un an et demi survivre. Je me suis aperçu que j’étais devenu un autre. Mon sang est celui de ma sœur, je suis une sorte de chimère bizarre pas encore totalement sorti d’affaire. J’ai vécu des choses dures sans chirurgie mais secoué de tous les côtés, concassé pendant des mois et on espère que vous allez remonter. Ce qui est très dur et il y a métamorphose. Je veux le raconter à la première personne.
Votre histoire telle quelle ?
Oui, je raconte ce que j’ai vécu de mon point de vue et ce que je n’ai pas vu. L’essentiel est interne et les médecins expliquent ce qui se passe. Ou pas. J’ai vu l’occasion de raconter une grand aventure personnelle. Si j’y arrive. Je finis de le crayonner et il y a 250 pages sur un format plus petit, plus condensé. Un double confinement, celui de tout le monde et le mien en chambre stérile. Je pouvais mourir et en plus si j’attrapais la Covid c’était fini. J’ai été traité au plus fort du Covid et je ne l’ai su qu’après. Dans le même hôpital des gens mourraient toute la journée. Cela parle d’une époque, d’une transformation, de ce qui se passe en moi et que je ne verrai jamais. Je ne sais pas comment l’encrer, le temps qui passe, mon greffon qui est une poche de liquide, ma sœur. Une frousse réelle, la peur de mourir et on ne vous le cache pas. La douleur, les amis, la famille. Je suis revenu dans la vie mais après des mois d’angoisse.
Cela sortirait quand ?
L’an prochain, j’ai le titre mais j’ai peur de me le faire piquer (rires). Le quotidien sera en lavis et ce que je ne vois pas en couleur. Après, moral et énergie récupérés je voudrais achever Le Reste du Monde. A voir avec ma nouvelle éditrice pour le nombre d’albums. On verra ensuite mais le futur est angoissant quoi qu’il en soit. Il faut préserver beauté, amour, amitié, les belles choses.
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