Jacques Terpant vit dans la Drôme et le hasard des rencontres a fait que nos routes se sont croisées sur ses terres. Au moment même où venait de sortir la réédition au Long Bec de l’intégrale de Messara. Une double occasion, en or, de faire une sorte de point étape avec un auteur chaleureux, talentueux qui a su aussi donner en BD à Jean Raspail ses lettres de noblesse. Mais Terpant, c’est aussi un Céline avec Dufaux, des art-book, une passion sans concession pour la BD. Et des projets pleins la tête dont un Nez de Cuir avec Dufaux, Giono, un autre très personnel sur l’Indochine. Une rencontre en toute liberté, riche et sincère. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.
Jacques Terpant, si on profitait de cette rencontre en terres drômoise pour faire un retour en arrière, sur ce qui vous a déterminé à devenir un auteur de BD ?
Je suis effectivement de la Drôme. Ici on allait au collège à Saint-Jean-en-Royans. Je dessinais avec un camarade et on lisait des BD. Notre génération, c’est celle qui a suivi tout le grand processus de la BD. On est né avec Tintin et Spirou, Franquin. Et puis au collège Pilote a évolué, au lycée il y a eu l’Écho des Savanes, Métal Hurlant. En 4e, on s’essaye à la BD. Mon camarade est un très bon élève d’où le veto parental. Il sera urbaniste et l’un des concepteurs du Musée des Confluences à Lyon. Moi je vais poursuivre, faire les Arts Déco à Grenoble. Dans Métal, je vois qu’à Saint-Étienne un fanzine s’est créé. Je pars là-bas et je tombe sur Chaland et toute une équipe qui se forme. Il va nous ouvrir la route. C’est le meilleur, il va à Paris et on s’engouffre derrière.
Vous aviez une idée précise de ce que vous vouliez faire en BD ?
Ce qui était clair c’est que nous n’avons jamais douté que nous serions des auteurs de BD. Mon défaut est que je me vois comme un dessinateur de BD. Comme Chaland. La pub va nous happer. Je serai un prestataire du dessin. De temps en temps la BD, ou des affiches pour Disneyland Paris. Je ne le regrette pas. La pub, j’en ai fait pendant longtemps en particulier entre deux séries. Après Les Pirates dont le scénario m’a déçu, j’ai décidé d’abandonner le boulot de mercenaire, la publicité. Je me suis consacré à mon travail en BD et j’ai adapté 7 Cavaliers de Raspail.
Un choix d’être votre seul maître, mais pourquoi adapter Jean Raspail ?
J’avais un très bon souvenir de l’un de ses romans, Qui se souvient des hommes. Je repense à ce texte avec des Indiens en Terre de Feu. Je bute sur la technique de l’écriture pour l’adapter. Pas de dialogues. Je me souviens aussi de 7 Cavaliers et je le relis. Je suis dans un univers qui me fait penser à Pratt. Chez Raspail comme dans Corto, les personnages sont dans l’histoire et la regardent. Avec recul. Je l’ai dit à Raspail qui m’avoue être un grand lecteur de Pratt. Anecdote, je suis chez Casterman et en parle à mon éditrice de ce projet. Elle me demande si je veux qu’elle s’occupe des droits. Je préfère le faire pour rencontrer Raspail. J’appelle l’éditeur Robert Laffont et on me passe la personne concernée. Il y a, à cette époque, peu d’adaptations de romans. La personne me dit « on allait vous contacter ». Stupéfait, je ne savais pas que Laffont préparait un label BD. Je m’explique et l’éditrice me dit « bonne idée mais c’est nous qui avons les droits donc vous le ferez ici ». Le tome un des 7 Cavaliers sort chez Laffont, plus un album de Béatrice Tillier, Serpieri et puis tout s’arrête. Delcourt rachète Laffont et on continue chez eux.
Adapter Raspail est devenu un peu votre champ d’activité favori ?
