Hugues Labiano, sur un scénario de Stephen Desberg, publie le premier tome du Lion de Judah (Dargaud). C’était l’occasion de revenir sur son travail que l’on a toujours suivi avec beaucoup d’intérêt. Labiano parle de la genèse de cette saga africaine, forte et superbement dessinée, mais aussi de sa façon d’appréhender la BD et d’un projet de one-shot avec Philippe Pelaez (Un Peu de tartes aux épinards). Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.
Hugues Labiano, nous avions évoqué le Lion de Judah il y a deux ans. Le tome 1 sort aujourd’hui. La formule initiale semble avoir changé ?
Ce sera finalement un triptyque, ce qui est une proposition rare actuellement pour un éditeur. Avec Desberg, on avait eu, à l’origine, l’idée de faire une série mais dont chaque album aurait pu se lire seul. Avec un fil rouge lié au personnage sans être bloqué par une série à suivre. On était parti sur l’Afrique et sur la Route de la Soie qui aurait pu même être le point de départ. Pour les albums en Afrique, on avait réussi à en quantifier le nombre mais la Route de la Soie était plus difficile à évaluer. Toujours avec le même héros. Dargaud a été assez prudent d’abord, puis ensuite nous a proposé de réunir les deux histoires d’où une trilogie et non plus deux diptyques.
C’est ça. Desberg est en train de travailler sur la suite au Moyen Orient en la reliant à ce premier album africain avec les deux personnages principaux, Wallace et Naïsha. Mais à voir. Il y aura Wallace et un autre personnage. Ce sera une histoire compacte. Le lien sera fait par la thématique, la recherche d’une église antique.
A la Indiana Jones ?
Oui, c’est aussi une aventure avec des références dans ce style.
Desberg fait également référence au film La Colline des hommes perdus avec Sean Connery ?
Oui, tout à fait. Je ne l’ai pas vu. Il reprend le contexte du camp militaire anglais avec des épreuves physiques terribles auxquelles Wallace, le héros, est soumis.
Mais on ne sait pas pourquoi ce Wallace a été sélectionné par l’armée ? Qu’est ce qu’on veut en faire ? Il y a un mystère à géométrie variable ? Pourquoi il a tué les deux Noirs ? Qui est Naïsha ? Le spectre est large.
Tout à fait. C’est l’intérêt de ce premier récit qui commence sur les chapeaux de roue. Desberg pose toutes ces questions et les réponses vont venir. Je les ai dessinées. C’est ce qui fait le côté intéressant de ce récit avec une sorte de fuite en avant. On espère que ce premier album donne envie d’avoir les réponses.
On va aller jusqu’à la seconde guerre mondiale ? On forme dans ces camps des hommes qui pourraient devenir par exemple des SAS en 1940.
Pas du tout. On reste concentré sur le début des années trente. On n’ira pas jusqu’à la guerre. On peut tout supposer mais Stephen a eu l’idée de ce recrutement mais pour faire quoi. C’est dit dans l’album qu’ils recherchent des types capables de résister à toutes les pressions.
On est dans un récit plus linéaire cette fois avec Desberg qui a signé une histoire plus carrée que d’habitude ?
Oui. On avait l’habitude de faire des histoires à tiroirs, complexe. Ça marchait, mais on se heurtait parfois à une barrière pour franchir un certain seuil des ventes même si on vend bien. Il y avait quelque chose qui nous coupait du grand public. Nos récits étaient complexes à lire et c’était difficile à découper. Je pense ne m’en être pas mal tiré quand même. Donc on s’est posé la question de la difficulté narrative et on a choisi de faire une histoire plus simple, effectivement linéaire. On va d’un point A à un point B. Mais on a gardé un peu notre marque de fabrique.
Oui, j’ai toujours aimé ces ambiances. Le Sahara, les années trente et la colonisation, cela me passionne, me fascine.
On pense aux romans de Kessel mais aussi beaucoup à Hemingway. Wallace a un peu de lui.
Stephen est dans le roman anglo-saxon. J’aurai pu raconter la même histoire avec des personnages français, proches de Kessel ou de Cendrars. Desberg connait parfaitement l’Afrique. On en beaucoup parlé tous les deux. Au départ je ne voulais pas l’Afrique mais la Route de la Soie comme cadre. C’est lui qui m’a parlé de l’Afrique et m’a convaincu avec tout ce qui va se passer. Il faut que je croie aux mots, à leur force pour raconter une belle histoire.
Vous avez eu besoin d’un documentation importante pour les décors, les uniformes, les paysages ?
J’ai beaucoup de photos, de bouquins. Ce n’était pas très simple pour l’Éthiopie où se passe le tome 2. Pour le Kenya, il y a profusion d’images. L’Éthiopie était un empire autonome, secret et fermé dans les années 20. Je suis dans le dernier tiers du tome 2 pour une sortie en septembre prochain. Le 3, je ne sais pas encore la pagination.
Ce premier album est très prenant. On peut s’y glisser. Il est à grand spectacle, très cinématographique et a un scénario machiavélique. On sent le souffle de l’Afrique dans votre dessin.
Merci. Mon objectif est toujours de progresser. J’ai relu Dixie Road et je vois quand même que j’ai évolué avec un dessin qui est cependant toujours le mien. On aime ou pas. C’est un combat cette progression. Je m’exprime mieux et, dans ce type de récit, je suis à l’aise avec des personnages forts, de l’amour, de la haine. C’est pour ça que j’aime Hemingway, London. J’ai relu Kessel. Des écrivains bourlingueurs. Ma réussite est de pouvoir plonger les lecteurs au sein de l’histoire. Les couleurs qui sont belles jouent beaucoup aussi, le soleil, le désert. J’avais un peu peur. J’ai travaillé le noir, avec des effets de matière mais les retours sont bons. C’est la BD que j’aime faire. Je travaille sur un format de 32 par 44 cm. Desberg me fournit le scénario complet ce qui me permet de revenir dessus et d’en discuter avec lui.
Vous allez à Angoulême ? Et avez-vous un autre projet en cours ?
Oui bien sûr, je serai à Angoulême. Ensuite je serai au festival de Gruissan et de Sérignan. Il me reste un peu plus d’un album à faire pour finir la trilogie. Ensuite j’ai signé chez Glénat un one-shot avec Philippe Pelaez qui a fait la Tarte aux épinards. Un polar noir, on revient à mes amours. Cela se passe en 1936 à Cleveland, un tueur en série. Le titre sera Quelque chose de froid. Beaucoup d’éditeurs le voulaient. Mes rapports avec Dargaud sont excellents, je tiens à le dire. Lancer une nouvelle aventure avec d’autres scénaristes me tentait beaucoup.
On voit dans le Lion de Judah que vous y avez pris plaisir.
Comme toujours avec mes albums. Mais c’est vrai que c’est aussi lié à l’histoire elle-même à laquelle je crois. Et qui je l’espère va rencontrer le public. Si ça marche bien, Wallace pourrait bien vivre d’autres aventures après cette trilogie.
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