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Interview : Régis Hautière et ses Lulus continuent leurs aventures

Il a une actualité chargée. On commence par la parution de la suite de la Guerre des Lulus avec La Perspective Luigi qui revient sur l’escapade berlinoise des gamins chez Casterman. On n’oublie par non plus le tome 3 des Trois grognards ou Les Spectaculaires. Régis Hautière est un scénariste actif et comblé. Pour toutes ses raisons ligneclaire l’a interviewé et lui a posé les questions les plus pertinentes possibles sur son œuvre, ses projets, lui qui a aussi signé une BD aviation avec Romain Hugault. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.

Régis Hautière. Casterman ©

Régis Hautière, après les cinq albums de La Guerre des Lulus, vous enchaînez avec cette Perspective Luigi, un diptyque. Vous allez écrire d’autres suites à la série et aller peut-être ainsi d’une guerre à l’autre ?

Pas du tout. En fait dans ce diptyque on revient à ce qui s’est passé entre le printemps 1916 et l’été 1917, la période pendant laquelle les Lulus sont en Allemagne. On n’avait pas pu la traiter dans la série mère parce qu’on avait choisi de faire un album par année de guerre. Ce qui semblait être une bonne idée au départ.

Arrivé au tome 3, je me suis aperçu que mon histoire tenait sur trois semaines. Dans l’album suivant on devait les retrouver en 1917. C’était une ellipse trop importante. On les voit prendre un train à la fin du 3 et ils vont en Allemagne. Donc je trouvais dommage de traiter sous la forme d’un flash-back rapide ce qui s’était passé en Allemagne. Soit il me manquait 40 pages, soit je retirais cette partie pour la raconter ensuite.

C’est donc un diptyque dont Luigi est le narrateur. Pour Luigi vous avez changé de dessinateur. Cuvillier s’est imposé avec brio.

Ce diptyque était prévu. Luigi raconte ce qui s’est passé en Allemagne. On est en 1936 mais cela n’a pas de rapport avec la guerre à venir. J’ai travaillé avec Damien Cuvillier pour deux raisons car il avait fait le story-board du tome 3. Le rythme était soutenu et il a aidé Hardoc. C’était donc une façon de le remercier avec une histoire où il était totalement aux commandes. Comme on changeait de narrateur, c’était aussi intéressant de changer de graphisme.

Le dessin de Cuvillier a un petit air de Sylvain Vallée ?

Oui, un mélange abouti de réalisme et de caricature. Il est jeune et c’est un dessinateur né, très rapide et efficace.

Un petit côté Peter Pan avec des enfants perdus comme dans le Loisel, vous avez une base historique précise pour ces gamins de Berlin pendant la guerre ?

Je voulais rester réaliste sur le fond même si c’est une fiction. Oui il y a pas mal de références au Berlin de cet époque grâce à des ouvrages dont celui d’un illustrateur qui a dessiné des gamins de rue comme Poulbot en France et photographié pas mal de lieux. Ce sont des quartiers délabrés qui sont, pour une documentation, passionnants. Ces endroits ont été pour la plupart détruits pendant la Seconde guerre mondiale

Au fait, on entend chanter Lili Marleen à Berlin en 1916. Elle existait déjà en 1916 cette chanson ?

Oui. C’est une vieille chanson remise au goût du jour dans les années trente.

Vous décrivez un univers enfantin dans un environnement tragique. Il faut survivre par tous les moyens. A la fin du tome 1 de la Perspective, la période berlinoise se termine ?

Oui. Il y a deux parties, le tome 1 à Berlin fin 1916 et le tome suivant qui se passera en 1917. Ce sera dans un camp d’internement. A l’époque en 1936 on disait concentration. On fera ensuite la distinction. C’était un camp où les conditions étaient dures. Les Allemands y mettaient les otages arrêtés en zone occupée. A partir de 1916 on les ramène en Allemagne pour faire pression sur le gouvernement français.

Vous êtes, semble-t-il, un spécialiste de l’histoire contemporaine. Quand on regarde votre bibliographie on trouve la Résistance, les pilotes FAFL, le Dernier Vol avec Romain Hugault entre autres.

En fait non. Souvent je demande au dessinateur ce sur quoi il aimerait travailler et, par exemple, avec Berthet j’ai fait Perico un polar qui se passe à Cuba. Je suis donc passé à la documentation sur le Cuba de la fin des années cinquante et fait le background. C’est plutôt ça qui me détermine. Par contre, je suis curieux de nature et j’aime bien, quand je raconte une histoire qui repose sur un fond historique, essayer de ne pas dire de bêtises. Avec Damien, j’ai travaillé sur la conquête spatiale. Pour les Trois grognards dont le tome 3 vient de sortir, même si on est dans la fiction complète d’un récit humoristique, je me suis beaucoup renseigné sur les campagnes napoléoniennes pour éviter les anachronismes.

Au départ comment vous est venue l’idée des Lulus ? Les prénoms d’accord, ils commencent tous par Lu. On est un peu avec le Club des 5 dans un environnement historique, dramatique ?