J’ai fait six albums dont le Royaume de Borée, le dernier à la demande de Delcourt. Ils ont un lien car dans l’œuvre de Raspail il y a une famille qui traverse ses romans, une famille fictive, les Pikkendorff. Il y aura les trois albums du Royaume de Borée. Pour revenir à Messara aujourd’hui réédité, c’est Yves Schlirf, aujourd’hui éditeur à Dargaud Benelux, qui en était l’ éditeur, le scénariste est Philippe Bonifay (NDLR : erreur rectifiée). On l’a sorti en 1994. Il est passionné de Grèce, de la Crète où il a fait l’an dernier une exposition des planches dans une tour. Il a eu l’idée de rééditer l’album et c’est Paquet qui s’est proposé, puis Le Long Bec. C’est à ces derniers que j’ai dit oui. J’ai réalisé qu’il était temps à mon âge de faire le tri.
De ce qu’on garde et de ce qu’on jette ?
Oui, on peut le dire. Pour les commandes pas de rééditions et d’intégrales. Pirates avait bien marché dans le genre. Mais Messara méritait une intégrale. Je ne rouvre jamais un de mes albums quand il est sorti. On a fait cette intégrale avec Messara. Capitaine Perdu était sorti chez Glénat qui ne l’a pas poussé. Puis le Chien de Dieu avec Dufaux.
Faisons une parenthèse pour ce Céline avec Dufaux.
Une parenthèse complexe. C’est un hasard ce Céline. Je connais Jean Dufaux depuis longtemps. J’ai une fille qui s’appelle Garance. Dans le mail de Dufaux, il y a aussi le mot Garance. Je fais un scan pour ma fille, lui maile, je me trompe et Jean le reçoit. Il comprend l’erreur et me demande ce que je fais. Je lui envoie des pages de mon art-book. Il me répond : « Pas de hasard. Dans les pages il y a un petit portrait de Céline. Moi j’ai un scénario vendu chez Futuropolis sur Céline et on n’a personne. Veux-tu le lire ? » J’avais encore du travail avec Capitaine Perdu. Je lis quand même le scénario et suis séduit par son travail. Cela m’évoque une nouvelle perspective de travail au lavis et en noir et blanc. Il est OK comme Futuropolis. J’ai fait deux pages et on a signé le contrat. Ils m’ont avoué que beaucoup avaient refusé, même des jeunes auteurs. La peur de l’étiquette Céline. Je n’y avais pas pensé.
Un album atypique sur un sujet toujours sulfureux.
C’est le défaut de notre époque. Je vais faire un album sur quarante écrivains de mon Panthéon personnel au Long Bec. Je les ai lus ou croisés occasionnellement. Dont Céline et j’ai publié quelques dessins sur le net. Un auteur m’a dit : « il y a Paul Morand, je ne peux pas lire des auteurs avec des passés pareils. » On ne demande pas à un artiste d’être un modèle mais d’être bon dans son écrit. Le clivage avec Céline c’est ça.
Vous êtes sur quoi aujourd’hui hormis cet art-book ?
Deuxième hasard, à croire que c’est mon destin. On faisait Céline avec Jean et on sortait de chez son ayant-droit. On déjeune et je dis que je vais adapter un roman de Giono, Un de Beaumugnes, qui a donné le film Angèle de Pagnol. Dufaux est là et avoue avoir un vieux rêve, adapter un roman de Jean de La Varende, Nez de Cuir. Je suis abasourdi car depuis 7 Cavaliers, la famille de La Varende m’écrit en me disant de m’intéresser à son œuvre. J’avais lu mais botté en touche. Je ne voyais pas comment l’adapter. Je dis à Jean que j’ai le catalogue à disposition et Jean me demande s’il écrit Nez de Cuir si je le dessinerai. Je boucle la boucle et accepte. J’ai fait trente pages. Il sortira en octobre prochain.
C’est le gros morceau ?
J’en ai deux autres après Nez de Cuir dont le Giono. J’en parle avec Jean qui aimerait adapter Le Roi sans divertissement. Après La Varende, ce pourrait être donc un Giono. A voir. En 2021, j’aurai un autre bouquin avancé et que je fais seul, Ce qu’il reste de nous, sur la fin du monde rural.
