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Interview : Patrice Ordas, scénariste d’Ambulance 13, une passion pour l’aspect humain de l’Histoire

Patrice Ordas a une passion, l’Histoire. Avec Ambulance 13, en cette année de commémoration du centenaire du début de la guerre de 14, il signe le quatrième tome d’Ambulance 13 (Bamboo). Alain Mounier est au dessin. Cette série évoque dans les détails la vie au front des médecins, infirmiers, brancardiers confrontés à la plus grande boucherie humaine du siècle. Un sujet rarement traité sur lequel Patrice Ordas a répondu aux questions de ligneclaire et fait le point sur ses projets, nombreux, et historiques bien sûr. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.

Patrice Ordas. Photo L. Melikian ®

Pourquoi avoir choisi la guerre de 14 ?

Au départ de chacune de mes BD, il y a un roman. C’est le cas d’Ambulance 13. Je l’avais écrit il y a quinze ans et gardé sous le coude. Patrick Cothias a trouvé un éditeur. Le roman me permet de recueillir les détails, authentifier l’histoire, faire le casting des personnages pour qu’en suite le dessinateur puisse retrouver ses petits. Pour le choix de la médecine en 14, j’ai toujours eu une passion pour la grande guerre, pour le côté humain du conflit. Ce n’était pas une guerre idéologique. Finalement c’est la dernière guerre de l’ancien régime dans laquelle l’individu est mis à l’épreuve de façon extravagante. Je voulais éviter les redites. Tout a été écrit sur le plan historique souvent au niveau des états-majors plus qu’à celui des « godillots ». C’est humain avant tout qui me préoccupe.

C’est un conflit abominablement meurtrier, 900 morts par jour en moyenne pendant quatre ans. 1 400 000 soldats tués, 300 000 civils.

C’est vrai mais il y a une sorte d’effet miroir entre le Poilu français et l’Allemand surnommé le Boche. Ils vivent la même horreur. Les Français ont en mémoire la défaite de 1870, la perte de l’Alsace et de la Lorraine, cette intégration forcée dont Isabelle dans Ambulance 13 est l’exemple et qu’elle va payer cher. Il y a eu humiliation, il faut une revanche et on pensait au début que la guerre serait courte. Les six mois de l’année 1914 seront les plus meurtrières avec près de 600 000 morts.

La guerre, et c’est triste à dire, va offrir un champ d’expérimentation à la médecine. C’est ce que vous montrez dans Ambulance 13.

Le soldat est finalement sans le vouloir un « matériel » d’expérimentation. La médecine en était restée aux guerres de l’Empire. La bataille finie, on triait tranquillement sur le champ de bataille. En 14 au début, la consigne était de ne pas s’attarder à ramasser les blessés. Il n’y avait pas la notion d’échelon dans les hôpitaux de campagne. Ce n’est qu’en 1918 que la consigne est donnée qu’un blessé doit être pris en charge au bout de deux heures maximum. Un peu tardif. Et puis il y a eu l’invention majeure de la radiologie qui permettait de voir où étaient balles et éclats alors qu’avant on sondait les plaies. C’est grâce en partie à l’aide US que Marie Curie a mis au moint son ambulance mobile. Il faut savoir qu’au début les brancardiers sont prélevés sur les effectifs des fanfares militaires, les infirmiers ont une formation légère. Et que les médecins pouvaient être des étudiants. D’ailleurs, après quatre ans de guerre, de chirurgie aux armées, certains d’entre eux n’ont pas été titularisés ensuite comme médecins.

Le Lieutenant Bouteloup est l’exemple type de ces jeunes médecins propulsés au feu sans savoir ce qui les attend. Et en plus fils d’un « patron » de médecine obtus et aux ambitions politiques.

