Il aura été l’un des acteurs les plus atypiques et attachants de sa génération. Pas d’esbroufe, pudique, un faux dur au grand cœur, un ami fidèle et, bien sûr, un tempérament d’acteur à la hauteur de son physique d’ancien catcheur. Lino Ventura, au moins pour les plus jeunes, ce sont les Tontons Flingueurs ou les Barbouzes. Trop réducteur. Parlons d’un Taxi pour Tobrouk, Garde à vue, Le Clan des Siciliens, Dernier domicile connu ou Les Grandes gueules. Toujours un gentil hormis de rares fois à ses débuts. Avec cette rencontre imaginaire entre un journaliste bafouillant et le grand Lino en plein succès, on redécouvre un homme timide, une âme tendre comme le dit Jean-Claude Carrière dans la préface de cet ouvrage écrit tout en finesse par Arnaud Le Gouëfflec et dessiné avec parfois quelques écarts de physionomie, mais le défi était haut placé, par Stéphane Oiry. On a tous notre Ventura en tête. L’ensemble fonctionne d’autant mieux que l’on a en mémoire le regard de Lino Ventura, perçant, droit et au sourire légèrement ironique.
Merlin, journaliste, pire qu’une moule accrochée à son rocher, colle à celui sur lequel il veut à tout prix écrire un article. Mais Lino Ventura c’est la hantise de tout pro de l’info. Un taiseux qui ne se livre pas ou alors après avoir testé son interlocuteur. (NDLR : pour ceux qui sont curieux, il faut revoir son Grand Échiquier en 1979 avec Devos, Brassens, Leforestier sous la houlette de Jacques Chancel. Un grand moment). Si il a été acteur c’est par hasard. Il y est allé au flan. Il demande, lui l’inconnu, un million pour jouer dans le film de Becker, Touchez pas au grisbi. Banco. Et c’est parti pour tourner devant cet œil de verre comme Ventura appelle la caméra. Des souvenirs d’enfance sous forme de planches à la Bicot. Gabin, des mimiques à la Bogart, Fonda que Ventura adopte mais s’approprie. Giovanni, Grangier, Lino est un méchant mais ça ne va pas durer. Blier et les Tontons Flingueurs pour casser ces images. Le Gorille a bon dos. Le catch aura été son premier défi, un champion. Accident de ring contre son copain Jacky Cogan. Merlin persiste, tire le fil d’une vie. Méfiant pourtant Lino comme dans Le Silencieux de Pinoteau. Un solitaire qui cache ses sentiments mais sait se fâcher comme avec Melville, méprisant, hautain. Ou défendre son ami Giovanni malgré son passé pendant la guerre.
A suivre car la somme dans l’album est complète. On est avec Ventura, textes et dialogues compris, souvent proches de ceux de ses films. Les amis, la famille et Linda, sa fille fragilisée, pour laquelle et pour les enfants dans son cas, il crée Perce Neige. Brel, Audiard, Mitchum, pas de scènes d’amour à l’écran, il a été un vrai monument. On le retrouvait comme un ami, à chaque film. Arnaud Le Gouëfflec est totalement pris pas son personnage. Une promenade en toute liberté, chaleureuse et humaine avec un grand monsieur, tout court, lui qui, d’origine d’italienne, se qualifiait de petite tête de Parmesan.
Lino Ventura et l’œil de verre, Glénat, 22,50 €
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