Jacques Tardi vient de publier le tome 2 de Stalag IIB. Incontournable et bouleversant. Dans un tome 3, il traitera du retour en Allemagne de son père, militaire, parmi les troupes d’occupation. Jacques Tardi, enfant, sera cette fois vraiment du voyage avec ses propres souvenirs. Avec ligneclaire.info, Jacques Tardi s’interroge sur cette suite, sur Un Monde Truqué son dessin animé qui progresse et sur Adèle au fond d’un tiroir. En toute liberté. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.
Deux tomes et cette fois votre père est revenu chez lui. Un long et difficile voyage.
J’ai reçu beaucoup de lettres de gens dont les pères avaient connu des circonstances similaires. C’est une période dont on n’a pas beaucoup parlé. Des lettres très touchantes et puis il y a le mystère de ce pélican que mon père a ramené. Un pélican en bois qui sert de boite à cigarettes. Au total j’en connais trois depuis que Stalag II B a paru. Un autre rapporté par un prisonnier et le troisième par un ouvrier français parti en Allemagne au STO, service du travail obligatoire. Le pélican était peut-être le logo dans le titre d’un journal de Stalag. Je ne sais pas.
Il y a beaucoup d’émotion dans ce tome II, entre vous, l’accompagnateur, et votre père ?
La grande question que je me pose c’est comment a-t-il pu tenir le coup pendant quatre mois dans ces conditions épouvantables. Il aurait pu ne jamais rentrer. Les carnets, les quatre carnets qu’il a écrits rapportent des anecdotes sur sa capture en 40, la captivité. Et il y en a encore un, plus petit dans lequel il a noté les lieux où il passe pendant cette marche folle. Mon père marque les kilomètres, la bouffe aussi.
Vous avez complété, ajouté des rappels historiques très précis, remis l’Histoire en perspective.
Comment vouliez-vous que je laisse passer qu’ils sont près du camp de concentration de Bergen-Belsen ? Ou à Celle, une ville charmante, dans laquelle les Allemands ont fait la chasse à 200 prisonniers évadés d’un train et en ont tué la plupart. Quand j’ai refait le trajet de mon père je me suis arrêté à Celle. Ou ne pas dire que le gaz des camps de la mort, le Zyklon B, était aussi fabriqué en France. Ou du bombardement de Dresde ? Il faut remettre les choses à leur place. Mais dites moi au fait, ce n’est pas trop indigeste à la lecture ?
Je parlais d’émotion. Ces rappels en apportent aussi beaucoup. Comment votre père vous parlait de cette époque ?
Mon regret est de ne pas justement avoir assez parlé avec mon père avant de me mettre à ce bouquin. C’était trop tard. Il y a plein d’autres anecdotes qu’il aurait pu me raconter. Il n’aimait pas trop le faire, cela pouvait être une source de conflits. Il mentionne par exemple la pendaison de leurs gardiens que j’illustre dans le tome 2. Quand je suis revenu sur place personne ne se souvenait ou avait entendu parler de cet épisode.
Dans le tome 3 vous voulez raconter le retour en Allemagne de René Tardi votre père, resté dans l’armée, qui y a été renvoyé dans le cadre des troupes d’occupation. Vous faisiez parti du voyage.
Oui, au début des années cinquante. Mon ami Gosselin qui m’a accompagné dans mon périple pour Stalag IIB, habite à Nuremberg. Et nous nous avons habité dans une maison dans un village pas très loin. Il l’a retrouvée. On partageait un appartement avec une autre famille de militaires. Je revois curieusement les clochers d’une église orthodoxe. On a aussi habité à Kassel et à Fritzlar. On était dans la zone française d’occupation. Mon père était dans un régiment de chars bien sûr. C’était en pleine guerre froide et on s’attendait à ce que les Russes envahissent l’Allemagne de l’Ouest, un peu la hantise de l’époque.
Vous avez gardé beaucoup de souvenirs de cette époque semble-t-il.
Certains. Mon père a acheté sa première voiture, une Volkswagen. Mais il avait une vraie hargne de voir le renouveau allemand lié à l’argent injecté par le plan Marshall américain. Ma mère a eu un Frigidaire comme on disait. Elle le montrait à ses visiteurs. Et les jouets allemands ? Ce sont de bons souvenirs. J’étais trop gamin pour juger. Je me souviens aussi d’un copain qui a eu le bras arraché par l’explosion d’un obus trouvé et trafiqué. La guerre n’était pas si loin. Autre détail, les enfants allemands quand ils quittaient en groupe leur école tenaient une longue corde.