Et Raspail ?
Je fais deux artbooks dont celui des écrivains mais Raspail m’a donné un texte inédit. Il a assemblé un dictionnaire de la famille Pikkendorff, reprenant leurs passages dans ses livres. Il fallait l’illustrer. Raspail avait laissé tomber et quand on a fait 7 Cavaliers, il me sort son dossier. Je me suis engagé à l’illustrer toujours chez Le Long Bec. Ce sera Le dictionnaire des Pikkendorff.
Jacques Terpant, vous travaillez de façon traditionnelle ?
Oui, pour une raison simple. Dans mes revenus, la galerie et la vente des originaux comptent. Et puis c’est ma méthode le dessin sur papier. J’ai vu pas mal de mes amis passer à l’écran. Quand je sors Le Chien de Dieu, je fais des expos, des rencontres avec des collectionneurs. Idem pour Les 7 cavaliers chez Maghen.
Les jeunes auteurs sont obligés de refaire des planches pour les vendre car c’est leur retraite.
Oui, c’est vrai. Il faut dire que je ne sors pas à la vente des quantités industrielles de planches. Les Chiens de Dieu, j’ai vendu dix planches. Je limite. Il ne faut jamais donner un album entier. J’échange aussi avec d’autres auteurs.
Quels sont les thèmes auxquels vous n’avez pas touché et que vous aimeriez aborder ?
Je dis en plaisantant qu’après Ce qu’il reste de nous, je pourrais arrêter. Il y a ensuite un thème un peu shakespearien. J’ai perdu mon père et il avait débarqué en Indochine avec Leclerc en 1945. J’ai lu Lucien Bodart, Schoendoerffer. Je me dis qu’il y a sujet à traiter.
L’histoire d’un homme, d’une époque ?
Ça rejoint Capitaine perdu. On revient à Raspail. Il avait retrouvé un manuscrit qu’il avait écrit quand jeune il avait remonté le Mississippi. Dans ce journal de bord, il raconte qu’il campe dans un vieux fort français. On est en 1764 alors que la France est partie depuis 1760. Il comprend qu’il y a eu un soutien indéfectible des Indiens aux Français représenté par Saint-Ange. Je cherche, m’aperçois que sur 20 enfants baptisés, 17 ont une mère indienne. Les rapports sont dont très proches. Je cherche et découvre qu’il y a deux Amériques. L’Anglaise de la côte, puritaine, et la française des grandes terres peu peuplée mais ouverte. Plus tard, je tombe sur l’annonce du suicide d’un colonel ancien d’Indochine. Il laisse une lettre où il dit son regret éternel d’avoir abandonné les tribus Muongs avec lesquels il vivait en 1954 au Tonkin. Pour raison d’état. Ces soldats perdus, ils ont tous un ancêtre au bord du Mississippi, Saint-Ange. J’ai rencontré un spécialiste américain qui me dit qu’il n’y a pas d’erreurs dans mon album hormis que j’ai donné à Saint-Ange une épouse indienne. Effectivement, il en avait deux.
Donc vous pourriez prendre un héros qui aurait monté un maquis anti vietminh sur les hauts plateaux du Nord Tonkin, aurait pris une épouse Muong et aurait été obligé de les abandonner ?
L’Indochine pourrait être un bon sujet. J’ai eu beaucoup de lecteurs militaires après 7 Cavaliers. Ils m’ont dit qu’eux les Français, ils se mêlent aux populations, en Afghanistan ou ailleurs. Les Américains jamais. Les Anglais parlent au XVIIIe siècle de Français ensauvagés. Le monde latin n’a pas eu de vrai problème avec le métissage. C’est un thème intéressant.
Monsieur Terpant,
Je vous félicite pour votre merveilleux travail. Je suis enchanté de découvrir
que vous admirez l’oeuvre de Jean Raspail et celle de Jean de La Varende. « Sept Cavaliers » m’ont captivé. Du second, ne pourriez-vous pas illustrer « Les Manants du Roi »? Bien à vous. Michel Dellicour