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Interview : Après Mattéo, Jean-Pierre Gibrat enverra les héros du Vol du Corbeau en Indochine

Avec la quatrième époque de Mattéo, Jean-Pierre Gibrat aborde de plein fouet la guerre d’Espagne. On est en Catalogne en 1936 alors qu’aujourd’hui la province espagnole veut tenter l’indépendance. Un hasard mais que l’Histoire explique aussi. Gibrat a fait évoluer son dessin, sa narration dans ce Mattéo (Futuropolis). Il y a de nouveaux personnages. Il revient sur la génèse de son album, l’avant dernier du cycle, avant d’annoncer que Le Vol du Corbeau aura une suite qui se passera en 1945 en Indochine. Jean-Pierre Gibrat avec sa passion, son talent, sa gentillesse et sa simplicité s’est confié à ligneclaire.info pendant le dernier festival Quai des Bulles. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.

Jean-Pierre Gibrat. JLT ®

Jean-Pierre Gibrat, Mattéo est de retour en Catalogne en 1936, début de la guerre d’Espagne. Les hasards de l’actualité font que la Catalogne est aujourd’hui à la une avec sa volonté d’indépendance qui, finalement, est un peu issue de l’époque que vous décrivez ?

Bien sûr. La Catalogne a un statut d’indépendance partielle au moment de la République quand le roi a été déchu en 1932. Cela s’est amplifié en 34 et en 1936 la Catalogne se bat contre Franco. Mais à Barcelone il y a aussi la volonté de créer une autre société à cette époque.

Il y a une grande mixité de mouvements en présence en 1936. On le voit bien dans Mattéo.

Oui mais la majorité est anarchiste, il y a aussi des Trotskistes plus influents que le PC d’obédience moscovite. Ce n’est pas qu’une guerre civile. Ils veulent construire autre chose.

Mattéo est en première ligne. Il va se battre dans un village qui a un lien avec lui. L’intrigue évolue dans ce tome.

L’interrogation porte sur le lien en effet que Mattéo a avec ce village où il va aller se battre. Il y arrive un peu par hasard. Tous les partis politiques recrutaient des hommes pour aller défendre le front. On allait à une permanence de parti ou de syndicat et on s’engageait. Puis quand il y avait assez de mecs on faisait une petite unité et ils partaient pour le front. Mais c’était un peu le bordel.

Il n’y avait pas de coordination des troupes ?

Non. Il y avait l’armée fidèle à la République. Mais on respectait les diversités. Donc chacun pour soi et pareil pour les destinations des combattants.

Vous avez exploité un grosse documentation ?

Oui, j’ai beaucoup de lu de témoignages en particuliers sur Barcelone en 36.

On a un nouveau personnage qui apparaît, un pilote anglais Mermoza.

C’était un peu un gag. J’ai inventé ce pilote anglais mais il s’est passé tellement de choses invraisemblables. Lui, dans mon esprit, est dans la flotte anglaise qui croisait au large du Pays Basque. Les Anglais étaient plutôt du côté phalangiste. Et donc d’un porte-avions il pouvait y avoir un type qui a eu l’idée de rejoindre les brigades internationales mais dans l’aviation. Il part avec son avion et j’ai imaginé que les Espagnols l’ont surnommé Mermoz mondialement connu, plus le a pour Mermoza à l’espagnole, et ajouté sir à l’anglaise. Sir Mermoza. Quand Amélie revient revient avec l’information il faut aller voir sir Mermoza, c’est auditif et cela peut-être sœur Mermoza. De là à voir le pape au bras de la pasonaria sur les Ramblas…

Il y a un vrai air de fête en ce début de guerre à Barcelone.

C’était très joyeux. Et j’ai donné cette exubérance à mon dessin. Il y a à ce moment là en 36 une entente cordiale entre les partis, pas de rivalité mais une désorganisation totale qui sera une des causes de l’échec. Il faudra attendre 1937 pour que tout soit mieux fédéré par le gouvernement social avec une armée traditionnelle.

Vous avez apporté un soin très léché à votre dessin, à votre mise en page ?