Un jour je vais chercher mon père dans sa caserne et je l’ai trouvé avec un ami en train de faire marcher un immense train électrique qu’ils avaient monté. J’ai aussi fait une balade en char.
Votre père quitte l’armée quand il apprend que son régiment va partir pour l’Indochine où la France est en guerre.
Oui, mais justement mon problème à moi c’est de savoir jusqu’où je vais dans le récit du tome III. Peut-être à l’achat de la voiture. Il y a à raconter avec la reprise du quotidien. J’ai aussi la vie de ma famille durant la guerre, pendant que mon père est prisonnier. Il le découvrira en rentrant de captivité. Cela le mettait en colère. Mon grand-père était facteur, ma grand-mère épicière. Mon père a voulu échapper à l’emprise du sien et s’est engagé dans un régiment de chars de combat, alpin en plus. Il aimait déjà la mécanique ce qui explique qu’après l’armée il tienne des garages. Le premier était en Ardèche, un « routier », garage et restaurant.
Vous avez de quoi largement écrire votre tome 3.
Je risque de partir dans tous les sens avec ces souvenirs personnels. Un oncle est parti au STO et est resté en France lors d’une permission. Un cousin a fait le maquis du Vercors. Il s’en est sorti. Dans les réunions de famille il y avait de l’ambiance après guerre. Je vais vous confier un petit détail amusant. Mon premier Tintin a été L’Oreille Cassée. J’avais aussi Objectif Lune mais impossible de trouver à l’époque On a marché sur la lune (rires). Mon père me racontait le soir, lui, les Trois Mousquetaires. Autre souvenir, un soir nous étions à Ballainvilliers dans l’Essonne où mes parents tenaient un nouveau garage. Un hélicoptère américain s’est posé en urgence à côté du garage. Les pilotes ont réparé le lendemain et bien ils avaient l’écusson que portait Buck Danny sur sa casquette (rires). Il faut que je me décide et que trie. A voir.
Et j’ai aussi un problème de titre pour ce tome 3, fini le Stalag. Autre point, la couleur. Dans le tome 2 elle marque le retour à la vie. Dans le 3, il n’y aura pas de couleur à 100%, un bleu peut-être.
Quand on s’était vu la dernière fois, vous m’aviez parlé d’un dessin animé, d’Adèle aussi.
Absolument. Je vais voir une projection d’un premier montage technique. Le titre c’est Un Monde truqué avec Benjamin Legrand. Sept ans que cela dure. Ca commence à dater. C’est une uchronie, une fantaisie scientifique fantastique. Tous les savants sont enlevés dans un Paris imaginaire. Adèle attend dans un tiroir. Je voulais faire le dixième et dernier. J’ai dessiné une douzaine de planches. Et puis il y a eu un Manchette, Stalag plus long que prévu et ce n’est pas fini.
Vous m’étonnez. Vous ne m’avez pas parlé de 14-18.
Vous m’aviez dit que vous aviez jusqu’à 2018 si besoin pour traiter à nouveau le thème.
J’ai bien envie de revenir sur le sujet sous une forme plus vivante, une vraie narration de BD, une histoire, être plus proche du soldat. Je suis allé à Londres récemment. Les Anglais ont gagné la guerre tout seul. Chaque pays s’approprie la guerre. Cela peut-être un point de départ. J’ai bien envie de me les faire les Anglais. Dans leur armée il y a eu des régiments de Bantams, des soldats de petite taille, souvent des mineurs de fond. On les a enrôlés bien que ne faisant pas la taille réglementaire et volontairement envoyés dans des endroits dangereux. Ils ont été anéantis. Oui, ce serait un bon sujet.
Bonjour,
L’histoire du pelican m’a rappelé une marque de bière qui en utilise le symbole, j’ai toruvé ça sur wiki : « Vers 1921, Louis Boucquey, Armand Deflandre et Raoul Bonduel, trois brasseurs lillois, décident de s’associer pour surmonter les problèmes de pénurie (notamment de cuivre). En 1921, ils créent la « brasserie du Pélican », du nom d’une danse très à la mode à ce moment-là. » http://fr.wikipedia.org/wiki/Pelforth