Serge Lehman et Gess n’ont pas fait dans la facilité. Et de toute façon le sujet ne l’aurait pas supporté. Revenir sur les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher demandait intelligence et finesse, recul et sensibilité, absence totale d’opportunisme. C’est le cas. L’Esprit du 11 janvier paraîtra pour certain philosophique, enquête mythologique clairement revendiquée sur la grande manifestation. Pour d’autres une chronique pointilleuse de ce qui a fait et défait, peut-être, l’attitude post-attentats. Car des attentats il y en a eu d’autres après Charlie, touchants de plein fouet un pays qui cherche à comprendre et veut rester digne dans sa souffrance et sa volonté de résister. C’est la fin, en quelque sorte, de L’Esprit du 11 janvier, ses dernières pages, qui sont le plus fort moment de ce si particulier bouquin.

On est six mois après Charlie. Le 11 janvier est mort. Dès la première page on sait qu’elle sera la trame du récit. Le 11 janvier est-il un évènement « monstre », mot pertinent ? La grande marche, « une œuvre d’art en construction » ? Lehman décline aussi bien des faits qui peuvent s’associer, un Michel Houellebecq et Soumission, le prophète Philluppulus de Tintin et l’Étoile Mystérieuse, Ahmed Merabet qui meurt abattu par les Kouachi, Clarissa Jean-Philippe abattue par Coulibaly. Hasards, coïncidences, échos, la grande manifestation a été un jour de confiance, de solidarité, de communion.

Il n’en resterait plus rien. Où est l’esprit du 11 janvier ? Quel sont ces mythes qui nous entourent ou nous habitent ? Le 11 janvier a une vie après le 11 janvier, une vie posthume, la vie après la mort, mythe parmi les mythes ? La digression de Serge Lehman appuyée par le dessin de Gess ne peut qu’interpeller à condition de l’assimiler, la décortiquer, relire le texte pour bien en peser le sens. Et croire en cette télépathie de l’émotion, de la paix, de l’unité face au pire, qu’ils évoquent avec beaucoup de tendresse et d’espoir en forme de conclusion.

L’Esprit du 11 janvier, une enquête mythologique, Delcourt, 9,95 €