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Interview : Javi Rey avec On l’appelait Bebeto montre aussi son talent de scénariste

Javi Rey était de passage à Montpellier à la librairie Azimuts. Il vient de sortir un touchant, émouvant album, On l’appelait Bebeto (Dargaud) dans lequel on sent une dose de nostalgie lucide pour l’enfance perdue. Dessin et scénario, son premier, Javi Rey (Un Ennemi du peuple) a marqué des points (Intempérie) même si on connait toute la palette de son talent de dessinateur (Un maillot pour l’Algérie, Adelante). On est en Espagne, la banlieue de Barcelone, les années 1990, pour l’histoire d’une solitude rompue par l’amitié de Carlos et celle de celui qu’on appelait Bebeto. Dess gosses paumés et au cœur grand ouvert. Javi Rey est un pilier de la BD catalane (Violette Morris) et une fois de plus signe un album d’une rare sensibilité. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.

Javi Rey. Céline Levain / Dargaud ©

Javi Rey, vous êtes pour cet album scénariste et dessinateur, une première. Pourquoi avoir choisi ce personnage de Bebeto ? Il y a une part d’autobiographie ?

Le contexte oui, c’est réel. C’est là où j’ai grandi près de Barcelone, en banlieue. On n’avait pas d’espoir de sortir de là. Le reste c’est de la fiction, un mélange de moi et d’enfants que j’ai connu à l’époque. Je me sens plus proche de Bebeto que de Carlos. J’étais un peu tendre, timide, je ne trouvais pas du tout ma place.

Bebeto, pourquoi ce nom ? En français c’est un peu péjoratif, bébête.

Pas du tout. C’était le surnom d’un très bon joueur de foot de la Corogne. Il y avait bien un gamin qu’on appelait Bebeto même si il n’avait rien à voir avec le foot. J’ai gardé ce souvenir et j’ai voulu créer un personnage qui a une relation avec le foot, indirectement. Mais Bebeto n’est pas bon en foot en fait.

Il y a deux héros dont le jeune Carlos qui est le narrateur. C’est une belle histoire d’amitié.

Je voulais parler d’un groupe d’amis qui ne pouvait montrer leur côté sensible. Bebeto c’est ça, mal accepté, plus vieux et dans une situation familiale triste dans une bande de garçons violents.

Bebeto et Carlos ont chacun un drame personnel. Bebeto sa mère, Carlos la mort de son frère. Cette douleur intime les rapproche ?

Oui Carlos trouve un nouveau grand frère avec Bebeto, différent. Il va lui donner une autre façon de regarder le monde. Se montrer fort mais aussi sensible.

Beaucoup d’émotion et un final difficile. Le milieu est violent.

C’est ce que j’ai vécu même s’il y avait de la tendresse. A l’époque c’était comme ça, le contexte obligeait à être comme ça.

La grand-mère vit elle aussi dans le souvenir de son petit-fils qu’elle identifie à un champion cycliste.

La grand-mère est le personnage le plus fidèle à la réalité car c’est la mienne que j’ai pris comme modèle. Elle était malade et schizophrène. Pour Carlos qui raconte l’histoire c’est sa façon de demander pardon pour ce qu’il a fait. Mais il ne faut pas en dire plus. Le remord, Bebeto était pour lui un bon ami.

Comment tu as écrit ton scénario ? En une fois ?

C’est mon premier scénario donc je rassemble ma doc et c’est parti d’un court portrait de Bebeto que j’ai écrit il y a quelques années. Ensuite j’ai écrit un récit d’un petit frère et de son grand-frère qui a préféré me quitter. C’était personnel. J’étais le petit et je me retrouvais seul. J’ai créé ensuite le village de San Père qui n’existe pas mais ressemble à ceux de ma région. Ensuite j’ai tout rassemblé pour écrire mon scénario. Ensuite tout est numérique pour le dessin.

Qu’est-ce qui est le plus facile, scénariste-dessinateur ou que dessinateur ?

Cela dépend. Écrire et raconter cette histoire, plus le dessin j’ai beaucoup aimé. Là je connaissais le décor. Il est beaucoup plus difficile de dessiner de la BD historique. Je ne pourrai pas n’être que scénariste. Je sais que pour que j’écrive il faut que ce soit très personnel. Pas une fiction totale.

Pourquoi ne pas avoir fait deux albums et dans le second on aurait vu vraiment les personnages grandir ?

J’ai planifié l’histoire avec Carlos qui parle de cette époque. Cela finit là, avec de l’amertume, un peu de douceur et de la tendresse, une séparation. Bebeto a un beau destin, on le voit.

Tout est crédible dans ce Bebeto. Cela a pu nous arriver de rencontrer un Bebeto. C’est très humain.

Merci. Il y avait un sujet qui m’intéressait beaucoup car dans la vie les étapes finissent sans prévenir. Carlos l’a appris. L’enfance n’annonce pas sa fin. Il y a un peu de nostalgie, c’est dans ma nature. Mais avec du bonheur, de beaux souvenirs. Je voulais être critique au départ avec cette banlieue et ensuite j’ai dit merci pour cette enfance dans le livre, cette étape déjà lointaine

Javi Rey, il y a à suivre un nouveau Violette Morris ?

Oui mais quand ? Aucune idée, le scénario n’est pas fini. Il y aura aussi avec José-Louis Bocquet une adaptation de Simenon pour la collection chez Dargaud. Barrio Negro, à Panama dans les années 30. Pour Angoulême 2026. En plus il y a un autre projet mais dont je parle peu dans un univers comme celui de Bebeto. Ce sera sur une époque avant celle de Carlos, toujours le passage de l’enfance à l’adolescence. Quand j’ai trouvé ma vocation j’ai pu le faire. Mais pas les générations qui me précédent.

JLT ®
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