Pour la première fois je me suis permis de faire des grandes pages avec très peu ou pas de textes. Cela donne de la puissance et à la fin de l’album, dans une planche, il y a les deux Espagne face à face. L’écriture c’est proche de la chanson. On comprend de suite. Chacun regarde le même paysage mais y met ses couleurs. Plutôt que d’expliquer de façon laborieuse ce qu’était l’Espagne à ce moment là, le dessin le dit et mettre en scène un grand dessin avec un petit texte, cela fait une pause qui donne aussi une autre dimension aux mots.

Comment écrivez-vous votre scénario ?

Je fais un chemin de fer comme dans un journal pour savoir où je vais. Il peut fluctuer. Est-ce que je ne m’attarde pas trop d’une séquence à l’autre ? Ensuite je dialogue chaque séquence mais cela peut être dans le désordre. Comme au cinéma où ils ne tournent pas non plus dans l’ordre chronologique. Mais il faut faire attention car on peut se faire piéger.

Mattéo devient un petit chef de guerre et plus un autre personnage féminin, apparaît, Anechka, une Polonaise.

Mattéo c’est grâce à Émilie qui le remue. Quant à cet autre femme, Anechka, on n’a pas finit de la voir. Sauf que je réserve quelques surprises avec elle mais aussi avec Émilie. Ils vont rester en Espagne jusqu’en 39 donc un album de plus. Une parenthèse, le film de Ken Loach Land and freedom sur la guerre d’Espagne m’avait déçu car militant et trop pédagogique. Moi je ne suis plus militant ce qui n’empêche rien sur ce que je ressens. Je pense que c’est plus en montrant des situations avec des personnages au caractère ni blanc ni noir, ses préférences qu’on peut amener les gens à éprouver ce qu’on ressent, à être touché par les mêmes choses. C’est beaucoup plus respectueux et plus efficace. Quand un film t’émeut, il montre la grandeur ou la médiocrité. On amène les gens du bon côté de façon plus légère. Le militantisme c’est l’inverse, c’est dire aux gens qu’ils n’ont rien compris et qu’on va leur expliquer.

La politique a été importante dans votre vie ?

J’étais d’une famille communiste et j’ai arrêté de voter PC au début des années quatre-vingts mais je connais tellement leur mécanisme interne. Dans le Vol du corbeau il y a Jeanne militante PC et François qui a bon cœur, sincère. François dit à Jeanne « moi aussi je pique aux riches pour donner aux pauvres mais je supprime les intermédiaires ». Jeanne lui dit qu’être communiste « c’est penser aux autres » et François lui répond « non, vous pensez à la place des autres ». C’est tellement vrai, sans place pour le doute. Le potentiel de générosité de base a été perdu.

On est en Espagne dans la ligne dure du PC.

J’ai beaucoup d’admiration pour les types du PC qui sont partis en Espagne se battre mais ils prenaient leur ordres de Moscou. Si il fallait flinguer quelqu’un ils n’hésitaient pas. Et quand ils sont rentrés on les a mis au goulag.

Mattéo rentre en France à la fin de la guerre d’Espagne ?

J’ai la dernière phrase de fin. Mais je ne peux pas vous la dire. Je l’ai testée et je suis ému quand je la prononce. C’est la dernière phrase de la fin de Mattéo. Il va revenir en France en 1939 et fait la Retirada. Il se fait piquer à Collioure et est emprisonné au château où on mettait les têtes brulées. Les autres allaient dans les camps à Rivesaltes ou Argelès.

D’autres projets en tête ?

J’arrive à un âge où il faut prévoir. Après Mattéo je terminerai le cycle du Vol du Corbeau et du Sursis. L’idée je l’ai. Je peux vous la dire. On va retrouver François, Jeanne et Cécile en Indochine. Les petits délinquants de l’époque comme François quand il revient à Paris libéré il a toujours des comptes avec la justice. Donc on lui dit c’est la prison ou l’Indochine dans l’armée. Le naturel va reprendre le dessus, ça va lui sauver la vie mais je n’en dis pas plus. Un peu Saigon mais surtout le Tonkin, la frontière de Chine. Du coup je vais resserrer l’histoire. Mais avant je pense éventuellement aller faire un tour pour un festival aux Albères l’année prochaine dont je signerai peut-être l’affiche.

Anouchka, un nouveau personnage féminin au caractère bien trempé. Ligne Claire ®
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