Prix

Grand Prix d’Angoulême 2019, le trio de tête

Ils sont tombés. Enfin façon journalistique de parler. Les trois nominés pour le Grand Prix d’Angoulême 2019 sont Emmanuel Guibert, Rumiko Takahashi et Chris Ware. Toujours pas de scénaristes purs et durs dans le lot. On lira avec intérêt sur Facebook la lettre de Jean Dufaux sur le sujet qui pose parfaitement le problème. Plus qu’un débat, un constat attristant avec sa cohorte de mauvaise foi pour certains face à un Jean Dufaux authentique et maître des mots, généreux. On a même lu dans les réactions que le Prix Goscinny devrait leur suffire aux scénaristes. Auteur complet, quelle hypocrisie. Une bonne histoire est la clé d’un bon album. Sans elle, et quel que soit le talent du dessinateur, il y a erreur de casting. Mais est-il finalement utile de revenir sur le Grand Prix, sur ses évolutions, ses chapelles, et son intérêt fort modeste pour la majorité des lecteurs ? On s’est réjoui pour Hermann, Cosey, Baru, Loisel et beaucoup d’autres. On aurait aimé faire de même pour Christin, Van Hamme, Dufaux. On va le voir plus bas, les votes sont plus ouverts, on le sait, mais comme le dit Jean Dufaux « on peut craindre que les mauvaises habitudes soient prises ». Ce qui n’empêche pas de penser cependant que Guibert (qui a eu le prix Goscinny), Chris Ware ou Rumiko Takahashi ont bien leur place parmi les Grand Prix. J-L. T.

Afin d’être parfaitement en phase avec le déroulement des étapes qui gèrent l’élection du Grand Prix, nous publions le texte émanant du FIBD :

Depuis 2014, le Grand Prix est attribué, à la suite d’un vote de la communauté des auteurs et autrices professionnels de bande dessinée. Tous les auteurs et autrices de bande dessinée professionnels, quelle que soit leurs nationalités et dont les œuvres sont traduites en français et diffusées dans l’espace francophone, sont admis à voter pour l’élection du nouveau Grand Prix du Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême. Le vote s’effectue en deux tours et sous forme électronique. Le lauréat est un auteur ou une autrice vivant au moment du vote, récompensé(e) pour l’ensemble de son œuvre et son empreinte sur l’histoire de la bande dessinée. L’ensemble de la communauté des autrices et auteurs est éligible, à l’exception des ceux déjà récompensés par un Grand Prix, qu’il soit exceptionnel (prix du 10e, 20e, 40e anniversaire ou du millénaire – sauf le prix du trentenaire dit prix des fondateurs) ou non.

Le premier tour

Un vote en ligne a été ouvert du mardi 8 au 13 janvier 2019 à minuit. Il a été demandé à chaque votant de donner librement, sans ordre de préférence, trois noms d’autrices ou d’auteurs pour concourir au titre de Grand Prix.

Le second tour

Les trois autrices ou auteurs ayant obtenu le maximum de suffrages au premier tour sont soumis au vote du même collège du mercredi 16 au dimanche 20 janvier 2019 à minuit. Le lauréat sera celle ou celui qui aura obtenu le nombre de votes le plus élevé. Le nom du nouveau Grand Prix sera annoncé le mercredi 23 janvier 2019 vers 19 heures à l’occasion de l’ouverture officielle du Festival.

Voici donc les trois auteurs et autrices en lice pour le Grand prix cette année. Les biographies proviennent du FIBD :

Emmanuel Guibert

Remise du prix René Goscinny à Emmanuel Guibert au FIBD 2017. Photo Selbymay ®

Né en 1964 à Paris (France), Emmanuel Guibert débute sa carrière avec une œuvre sur la montée du nazisme, Brune, qui lui prendra sept ans de travail. Au contact de ses camarades de l’atelier des Vosges, il décide de changer de technique et publie, entre 2000 et 2008, une série de planches inspirées par les souvenirs de son ami Alan Ingram Cope, La Guerre d’Alan. Fort de ce succès critique et commercial, il continue dans cette veine inspirée de vies avec Le Photographe, d’après des entretiens avec Didier Lefèvre, qui reçoit un Prix Essentiels du Festival en 2007.