C’est venu de deux choses. D’abord d’une demande de ma fille de mettre en scène des enfants. Elle ne voulait pas lire mes BD pour adultes. Au Mémorial de Péronne on m’avait fait aussi remarquer qu’il n’y avait pas d’enfants dans les BD sur 14. Il y avait des gens qui en demandaient pour les offrir et on les renvoyait sur des romans Jeunesse. Ça a trotté dans ma tête mais je ne pouvais pas placer mes enfants dans les tranchées. Donc il fallait trouver un endroit qui ne soit pas le front mais toutefois au cœur de la guerre.

Vous avez semblé ouvrir une porte vers ce que ces enfants allaient devenir adultes ?

Oui, on avait évoqué cette possibilité d’aller jusqu’en 39. En fait on aurait changé de sujet en les faisant grandir. Les Lulus, pour nos jeunes lecteurs, ce sont des enfants. Comme ça était fait ensuite pour 39 avec Les Enfants de la Résistance. On a décidé de continuer avec Les Lulus mais sur l’année 1919, l’après-guerre des Lulus. Avec Hardoc on fera plusieurs albums en changeant à chaque fois d’interlocuteur et de point de vue. Lucien va commencer. Il est en convalescence. Ce sera aussi un prétexte pour qu’il parle de l’avant 14. Il sera rejoint dans le second par Luigi qui raconte comment il l’a retrouvé. Ensuite ils partent à la recherche des trois autres. On va découvrir la France, la Belgique de l’immédiate après-guerre, pas plus loin.

Au total, il y aura combien d’albums ?

Les deux de la perspective Luigi et on ira jusqu’à cinq. On devrait s’arrêter là.

On retrouve dans cette Perspective Luigi un Berlin assez noir. Vous écrivez votre scénario d’une traite ?

Je fais d’abord un synopsis que je donne au dessinateur. Après, je fais un séquencier qui raconte scène par scène ce qui va se passer. Ensuite j’écris le découpage. Je le fais au fil des pages réalisées par le dessinateur. Le séquencier me donne le nombre de pages global puis par séquence. Donc on sait où on va. Et je livre les dialogues au moment du découpage.

Ce qui est marquant dans La Guerre des Lulus, c’est que c’est une belle histoire d’amitié avec beaucoup de tendresse. C’est ce qui a touché vos lecteurs, non ?

Il faudrait le leur demander mais l’idée c’est vrai que c’était d’avoir une bande de copains très différents les uns des autres avec leur caractère. Il y a des conflits, des tensions mais oui on retrouve toutes les histoires de gamins, La Guerre des boutons ou le Peter Pan de Loisel dont le premier qui se passe à Londres ou encore Sa Majesté des mouches. Ce sont mes influences comme aussi Seuls de Vehlman ou même Walking Dead, un groupe de personnages qu’on va suivre et qui survit en milieu hostile. Ce qui est intéressant c’est de voir comment ils se débrouillent, s’entendre entre eux, évoluer psychologiquement.

Ils se retrouvent dans des situations d’exception.

Dès le début, il y a un côté très naïf qui va vite disparaître confronté à la maladie, à la mort.

Quel sont vos autres projets ?

Je travaille sur Héros du peuple avec Vatine et Boutin-Gagne, Les Spectaculaires chez Rue de Sèvres, Aquablue. J’ai aussi un projet avec Aouamri.

Vous avez écrit pour Lapone également, pour Romain Hugault ?

Oui, pour Lapone le ADA tome 2, Adam Clarks et Accords sensibles dans le Bruxelles des années 50. On n’a pas de projet ensemble pour l’instant. Avec Romain pour Le Dernier Envol, c’était parce qu’à cette époque j’avais un projet chez Paquet. J’ai rencontré Romain que j’ai dans la foulée présenté à Paquet pour son album Le Dernier Envol mais il n’avait fait que deux ou trois pages à partir d’une lettre trouvée sur internet. Il est revenu vers moi pour le scénario et j’ai fait les histoires suivantes.

Cela ne vous a pas tenté de continuer dans la BD aéronautique ?

Avec Romain on a fait Au-delà des nuages mais rapidement comme ces albums ont eu du succès et que j’en ai sorti d’autres sur le même thème, j’étais étiqueté comme spécialiste en la matière. Ce qui n’était pas le cas. C’était une forme d’imposture involontaire mais je n’allais pas passer toute ma carrière à faire des BD d’aviation. Je m’en suis détaché volontairement malgré des demandes de dessinateurs ou d’éditeurs que j’ai refusé.

Quand on écrit une série comme les Lulus, il doit y avoir une réticence à faire disparaitre des personnages de fin violente. On se censure et on s’attache à eux ?

Je m’étais effectivement posé la question. On n’est pas passé loin pour au moins un des Lulus dans le dernier tome. On s’est, c’est vrai, beaucoup attaché à nos personnages et on a un lectorat en majorité des enfants. On ne voulait pas choquer. On va donc prolonger l’aventure avec tous nos héros.

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