De passage à Montpellier en dédicace à la librairie Azimuts, Jaime Martín a retracé dans Jamais je n’aurai 20 ans (Dupuis) le parcours de ses grands-parents qui se sont battus du côté républicain pendant la guerre d’Espagne en 1936. Ils vivront ensuite la dictature franquiste jusqu’à la mort de Franco. Avec un trait clair, réaliste et précis, portant émotion et tendresse, Jaime Martín a peint une Espagne qui souffre et est abandonnée à son sort. Il a répondu à ligneclaire sur les raisons de ses choix. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.
Jaime Martín, vous traitez à la fois de l’histoire de votre pays, de la Guerre d’Espagne, du franquisme, mais aussi de votre famille qui a vécu ces périodes ?
Effectivement. Avec mon précédent album j’ai parlé de la génération de mes parents, de la décolonisation espagnole au Maroc. Au début je m’étais dit pourquoi ne pas mélanger les deux histoires, commencer par la Guerre d’Espagne puis le franquisme et en fin le Sahara espagnol. Cela aurait fait un énorme album. On a finalement scindé en deux le récit. Mais la partie la plus dure à dessiner a été le franquisme.
Pourquoi ?
Pour la guerre d’Espagne, il fallait des recherches graphiques. Pour le scénario c’est effectivement le franquisme qui a été compliqué pour arriver à faire comprendre, ressentir les quarante ans de harcèlements des républicains battus. Il y a eu toutes les formes de répression, politique, policière, économique, religieuse, sociale.
Vous avez-pu avoir des informations de la part de votre famille sur cette période ?
Quand je travaillais sur le sujet, un jour mon frère me dit : « j’ai fait une interview du grand-père avant qu’il ne meure. Je l’ai enregistré ». Je ne la savais pas du tout. En plus mon frère a pris sa voiture et a reconstitué son parcours en allant sur place, dans les endroits cités. Il y avait des informations incroyables sur la guerre d’Espagne, sur ce que mon grand-père avait vécu et il n’en avait jamais parlé avant. Ce qui a été plus difficile est de comparer la réalité historique au témoignage. Un exemple : mon grand-père parle d’une charge de cavalerie, une seule et à un endroit précis. Cela ne collait pas avec ce qui était dit dans des livres. Y-a-t-il eu plusieurs charges ? Quand on ne sait pas parfois on peut se laisser aller à inventer. J’ai préféré croire mon grand-père qui était formel sur le lieu. Écrire un livre sur cette période avec cette interview était plus touchant que de se limiter à la seule grande Histoire.
Deux personnages masculins sont la clé du récit ?
Oui. Le premier dont ma grand-mère tombe amoureuse sera assassiné par les franquistes. Le second deviendra mon grand-père. Ils étaient tous les deux très politisés et bien sûr républicains. Ma grand-mère aussi. Elle était même proche des milieux anarchistes qui déjà étaient, c’est étonnant, végétariens. La première fois que j’en ai entendu parler c’est par elle qui, elle-même, avait écouté son propre père sur le sujet.
Du côté républicain en plus de la lutte contre le franquisme, il y a eu des combats internes entre anarchistes, socialistes, communistes.
C’est vrai. Mais dans l’interview mon grand-père ne dit rien de cela. Il parle normalement des anarchistes, il n’évoque pas de tension. Il était milicien et il a été incorporé dans l’armée populaire. Parfois la force a été employé pour obliger des miliciens à accepter. Staline voulait contrôler les républicains. Mon grand-père était socialiste mais il avait reconnu que les communistes avaient réussi à faire une armée qui se tenait, unie pour affronter le fascisme. Ensuite Moscou a manipulé tout ça. Au début de la dictature tout le monde reconnaissait la place du PC dans la lutte.
Vous parliez facilement du franquisme en famille ?
Moi quand Franco est mort j’avais dix ans. J’écoutais parler mes parents qui traitaient de fascistes ces personnages sérieux qu’on voyait à la télévision. Je les entendais parler de plein de choses qui les gênaient. Tout le quartier où j’habitais dans la banlieue de Barcelone était républicain.
Les Espagnols vivaient sous une dictature. Ils craignaient la délation, les dénonciations ?
Pas dans les années soixante-dix. Non. Avant oui car la police allait chez les voisins de mes grands-parents pour enquêter sur eux. Il fallait faire attention. C’était plus compliqué et dangereux comme je le montre dans mon album.
Les anciens républicains en ont voulu aux démocraties de l’époque qui les ont abandonnés ?
Souvent mes grands-parents parlaient de leur reconnaissance pour les Brigades internationales venues se battre avec eux. Mais ils n’ont pas compris pourquoi on a laissé faire Hitler et Mussolini. On reconnait aussi maintenant le rôle des anciens républicains exilés en France au sein de la Résistance et de la France Libre contre les Allemands.
En 1938 ce sera Munich et en 1939 la seconde guerre mondiale. L’Espagne était en fait le point de départ du conflit ?
Les Allemands et les Italiens se sont entraînés en Espagne en 1936. Les démocraties européennes avaient peur de la montée du socialisme en Espagne qui risquait de les contaminer. Un peu comme aujourd’hui avec la Grèce. Il y a toujours la peur de la gauche. On pense que c’est plus simple de contrôler l’extrême droite que la gauche. Exactement comme en Allemagne en 1933.
Comment travaillez-vous ?
Je fais un story-board, des petits dessins crayonnés que je passe ensuite au scanner. L’encrage est sur ordinateur comme les couleurs. J’ai mis deux ans et demi environ pour faire cet album mais je réécris beaucoup mes scénarios. Disons que le story-board avec quelques dialogues me sert de brouillon . Je passe ensuite à une écriture plus technique. Depuis 2003 environ je suis passé à l’encrage numérique. Mon style de dessin a évolué grâce à ça.
Quelles ont été vos influences et quelles sont vous envies pour le futur ?
La BD franco-belge m’a influencé depuis l’âge de 14 ans grâce à mon professeur de dessin qui m’a initié à Pratt, Tardi, Moebius, Druillet. Je suis un peu dans le vague actuellement. J’aimerai faire une histoire à fond social qui se passerait je ne sais pas quand, qui parlerait d’un personnage principal et ne serait pas basé que sur l’action. Et je ne suis pas contre de travailler avec un scénariste. C’est plus relax.
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