Grand technicien, reconnu par ses pairs comme un dessinateur innovant et précurseur, Guibert est également un scénariste prolifique. Il crée avec Joann Sfar Les Olives noiresLa Fille du Professeur et Sardine de l’Espace, ainsi qu’Ariol, avec Marc Boutavant, et ces deux dernières séries jeunesse mettent en lumière ses talents de conteur et de narrateur. Il est lauréat 2017 du Prix René Goscinny et a été mis à l’honneur par le Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême en 2018.

Rumiko Takahashi

Rumiko Takahashi. Photo Valérie Mangin ®

Quarante ans d’une carrière fulgurante, plus de 200 millions d’exemplaires vendus dans le monde, entrée au Eisner Hall of Fame en 2018, Rumiko Takahashi est sans aucun doute l’une des autrices majeures de la bande dessinée mondiale. Née le 10 octobre 1957, Rumiko Takahashi s’intéresse très tôt à la bande dessinée, et dès le collège, propose ses premières œuvres à des revues. Vers la fin de sa première année à l’université, elle s’inscrit à l’atelier de gekiga fondé par le grand scénariste Kazuo Koike. En 1978, Rumiko Takahashi entame la publication de Urusei Yatsura (Lamu) dans les pages de l’hebdomadaire Sunday.

Enchaînant les succès avec Maison Ikkoku (Juliette je t’aime) puis Ranma 1/2, elle va rapidement devenir la reine du shônen manga, les adaptations animées de ses séries contribuant à asseoir sa popularité bien au-delà du Japon. Dans une société où l’on accepte mal la différence (« le clou qui dépasse appelle le marteau », dit un dicton bien connu), Rumiko Takahashi s’est toujours attachée à mettre en avant les outsiders et les excentriques, en faisant valoir leur droit à une seconde chance. Pétris de défauts mais aussi profondément humains, ses héros ont ainsi marqué plus d’une génération de lecteurs, au sein d’une œuvre qui, souvent sous le couvert de la comédie, se révèle extrêmement progressiste.

Chris Ware

Chris Ware. Photo Yves Tennevin ©

Né en 1967 à Omaha (États-Unis), Chris Ware est publié très tôt dans RAW, la revue d’avant-garde d’Art Spiegelman et Françoise Mouly. Il entame au début des années 1990 une œuvre d’envergure avec la série des Acme Novelty, vraie-fausse revue à la forme et à la pagination changeante qui installe les personnages bientôt fameux de l’auteur : Quimby the Mouse, Rusty Brown et surtout Jimmy Corrigan. Tous se démarquent par leur timidité, par leur fragilité et par l’empathie immédiate qu’ils suscitent chez le lecteur. Depuis 25 ans, c’est une œuvre originale, qui oscille entre une douce mélancolie et une profonde tristesse, que propose Chris Ware, s’attachant toujours à regarder au microscope le quotidien de ses personnages. Par ailleurs, ses livres se distinguent par leur générosité, avec un graphisme immédiatement reconnaissable et une fabrication soignée.

À la ligne claire élégante du trait répond la profusion de textes dont Chris Ware orne ses pages, faisant de chacun de ses livres un monde à explorer, où chaque espace, chaque interstice de papier est susceptible d’être occupé par du dessin et du texte. La force et la densité de cette œuvre n’ont jamais échappé à la critique. Salué à chaque nouvelle parution, Chris Ware a reçu de très nombreux prix, dont 28 Harvey Awards et 22 Eisner Awards. L’auteur publie en 2012 le remarqué Building Stories, un livre-objet impressionnant constitué d’une quinzaine de livres de formats divers pouvant être lus dans un ordre choisi par le lecteur – celui-ci a reçu le Prix Spécial du Jury au Festival d’Angoulême en 2013.