Bouteloup est l’enfant de sa propre révolte. Son jeune frère est mort de maladie. Il aurait pu le sauver car ouvert aux techniques venues d’Angleterre. Son père s’y oppose et le gamin meurt. Bouteloup est à l’écoute de ce qui se passe autour de lui contrairement à certains de ses confrères qui courent après une rosette ou un poste de député.

Il va tomber sous le charme d’une jeune femme, une sœur chrétienne, d’origine lorraine, baronne qui va être accusée d’espionnage.

J’ai été surpris par la personnalité de Clémenceau qui va donner un os à ronger à l’opinion publique en laissant fusiller dans la BD Sœur Isabelle à cause des lettres envoyées à son père officier allemand. En fait Isabelle ressemble d’une certaine façon à Mata-Hari qui a aussi été fusillée pour l’exemple. Les Poilus étaient censurés. Dans les journaux de tranchée on parlait de vie quotidienne. Leurs lettres étaient coupées pour que le moral soit bon à l’arrière. On trouve après la guerre la réalité dans les journaux personnels qu’ils tenaient.

Dans le dernier tome qui vient de sortir vous évoquez la Force Noire, ces Tirailleurs venant des colonies que l’on met en première ligne.

Oui, c’est un devoir de mémoire, il fallait parler des troupes coloniales. Mais ils n’ont pas été les seuls. On a mis aussi en première ligne des Bretons, des Corses, ceux qui parlaient mal le français. Et qui n’étaient pas considérés comme des Français à part entière. Dans le prochain volume je vais raconter une anecdote assez incroyable. Bouteloup est envoyé en Alsace, histoire de le mettre à l’abri et pour former des médecins américains à la médecine de guerre. Il va croiser des personnages dans la lignée du capitaine Conan. Mais il verra aussi des Cheyennes dans l’armée US. Ces Cheyennes, survivants des dernières guerres indiennes de 1905, ont été raflés et envoyés au front car avec leur peuple ils occupaient des terrains que des industriels voulaient récupérer. Et les Allemands ont vus des Indiens attaquer leurs tranchées comme ils attaquaient les soldats US dans les plaines américaines.

Le troisième cycle d’Ambulance 13 ira jusqu’à la fin de la guerre ?

J’ai voulu éviter l’armistice du 11 novembre. Donc on devrait s’arrêter avant, au moment où Paris est bombardé par la fameuse Grosse Bertha. On a oublié que l’armistice était une suspension des hostilités et que la France après deux grandes offensives allemandes 24 en 1918 aurait pu être à la place de l’Allemagne. On eu très chaud en 1918.

Comment travaillez-vous avec vos dessinateurs ?

Je fais des séquences. Une vingtaine par album qui correspondent environ à trois planches ou à un chapitre de roman. La BD, c’est réducteur et un peu frustrant. Difficile de transcrire un état d’âme. Chaque image doit vouloir dire quelque chose. Je suis le metteur en scène. Le rôle du coloriste est aussi important. Vous savez je ne connais pas le dessinateur d’Ambulance 13 qui habite Lyon. Je vais le voir bientôt pour la première fois.

Hormis Ambulance 13, vous avez pas mal de séries en train ou en projets ?

Effectivement. Dans l’ordre chronologique, il y aura deux tomes de La Vénitienne avec Laurent Gnoni, Venise dans les années 150. Ensuite on passe à l’Empire avec Les Vieilles Moustaches, une histoire sur la Garde Impériale pendant la retraite de Russie. On continue avec La Balade d’Alamo au Texas (1830-1850) et le destin d’un déserteur français pendant le siège où mourra Davy Crockett, un personnage clé qui n’avait aucun défaut. Autre BD dans la lignée d’Alamo, le siège de l’hacienda de Camerone, page de gloire de la Légion Étrangère. Il y a eu un survivant et on va le suivre. Pour le vingtième siècle, on commence par un album sur les inondations de 1910 à Paris, Anastasia, la Belle Époque. Et puis Le Massacre d’Oradour, un projet en négociations. Le tout chez Bamboo évidemment.

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