Cela a été annoncé comme un évènement, avec grand messe de lancement et polémique prévisible. On a touché au mythe, aux joyaux de la couronne. Tintin au pays des Soviets, œuvre fondatrice d’Hergé, les premiers pas de la ligne claire, allait en voir de toutes les couleurs. C’est fait. L’album tiré à 300 000 exemplaires, histoire de ne pas louper le coche pour les ventes en cas d’une ruée fort possible, est donc sorti en librairies. Retour sur le bébé qui s’est fait une seconde jeunesse toute en couleur.
D’abord prendre l’album et bien regarder la couverture, les aplats, les teintes. C’est clair, net et précis, dans le ton. Pas de trahison avec le style de l’époque encore que Hergé lui-même n’ait jamais envisagé de teinter son premier Tintin sorti en 1930 en album. Il aurait pu le faire mais on va s’entendre expliquer qu’il n’en a pas eu le temps pris par ses nouveaux albums. En quarante ans, c’était un peu court alors ? En fait il n’a jamais dû y penser, mettant de côté Tintin au pays des Soviets. Pas que ça à faire. Son graphisme va évoluer très vite. Quand on reprend la version en couleur on ressent peut-être aussi avec plus de force les rares péchés de jeunesse qui vont disparaître au fil des pages futures dès Tintin au Congo. Certes légers car le génie d’Hergé est bien là, le talent aussi. L’évolution graphique ira très vite.
Et on redécouvre l’album, on le lit avec finalement un authentique plaisir comme si il venait de sortir dans une version originale qui aurait été dès le départ en couleur. Dire que le travail des coloristes a été celui de Bénédictins est une évidence. Plus de relief, de force, appuyant le trait, soulignant les détails, l’humour, la couleur a pris sa place, sans écraser le dessin. Le travail de Michel Bareau, directeur artistique de cette aventure est digne d’éloges. On s’aperçoit même mieux que Benjamin Rabier a influencé Hergé et que Marcel Jeanjean, dessinateur des avions de la guerre de 14 était reconnu par le père de Tintin comme un précurseur de la ligne claire.
Tintin au pays des Soviets en noir et blanc est le témoin survivant d’une époque révolue. Espérer toucher un nouveau lectorat qui sinon ne le lirait pas, passait par la couleur. La version en noir et blanc est toujours dans les rayons. Pour les nostalgiques et les gardiens du temple. La version couleur a gagné en lisibilité. Que le côté commercial ne soit pas à négliger est une autre histoire mais après tout compréhensible. Reste le fond, le communisme ennemi des démocraties en 1930 que Hergé attaque à grands traits. Tout a déjà été dit et finalement le destin de l’ex-URSS, son histoire et ses errements ne sont pas si éloignés de ce que Hergé, à charge, montrait dans son album en 1930. Et encore plus flagrants en couleur.
Tintin au pays des Soviets, Casterman-Moulinsart, 14,95 €
Cet album est en effet une charge pamphlétaire que l’on sait aujourd’hui parfaitement justifiée. En rien une caricature, le récit de Hergé est même en dessous de l’horreur puisque goulag, famine, assassinats de masse, terreur totalitaire ne sont même pas évoqués…
Sans oublier que Hergé a travaillé pendant la guerre pour un journal ,
(Le Soir), très partisan, lui, d’une autre dictature, pas triste non plus . . .