Un regret (Lettre de Jean Dufaux)

Jean Dufaux. Photo Le Lombard ©

« Cette année, à nouveau, je n’irai pas au festival d’Angoulême. A quoi bon ? Angoulême ne s’est jamais intéressé à mon travail, ni de près, ni de loin. La messe est donc dite. Angoulême se passe très bien de Jean Dufaux. Jean Dufaux se passera très bien d’Angoulême. C’est que… je n’y avais pas ma place. C’est à dire que TOUS les scénaristes n’y avaient pas leur place. La preuve, jamais de GRAND PRIX pour aucun d’entre nous. Sur combien d’années ? Beaucoup. Le frottement du jamais au beaucoup étant explicite et très révélateur. C’était l’époque (longue, très longue, trop longue) où passait une stupidité : Ce Grand Prix était destiné aux auteurs complets ! La belle fumisterie. Un auteur complet étant, pour les doctes, un auteur qui dessine et scénariste son album. Ce n’est pas parce qu’on place le clou et qu’on tape sur le clou que s’arrime la charpente. Ce n’est pas parce qu’on est « complet » qu’on est automatiquement un « auteur ». Cela voudrait-il dire qu’un artiste de la trempe, du talent de M. Rosinski n’est pas un auteur parce qu’il ne scénarise pas ses ouvrages ? Absurde ! Un « auteur » pour moi (et cela n’engage que moi) est d’abord un créateur d’univers, un témoin de son temps (même s’il le réfracte sur d’autres époques). Ayant un style, un regard, une respiration propres. Une ÉCRITURE, qu’elle passe par les dessins ou les mots. Cela se traduit aussi dans les textes, les dialogues, le nom (important) des lieux et des personnages, le montage, le découpage, le rythme. Bien des scénaristes disposent de ce talent… « d’auteur complet ». On en oublierait presque que Jean-Michel Charlier créa Blueberry. Avec Giraud. On parle beaucoup de Giraud. A juste titre. On oublie assez Jean-Michel Charlier. Charlier ? Un auteur ? Jamais reconnu à Angoulême en tout cas. Christin, Jodorowsky, Van Hamme (pour parler des plus anciens et ce, dans des catégories, des sensibilités différentes) pas des auteurs ? C’est comme si je vous disais, pour le cinéma, Aurenche, Bost, Spaak, Age et Scarpelli, Robert Bolt, pas des auteurs ? Je sais, on boit beaucoup à Angoulême. Cela permet bien des oublis. Il y avait, là-dedans aussi, un certain manque de respect pour des gens qui ont apporté leur talent, leur vision à la bande dessinée, qui lui ont permis de s’enrichir, de s’ouvrir et de garder sa générosité première. Mais, pour finir, un regret, oui. Car Angoulême, c’est aussi l’occasion de vous revoir, de vous rencontrer, mes amis, compagnons, auteurs, faiseurs et poètes (ceux-là deviennent rares, les lois économiques étant particulièrement dures pour eux), rencontres qui font de ce festival un moment important. Alors, à vous tous, présents en cette fête, je souhaite le meilleur pour cet Angoulême 2019. Et, dieu soit loué, cela change. Les votes sont devenus plus démocratiques, plus ouverts. Mais je crains que de mauvaises habitudes ne soient prises. Alors, mes amis, si vous rencontrez un scénariste perdu dans un salon, allez-y doucement. C’est peut-être… un auteur. »
Cette année, je vote :

  1. Jodorowsky
  2. Rosinski
  3. Alan Mooore

Jean Dufaux

Partager

Articles récents

Pyongyang parano, les blaireaux des légendes

Du vécu un peu amélioré mais qui sur le fond est passionnant et remarquable. Comment…

21 novembre 2024

bd BOUM 2024, c’est ce week-end du 22 au 24 novembre 2024

Récompensé par le Grand Boum-Ville de Blois, David Prudhomme préside la 41e édition du festival…

20 novembre 2024

Mémoires de gris, Tristan et Yseult revisités

Un bel album ce qui est tendance, dos toilé, beau cartonnage et 240 pages, Mémoires…

20 novembre 2024

Un doublé belge de Spa à Bruxelles chez Anspach

On les suit de très près les éditions Anspach car c'est vrai on a un…

20 novembre 2024

Prix Landerneau BD 2024 présidé par Mathieu Sapin, la sélection

L’auteur et dessinateur de bandes dessinées Mathieu Sapin préside aux côtés de Michel-Édouard Leclerc le…

19 novembre 2024

L’Amie prodigieuse, une relation dramatique

Un best-seller L’Amie prodigieuse paru en 2011, le premier roman de la tétralogie du même…

19 novembre 2024